S’il fallait une preuve que les autorités algériennes ne goûtent guère l’humour, le verdict infligé à un internaute ce lundi vient le démontrer. Administrateur du groupe Facebook Hirak Memes sur lequel il publiait des images détournées se moquant du pouvoir en place et de la religion, Walid Kechida a été condamné à trois ans de prison ferme et 500 000 dinars d’amende (environ 3 000 euros).
Le parquet de Sétif, qui avait requis une peine de 5 ans d’emprisonnement lors du procès qui s’était tenu fin décembre, accusait l’étudiant et militant de 25 ans d’offense au président Abdelmadjid Tebboune, aux préceptes de l’islam et d’outrage à corps constitué.
Depuis février 2019 et le début du Hirak – ce mouvement massif de contestation qui rejette la classe politique actuelle et appelle à de profondes réformes –, l’instrumentalisation et la répression sont monnaies courantes. Mais alors que les manifestations sont à l’arrêt depuis plusieurs mois, notamment à cause de la pandémie de Covid-19, cette nouvelle condamnation pour des propos tenus sur Internet confirme la volonté des autorités de cadenasser jusqu’au Web toute opposition.
De la rue au Web, la répression continue
«Les débats, mobilisations et échanges ont migré sur les réseaux sociaux, et la répression a suivi, explique Amel Boubekeur, chercheuse franco-algérienne à l’EHESS et spécialiste du Maghreb contactée par Libération. La condamnation de Kechida n’est qu’une manière assez lâche de faire un exemple au travers de quelqu’un qui n’a pas beaucoup de relais médiatique ou politique. On n’est pas à la pointe de l’infiltration, on tape juste dans le tas, faute d’une vraie stratégie pour contenir l’opposition. Et une fois de plus, ça ne fonctionne pas : les gens continuent de reprendre ses mèmes sur les réseaux sociaux.»
Sur Twitter ou Facebook, les messages de soutien au jeune militant ont en effet fleuri, de nombreux internautes partageant sa photo ou ses anciennes publications. Le nom de Walid Kechida ne vient que s’ajouter à ceux de la centaine d’opposants qui croupissaient déjà derrière les barreaux pour leurs liens avec le Hirak et leur contestation du pouvoir, selon les comptes tenus par le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association créée pendant le Hirak.
Stratégie floue et peines aléatoires
Pour justifier ces détentions arbitraires, la justice invoque principalement des «publications pouvant porter atteinte à l’intérêt national». De quoi permettre à Ammar Belhimer, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, d’affirmer qu’il n’y a pas «de prisonniers d’opinion en Algérie». L’incitation à des «attroupements non armés» ou encore la «mise en danger de la vie d’autrui» sont aussi régulièrement utilisées contre le peu de manifestants qui osent encore s’aventurer dans la rue, une manière à peine subtile de se servir de la pandémie pour accentuer la répression.
Quant aux peines prononcées, comme l’explique Amel Boubekeur, elles sont tout aussi aléatoires, allant pour les mêmes faits de quelques mois de sursis à plusieurs années de prison : «Ça dépend parfois de détails, comme de la volonté d’un juge de se faire remarquer par un gouverneur. Le peuple se retrouve coincé entre le marteau et l’enclume d’une justice incompétente, qui ne reçoit pas de consignes claires ou cohérentes.»