Le 17 janvier 1961, le Premier ministre déchu du Congo, Patrice Lumumba, était assassiné dans une forêt de la province sécessionniste du Katanga. Soixante ans après, RFI revient dans une série inédite en cinq épisodes sur l’homme, le mythe, l’histoire.
Pour ce premier volet, nous sommes accueillis en terre congolaise par Juliana Lumumba, l’unique fille de Patrice. Elle reçoit dans la maison familiale acquise par son père. Sous le regard de « Papa Patrice » et « Maman Pauline » dont les portraits habitent les murs, elle dévoile son album personnel, comme autant de preuves de son incroyable histoire. Exfiltrée au Caire avec ses frères par la volonté du président Nasser en octobre 1960, elle raconte entre rires et larmes une enfance intense, entre violence extrême et amour infini.
Kinshasa. Quartier de la Gombé. 2020
Une villa parmi d’autres au sein d’un jardin. La maîtresse de maison ouvre elle-même la porte et vous prépare un café dans la cuisine.
Bien que journaliste dans une autre vie, elle dit ne pas être à l’aise avec les interviews, mais accueille tout de même dans son salon et répond aux questions avec une rare sincérité. Formidable narratrice, elle passe dans la même phrase du français lettré au lingala de Kinshasa. Elle s’appelle Juliana. C’est l’unique fille de Patrice Emery Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, assassiné après quelques mois d’exercice.
Tour à tour lumineuse et sombre, drôle et profonde, Juliana Lumumba ne s’exprime pas comme une héritière. D’autant moins que, selon la tradition au Congo, chacun a son nom. « Maman Pauline nous l’a suffisamment répété en citant Son Patrice. Lumumba a dit : “Ce n’est pas votre nom, vous devez le mériter !” Nous n’avons pas grandi dans le culte de notre père, mais dans la dignité, le respect, la constance. Nous savons que nous ne sommes pas les légataires de la pensée de Lumumba, nous n’avons pas vocation à créer une dynastie. Ni sa famille, ni encore moins ses enfants ne se réclament d’un héritage. Mais en tant que fille et fils de ce pays, nous sommes engagés à titre personnel pour des idéaux auxquels nous croyons. »
Kinshasa. Quartier de la Gombé. 1960
Primature. Bureau et résidence du Premier ministre. Comme chaque matin, le Premier ministre Patrice Lumumba s’est levé très tôt. Lorsque sa petite fille de 5 ans revient de l’école où elle a voulu accompagner ses frères François (9 ans) et Patrice (8 ans), elle le trouve à son bureau. Nœud blanc dans les cheveux, elle s’assoit en silence et le regarde travailler… Juliana comprend intuitivement combien elle est privilégiée. « Moi, toute petite, j’étais collée à mon père, Papa Patrice. Maman Pauline n’aimait pas ça, mais mon père était très libéral, il trouvait ça normal. » Numéro 3 dans une fratrie de 4, Juliana sort de la maison pour jouer au foot avec ses frères et rêve par-dessus tout d’aller à l’école, encouragée par l’éducation de ses parents.
Mariée l’année de ses 15 ans avec Patrice, le jeune postier de Kisangani, Pauline a partagé depuis 1951 toutes les étapes de l’ascension de son nationaliste de mari, ainsi que ses idées progressistes. Les maîtres mots sont unité et souveraineté pour un Congo fédérateur de toutes ses régions et ethnies, dépositaire de ses richesses et maître de son destin. Mais dans cette vision universelle de la nation, est-ce qu’il y a une place pour les femmes ? Dans l’une de ses archives personnelles, Juliana a retrouvé un discours où son père affirme la nécessité d’avoir « les femmes à nos côtés au sein du MNC ». « Mon père voulait que toutes les femmes étudient, que les filles aillent de l’avant ». Si le projet du Mouvement national congolais concorde avec le discours émancipateur de Lumumba, son fondateur appliquait-il ses idées au sein de sa propre famille ? Regard espiègle, Juliana reprend le ton de la confidence : « J’ai demandé à ma mère… et c’était vrai ! Il avait un profond respect pour la femme ; vous savez, ma mère est restée veuve 53 ans. Et un jour, je lui ai demandé pourquoi elle ne s’était jamais remariée. Sa réponse a été catégorique. Quand on a connu un homme comme ton père, aucun ne peut arriver à son niveau ! » Pauline et Patrice avaient élevé quatre enfants, et Pauline ne voulait plus enfanter d’aucun homme.
