Le journaliste, accusé de détournements de fonds publics souffre d’une « extrême gravité de neuropathie ». Depuis le rejet de sa demande de mise en liberté provisoire, il n’a toujours pas eu accès à des soins de qualité.
Amadou Vamoulké, ancien directeur général de la chaîne de radio et télévision publique camerounaise (Crtv ) est poursuivi devant le Tribunal criminel spécial (Tcs) pour deux affaires de détournements présumés des deniers publics (plus de 3 milliards de Fcfa) dans le cadre de sa gestion de la redevance audio-visuelle à la Crtv de 2006 à 2016. Mal en point depuis deux ans, l’ancien Dg, âgé de 70 ans, a comparu huit fois en novembre 2020 devant la justice. Le 13 novembre était la date de la dernière audience pour la première affaire. Il sera à nouveau devant la barre le 14 et le 15 décembre prochain à l’audience dans le cadre de la deuxième affaire.
Dans cette seconde procédure judiciaire, l’ancien Dg avait été inculpé pour détournement présumé de 15 milliards F.Cfa. C’est sur la base d’un rapport d’audit que l’actuel Dg avait commandité, question de voir clair sur la gestion de son prédécesseur que le prévenu a été inculpé de détournement présumé pour la seconde fois. Pour lui permettre d’avoir les soins de qualité dans le cadre d’une évacuation sanitaire, l’ancien directeur de la Crtv a sollicité une demande de mise en liberté provisoire devant le tribunal criminel spécial en juillet 2019. La demande était accompagnée des pièces comme les noms de certains membres de sa famille présentés comme les garants en cas d’une fuite. La demande de mise en liberté provisoire a été rejetée le 28 novembre 2019. Selon l’avocat général du Tcs, le rejet de cette demande est justifié parce que le journaliste est poursuivi pour les faits de crime économique.
Étant passible d’un emprisonnement à vie, il ne peut bénéficier d’une liberté provisoire. Quatre années en détention provisoire En détention préventive à la prison centrale de Kondengui depuis juillet 2016, Amadou Vamoulké a publié une tribune dans le Journal Kalara, dans laquelle il affirme:
« Quel cynisme il faut avoir pour m’empêcher d’aller me faire soigner à l’étranger alors même que les spécialistes camerounais et étrangers ont souligné l’extrême gravité de la neuropathie sévère dont je souffre désormais ? Ces mêmes experts ont demandé mon évacuation sanitaire compte tenu de l’absence des infrastructures nécessaires au Cameroun et du risque avéré de paralysie. C’est encore sans doute la hiérarchie qui a décidé le 28 novembre de me priver non seulement de ma liberté mais aussi de toute l’assistance sanitaire dont j’ai besoin. Le tribunal a encore dû se résoudre à « obéir » au mépris de la loi et à rejeter ma demande de mise en liberté provisoire, qui s’imposait pourtant sur les plans humanitaire et juridique ».
Dans le dossier de demande de mise en liberté provisoire du journaliste, un rapport médical de l’hôpital central de Yaoundé et un autre rapport de l’hôpital américain de Paris attestent que la santé d’Amadou Vamoulké est précaire et que le concerné mérite de bénéficier d’une prise en charge hors du Cameroun. La défense s’est appuyée sur une disposition du code pénal qui prévoit dans son article 224 : « Toute personne légalement détenue à titre provisoire, peut bénéficier de la mise en liberté moyennant les garanties visées ».
Droit à la santé violé
Selon un avocat, le cas de l’ancien directeur général de la Crtv pose plus généralement la question du droit à la santé en milieu carcéral. Car la seule restriction de droit lors de la détention est la liberté d’aller et venir. Refuser la liberté provisoire à un détenu pour bénéficier d’une prise en charge médicale viole les dispositions de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette charte dispose à l’article 16 :
« Toute personne, a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre. Les États parties à la présente Charte s’engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et leur assurer l’assistance médicale nécessaire ».
Me Alice Nkom, l’un des avocats du prévenu dénonce un règlement de compte. « Le problème c’est l’absence des séparations des pouvoirs au Cameroun. Une immixtion du pouvoir exécutif sur le judiciaire constitue un danger et Vamoulké est une victime de ce système », affirme-t-elle. L’avocate appuie sa démonstration sur le délai de la détention provisoire largement dépassé, tel qu’évoqué par l’article 218 du code de procédure pénal qui dispose :
« Désormais, la durée de la détention provisoire ne peut excéder six mois. Elle est toutefois susceptible de prolongation par une ordonnance motivée du juge d’instruction pour une durée n’excédant pas douze mois pour les crimes et six mois en cas de délit .» Cette disposition de la loi est n’est pas respectée étant donné que l’accusé est en détention provisoire depuis plus de quatre ans. En outre Me Alice Nkom mentionne que l’accusé comparaît avec pour seul témoin autorisé un expert comptable ayant fait un rapport à charge contre l’accusé.
Pour conforter la demande de Amadou Vamoulké, rappelons qu’Yves Michel Fotso, l’ancien administrateur directeur général de la Camair, condamné à 25 ans d’emprisonnement pour détournements des deniers publics, a bénéficié d’une évacuation sanitaire pour le Maroc sur autorisation spéciale du chef de l’État. Inoni Ephraïm, l’ancien premier ministre, condamné à 20 ans par le Tcs a lui aussi été évacué depuis quelques mois en Allemagne suite à une autorisation du chef de l’Etat.
Des associations de défense des droits des journalistes comme Reporters sans frontières (Rsf), ou encore le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale, (Redhac) ont initié depuis plusieurs mois une campagne pour la libération du journaliste. Maximilienne Ngo Mbe, la présidente du Redhac dit poursuivre ce combat tant que le journaliste reste « otage dans les mains de la justice ».
Source : Le Jour par Prince Nguimbous