C’EST une nouvelle provocation à l’adresse des Européens et peut-être plus encore vis-à-vis de l’Allemagne qui a accueilli et soigné l’opposant russe Alexeï Navalny victime d’un empoisonnement au Novitchok, jusqu’à ce que celui-ci ne quitte Berlin, dimanche, pour rejoindre Moscou.
Sans surprise, son arrestation a déclenché l’indignation sur le continent. À commencer par celle du président du Conseil européen, Charles Michel. Son message tranchant posté sur Twitter dès dimanche soir ne souffre pas la moindre ambiguïté : « La détention d’Alexeï Navalny à son arrivée à Moscou est inacceptable. J’appelle les autorités russes à le libérer immédiatement. »
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Le Quai d’Orsay a également fait état de sa « très forte préoccupation », appelant aussi à « la libération immédiate » de l’opposant russe. Même tonalité à Berlin où les prises de position ont toutefois semblé un peu en deçà de la gravité de la situation durant quelques heures. Navalny «devrait être libéré immédiatement », avait réagi le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, employant curieusement le conditionnel. Avant que le porte-parole de la chancelière ne se montre plus mordant, dénonçant une arrestation « arbitraire », susceptible de peser sur les relations bilatérales entre Berlin et Moscou. Angela Merkel n’a pas oublié qu’elle avait personnellement rendu visite à Alexeï Navalny lorsque celui-ci était hospitalisé à Berlin.
Une réponse sans équivoque
Bien évidemment, l’inquiétude est encore plus forte à l’est du continent, de la part des Baltes et des pays d’Europe centrale et orientale réunis au sein du groupe de Visegrad, à l’exception notoire de la Hongrie, qui continue de ménager Moscou.
Les Vingt-Sept profiteront, jeudi, de leur visioconférence consacrée au coronavirus pour évoquer cet inquiétant rebondissement. Il sera aussi au menu de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE prévu lundi prochain.
Pour l’heure, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a fait connaître la position des Vingt-Sept dans une déclaration commune diffusée lundi après-midi. L’UE y « condamne la détention » de Navalny et « demande sa libération immédiate », tout comme celle de « tous les journalistes et citoyens qui ont été détenus en raison de leur reportage et de leur soutien » à Navalny. Elle invite en outre Moscou à enquêter sur «la tentative d’assassinat » dont il a été victime en coopérant avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.
S’il n’est pas question de nouvelles sanctions à ce stade, les Européens s’emploient à rappeler les « mesures restrictives » qui avaient été prises après l’empoisonnement de Navalny. Les sanctions requièrent l’unanimité et il s’agit là d’un terrain glissant pour les Européens tant les positions divergent entre les capitales. Seuls quelques États membres les ont d’ores et déjà explicitement réclamés depuis l’arrestation de Navalny. Parmi eux, la Lituanie et l’Estonie, où l’on n’en finit pas de s’inquiéter de l’agressivité du voisin russe. « L’UE doit agir rapidement et, si Alexeï Navalny n’est pas libéré, nous devons envisager l’imposition de mesures restrictives en réponse à cet acte », a souligné le ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis.
« L’Union européenne devrait cibler l’argent, les oligarques, pas seulement les anciens oligarques. »
Alexeï Navalny
À la suite de l’empoisonnement de l’opposant russe, les Européens avaient décidé mi-octobre, et au terme d’interminables discussions, de cibler six responsables russes – dont l’homme d’affaires Evgueni Prigogine, proche de Vladimir Poutine – et un laboratoire scientifique.
Ces sanctions n’ont manifestement pas eu l’effet escompté. Ce qu’avait anticipé l’opposant russe lors d’un échange, fin novembre, avec des membres du Parlement européen. « L’UE devrait cibler l’argent, les oligarques, pas seulement les anciens oligarques, mais les nouveaux, membres du cercle proche de Poutine », avait-il alors déclaré, soulignant que « tant que les yachts de M. Ousmanov continueront à mouiller à Barcelone ou à Monaco, personne en Russie ou au Kremlin ne prendra les sanctions européennes au sérieux ». Les Européens n’ont pas d’autre choix que d’aller plus loin.