Papa Patrice, Maman Pauline, François, Patrice, Juliana et Roland font partie des rares familles labélisées « évoluées » par le gouvernement belge avant l’indépendance. Une immatriculation attribuée à 217 sujets de la colonie sur 14 millions d’habitants en 1958. « Il s’agissait de montrer qu’en tant qu’évolué, vous viviez comme un Blanc, et c’est cela qu’ils sont venus inspecter ! » Juliana a voulu comprendre ce que ce statut d’évolué impliquait en terme de mode de vie et a questionné sa mère sur le sujet. « Les Belges sont venus vérifier si nous avions une cuisine intégrée à la maison et non dans la cour, si nos toilettes étaient nettoyées, et si les enfants étaient propres. Si nous avions notre propre chambre, des pyjamas, des oreillers, et si nous mangions avec des fourchettes. » Juliana s’étrangle : « C’est un système qui s’apparente à l’apartheid ! »
Présenté comme une promesse d’égalité, le statut d’évolué est dénoncé dans la revue La Voix du Congolais, l’une des nombreuses lectures de Patrice Lumumba. Et en 1956, les évolués rejettent l’idée d’une communauté belgo-congolaise dans le manifeste « Conscience Africaine ». Ils ont mieux à faire en reconsidérant leur situation à l’aune de leur propre culture. Autodidacte, Patrice Lumumba n’a pas été formé par l’Église catholique comme les autres leaders politiques mais chez les protestants. Il a voyagé depuis son Sankuru natal jusqu’à la ville cosmopolite de Stanleyville [Kisangani], puis à Léopoldville [Kinshasa], où il s’investit dans de multiples associations, une première école politique. Son goût pour la lecture est insatiable, Voltaire et Rousseau sont dans sa bibliothèque, ainsi que Martin Luther King ou Gandhi et la déclaration universelle des droits de l’homme sa grande référence. Mais nulle trace de Marx ou Lénine. Juliana aime citer l’unique poème retrouvé de Patrice : « Et pour te faire oublier que tu étais un homme on te fait chanter les louanges de Dieu. » Et d’ajouter en citant Lumumba : « L’Église nous apprend à aimer notre prochain, mais pourquoi tant d’injustices, pourquoi n’avons-nous pas le même statut que les Belges ? Il posait ce genre de question pendant la colonisation, ça ne devait pas plaire, évidemment. »
Juliana feuillette son album de famille. Papa Patrice, premier Premier ministre du Congo indépendant, panafricaniste, démocratiquement élu. Le sourire éclatant d’une petite fille de 5 ans au ruban blanc qui désigne son père sur une coupure de presse. Les visages réconfortants de Maman Pauline et Maman Zizi (sa mère adoptive égyptienne). Et puis la fratrie devenue adulte, enfin au pays après 35 ans d’exil. Que s’est-il passé ?
Assigné à résidence suite à sa révocation par le président Kasa-Vubu, Patrice Lumumba est inquiet pour sa famille. A-t-il déjà conscience que sa vie est en danger ? Lui qui a défendu l’unité du Congo est en contact avec Le Caire par l’intermédiaire de M. Abdel Aziz Ishak, venu ouvrir l’ambassade d’Égypte à Léopoldville quelques semaines plus tôt. « Ils avaient en commun le sens de la lutte anticoloniale, ils partageaient des opinions progressistes sur l’indépendance, des idées non violentes… et je suppose qu’à un moment donné, la question s’est posée : que vont devenir les enfants ? » Après un long silence ému, Juliana revit octobre 1960, entre stupeur et excitation. Abdel Aziz Ishak a informé le président Nasser de la situation. Puis l’Égypte a envoyé de vrais faux passeports. « Donc, François c’était Tarek, Patrice c’était Omar, et moi Fatma. » Mais encore fallait-il sortir les enfants de la résidence en toute discrétion. Deux cercles entourent la primature, celui des soldats de l’ONU et celui de la Force publique. La stratégie adoptée consiste alors à sortir des soldats égyptiens du contingent onusien pour convoyer les petits Lumumba en Jeep jusqu’à l’aéroport. « On nous a planqués à l’arrière dans des caisses Bralima vides de bouteilles, précise Juliana en retenant son souffle, et puis… on fonce. Direction l’avion. » Il n’existe pas encore de société nationale d’aviation, c’est donc à l’embarquement d’un vol Sabena, un vol de la compagnie belge, que se présentent Abdel Aziz Ishak et ses trois enfants noirs. Lui est blond aux yeux bleus. L’atmosphère est tendue… mais l’opération est une réussite. « Ce dont je me souviens, c’est que François voulait toujours ouvrir les hublots, mais c’était interdit !!! »
Le Caire. Villa de la famille Abdel Aziz Ishak. Octobre 1960
Après avoir fait escale dans nombre de capitales et d’ambassades européennes dont la Suisse, la joyeuse fratrie et la poupée dont Juliana ne se sépare jamais malgré sa grande taille, finissent par atterrir sur la terre libre d’Égypte. Une Égypte libérée du joug britannique et de la royauté du roi Farouk depuis 1952 par les officiers libres, mouvement créé par Nasser, président depuis 1956 et chantre du panarabisme. « C’était assez impressionnant, les motards, les ambulances, les cortèges… mais surtout, avant de quitter Kinshasa, Papa avait pris François sur ses genoux pour lui dire ces mots : “Vous allez en Égypte pour étudier, mais après avoir fait vos études, vous rentrez au pays pour travailler.” Et c’est ce que nous avons fait.»
Tandis que Roland, le petit dernier de la fratrie âgé de deux ans, est toujours à Kinshasa avec Maman Pauline, l’arrivée de Juliana et de ses frères au Caire nourrit les conversations dans les couloirs de la présidence. « Vous allez en faire de parfaits musulmans ! » Quand certains collaborateurs de Nasser plaisantent sur le rôle éducatif de M. et Mme Ishak, « Papy » – comme l’appelle tendrement Juliana –répond vertement : « Leur père me les a donnés chrétiens, ils resteront chrétiens ! » Et lorsque « Mamy » présente Juliana et ses frères au prêtre de l’église de Zamalek où elle les conduit tous les dimanches, elle précise qu’elle ne rentrera pas à l’intérieur avec eux pour la messe, car elle est musulmane. C’est donc dans l’amour et la tolérance que Juliana est accueillie dans sa nouvelle famille, où elle est élevée avec ses deux frères sans aucune différence avec les trois enfants biologiques de la famille. « Dans les milieux diplomatiques, on se reçoit beaucoup, et les enfants doivent saluer les invités. Nous, nous étions six. Trois Blancs, trois Noirs ; trois musulmans, trois chrétiens… cherchez l’erreur ! » Le regard de Juliana Lumumba se fixe, puis son visage s’assombrit. « Tout était différent pour nous, enfants de la violence… enfin d’un crime contre l’humanité. »
Juliana exfiltrée au Caire avec ses frères en 1960 quelques mois avant l’assassinat de son père Patrice Lumumba.© RFI/Valérie Nivelon avec l’aimable autorisation de Juliana Lumumba
Patrice Lumumba est assassiné le 17 Janvier 1961. Un crime politique perpétré au nom de la lutte contre le communisme, emblématique de la guerre froide et du néo-colonialisme (cf. épisodes suivants de ce dossier). Mais peut-on assassiner des idées ?
Ce n’est que plusieurs semaines plus tard, au mois de février 1961, que la presse internationale annonce la mort de Lumumba. À New York, siège de l’ONU, l’amertume des veillées funéraires est décrite par le correspondant du journal The Observer. La non-intervention des Nations unies pour protéger le Premier ministre légalement élu ne passe pas. Et le 15 février, une manifestation perturbe le Conseil de sécurité. À Kinshasa, les gens sortent dans la rue. Selon la tradition, les femmes sont pieds et seins nus. En tête du cortège silencieux, Maman Pauline marche avec son petit Roland dans les bras pour réclamer le corps de Patrice, son mari, au chef de l’ONU. Pauline Opango a 28 ans et ne sait pas encore qu’on ne le lui rendra jamais. Elle prononce le nom de Lumumba, Son Patrice… Repris par la foule à l’autre bout du continent. Le nom de Lumumba est populaire et la clameur monte dans les rues du Caire… une foule immense dans la mémoire d’une toute petite fille. « LU-MUM-BA, LU-MUM-BA », entend Juliana sous les fenêtres de son balcon. Mais comment expliquer à des enfants de 5, 8 et 9 ans la monstruosité des faits ? En leur montrant combien la mort de leur père suscite une colère mais aussi une profonde tristesse, afin qu’ils puissent un jour mesurer la dimension emblématique et historique de l’événement. C’est ainsi que les deux garçons accompagnés de leur père adoptif Abdel Aziz Ishak sont véhiculés par la présidence égyptienne sur les lieux mêmes des réactions. Pour voir l’ambassade de Belgique saccagée, pour voir les vitrines brisées de l’ American University Library of Cairo. Juliana était souffrante mais François et Patrice lui ont raconté ce qu’ils ont vu. « Nous avons très vite compris la dimension politique de l’assassinat de notre père, nous en avons été les témoins dans les rues du Caire. »
Le Caire. African Association. Années 1970
Les petits Lumumba étudient au lycée français, mais parlent couramment l’arabe, leur langue d’adoption, et sont photographiés et même filmés en train de jouer et d’étudier. Leurs parents adoptifs ne font aucune différence entre leurs enfants blancs et leurs enfants noirs. La famille Lumumba est toujours soutenue par Nasser, dont la présence est constante. Maman Pauline et le petit Roland sont venus rejoindre Le Caire dans l’année qui a suivi l’assassinat de Patrice. L’été, une voiture vient chercher Juliana et tous ses frères et sœurs pour aller s’amuser et nager dans les jardins de la présidence. Choyée, aimée, la jeune fille est éduquée par deux mamans, et ce n’est pas de trop pour faire face au drame de l’assassinat de son père.
Devenue adolescente, elle s’interroge sur son histoire et en ressent profondément toute l’injustice. « D’autant que le nom de Lumumba est extrêmement positif dans l’entourage dans lequel j’évolue ». Sa sœur égyptienne Magdi devient sa meilleure amie. Ensemble, elles grandissent dans l’effervescence révolutionnaire des années 1970. « À cette époque, c’était le panarabisme mais aussi le panafricanisme et tous ces mouvements de libération étaient les bienvenus en Égypte.»
Le père égyptien de Juliana, Abdel Aziz Ishak, grand intellectuel et professeur d’arabe a créé le bureau de l’African Association dans sa propre villa, au Caire. Le Ghana, la Guinée, le Mali, mais aussi l’Égypte, aux côtés des Algériens, étaient des soutiens du régime de Patrice Lumumba au Congo contre les Kasa-Vubu et Tshombé soutenus par le « camp impérialiste ». Nasser citait toujours dans ses discours l’exemple du Congo pour souligner l’engagement de l’Égypte dans les luttes de libération. Chaque mouvement avait son bureau à l’African Association, l’ANC sud-africain, le PAIGC cap-verdien, le Frelimo du Mozambique. « Avec Magdi, on passait d’un bureau à l’autre les communiqués. La maison, c’était un peu l’Organisation de l’unité africaine. On croisait les Samora Machel, Robert Mugabe, tous les révolutionnaires sont passés par cette maison ! » Pour parfaire la formation de ses enfants, « Papa Aziz nous faisait asseoir tous, pas seulement nous les Lumumba », insiste Juliana, « et nous expliquait ce qui se passait au Congo. Qui est notre père, qui est Mobutu, qui est Tshombé ». Un Moïse Tshombé, Premier ministre de l’État séparatiste du Katanga ridiculisé par Nasser lorsqu’il le « séquestre » au Caire en 1964, lors du sommet de l’Unité africaine.
Immergée dans une Afrique en lutte, en rupture avec les anciennes puissances coloniales, Juliana et ses frères reçoivent une éducation humaniste et panafricaine pour les préparer à rentrer un jour au pays. Une éducation qui les maintient debout. « Même si nous sommes des enfants de la violence, nous avons retrouvé une famille, et jusqu’à aujourd’hui, les enfants de Abdel Aziz Izhak sont encore et toujours mes frères et sœurs ! ». Néanmoins, au sentiment d’injustice s’ajoute un sentiment de révolte dans le cœur de Juliana. « Pourquoi nous ont-ils fait tant de mal ? Pourquoi ce crime atroce ? Qui sont les coupables ? » Ses premières questions seront suivies de beaucoup d’autres. Elles seront les questions de toute une vie.
Kinshasa. Quartier de la Gombé. 2020
Dans la villa familiale où Juliana s’est installée définitivement depuis la disparition de sa mère. Les albums photographiques mêlent événements publics et privés. Nommée ministre de la Culture en 1997 par l’ancien président Laurent-Désiré Kabila, père de l’ex-chef de l’État Joseph Kabila, on la découvre pimpante lors d’une soirée de gala au bras de Thomas Kanza (délégué congolais à la table ronde de 1960 qui a conduit à l’indépendance). Sur les images, sa mère est tout sourire, pleine de fierté de voir sa fille ministre « bien qu’elle aurait souhaité que je devienne médecin », ajoute Juliana dans un éclat de rire. Elle s’attarde également sur l’image de la fratrie réunie, évoque avec admiration l’implication en politique de son frère aîné François pour la renaissance du Mouvement national congolais et rappelle que « François est quand même parti au Zaïre en 1981 (le nom de la RDC sous Mobutu) pour aller rencontrer Laurent-Désiré Kabila dans son maquis à Fizi Baraka, à l’âge de 24 ans ! » Juliana, pour sa part, a été le porte-parole du MNC à l’étranger pendant quelques années, « pour vous dire qu’après la violence de la rupture, nous avons voulu nous réinscrire dans une continuité ». Comment définir cette direction donnée par Lumumba, son père ? En relisant sa lettre à Pauline, rédigée par Patrice sans savoir si elle serait lue par sa femme, une lettre intime mais aussi un testament politique : « Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, ni quand ils te parviendront et si je serais en vie quand tu les liras ». Lumumba y rappelle à nouveau sa lutte et ses valeurs. C’est aussi une lettre qui s’adresse à ses descendants. Juliana recherche le paragraphe pour le lire à voix haute « À mes enfants que je laisse et que peut-être je ne reverrai pas, je veux que l’on dise que l’avenir du Congo est beau, et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’homme libre. » Père de l’indépendance, sacré héros national par Mobutu en 1966, Patrice Lumumba est devenu un mythe revendiqué par tous les acteurs politique au Congo. Mais qui s’inscrit réellement dans ses pas ? Et qui connaît réellement sa pensée et son histoire ?
Chaque année pour le 17 janvier 1961, une gerbe de fleurs est déposée au pied de la statue de Lumumba à Kinshasa, puis une messe est célébrée dans la cathédrale. En soirée, Juliana ouvre les portes de la villa familiale à celles et ceux qui le souhaitent. « J’aime ce rêve que Patrice Lumumba avait pour le Congo, cette communauté de destins qui transcendaient toutes les ethnies, dans une économie solidaire où la redistribution existe, où l’avenir de tous les Congolais se construit à partir de notre culture. » Mais le 17 janvier est une date, et une date n’est pas une tombe. Comment faire son deuil ? Au-delà des différentes enquêtes judiciaires, historiques, journalistiques sur les responsabilités des États impliqués dans l’assassinat de Patrice Lumumba et leurs bras armés, au-delà du nécessaire établissement des faits pour enfin rendre justice à l’homme et écrire l’histoire partagée de tous les Belges et tous les Congolais, il existe une autre histoire, intime. La souffrance personnelle d’une fille qui a vu sa mère mourir sans avoir pu porter son mari en terre. « Dans toutes les cultures du monde, la vôtre, la mienne, on prend un soin particulier à inhumer nos chers parents. Et c‘est un devoir en tant qu’enfant. De même qu’il est de notre devoir de tout faire pour que la vérité soit faite afin de rétablir la mémoire de mon père qui a disparu. » Une disparition sans corps ni coupable pour laquelle le gouvernement belge a reconnu sa « responsabilité morale ». Si la famille a porté plainte en 2011, la justice n’est toujours pas passée.
Lors de l’été 2020, Juliana prend la plume et écrit au roi Philippe de Belgique, neveu du roi Baudouin, dernier souverain de la colonie du Congo. Un ancien soldat de la Force publique belge a présenté une dent de Patrice Lumumba comme un trophée, comme la preuve qu’il avait bien découpé le corps du Premier ministre pour ensuite le détruire dans l’acide. La relique est réclamée par la famille Lumumba. Dans sa lettre, Juliana ne polémique pas. Elle exprime son émotion et ses sentiments. « En tant que ses enfants, on doit pouvoir inhumer notre père. Je fais appel à l’humanité du roi Philippe. » Juliana a pesé chaque mot et ose donner voix à la petite fille de 5 ans qu’elle était : « Sa mémoire nous hante comme le vol de l’oiseau quand il ne jaillit pas comme une lueur qui surgit comme une majestueuse fleur. » Lorsqu’elle pense à son père, ce ne sont pas les images dramatiques qui s’imposent à son souvenir, les images de son assassinat, mais « les images lumineuses, parce que j’aimais beaucoup mon père, et mon père m’aimait beaucoup… Il sera chez lui bientôt ».
Texte par : Valérie Nivelon
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