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France: nous serions potentiellement tous des “séparatistes” désormais…
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Emmanuel Macron présente son plan contre « le séparatisme islamiste »
Le chef de l’Etat a prononcé un discours offensif aux Mureaux (Yvelines), pour déclencher un « réveil républicain ».
Par Alexandre Lemarié et Olivier Faye
« Ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste. » Emmanuel Macron a tenté de mettre fin, vendredi 2 octobre, à l’occasion d’un discours prononcé depuis l’hôtel de ville des Mureaux (Yvelines), à des mois de tergiversations, de débats sémantiques et de querelles internes à l’exécutif. Le chef de l’Etat, accusé d’avoir « du mal à prononcer le mot islamisme », selon le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a tenu à poser clairement sa doctrine. Il entend donc lutter contre « l’islamisme radical », cette « idéologie » qui « affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République », et tente parfois « de verser le sang, comme vendredi [25 septembre], à proximité des [anciens] locaux de Charlie Hebdo ».
Un « projet conscient, théorisé », selon le chef de l’Etat, « qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et donc la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles communautarisées, l’endoctrinement ». Autant de problèmes auxquels l’exécutif prétend répondre à travers un projet de loi, qui sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre et devrait être baptisé « laïcité et libertés ». « L’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui partout dans le monde », a assuré M. Macron.
Combattre les « ingérences étrangères »
Avec ce texte, le locataire de l’Elysée veut déclencher un « réveil républicain ». Dans le domaine éducatif, d’abord. Pour éviter le phénomène « des écoles illégales, souvent administrées par des extrémistes religieux », il a annoncé que, « dès la rentrée 2021 », l’instruction au sein d’une école sera rendue obligatoire pour tous dès 3 ans. L’enseignement à domicile, qui concerne près de 50 000 enfants, devra dorénavant être limité aux impératifs de santé. « Une décision forte, a-t-il vanté. Sans doute l’une des plus radicales depuis les lois Ferry de 1882 et celle assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969. » Le chef de l’Etat entend aussi renforcer l’encadrement des écoles hors contrat, « parce que l’école doit d’abord inculquer les valeurs de la République non celles d’une religion, former des citoyens, non des fidèles ».
M. Macron a par ailleurs confirmé sa volonté de combattre les « ingérences étrangères » en mettant fin au dispositif d’enseignement de langue et de culture d’origine (ELCO), ces cours facultatifs en langues étrangères dispensés par des enseignants désignés par des gouvernements d’autres pays. Une décision déjà prise en 2016 par Najat Vallaud-Belkacem, et mise en œuvre partiellement en 2017.
Autres mesures confirmées : la fin, « sous quatre ans », du système des imams étrangers détachés, ou encore le contrôle plus strict du financement des mosquées, qui seront incitées à sortir de la forme associative pour basculer vers le régime de la loi de 1905. L’instauration d’un dispositif « antiputsch », pour empêcher des « extrémistes » de prendre le contrôle de certains lieux de culte musulmans, est également prévue. Le chef de l’Etat a par ailleurs assuré avoir écarté l’idée, un temps envisagée, de retenir une « approche concordataire » pour parvenir à « construire un “islam des Lumières” dans notre pays, en paix avec la République ».
Le projet de loi risque de susciter l’ire de certains élus locaux. Choqué que des communes « envisagent d’imposer des menus confessionnels » dans les cantines ou d’exclure « les hommes et les femmes de certains créneaux d’accès aux piscines », Emmanuel Macron veut que les préfets puissent suspendre d’autorité les pratiques contraires aux principes de laïcité et d’égalité imposées par certains maires. Si la décision du représentant de l’Etat n’est pas appliquée, ce dernier pourra alors se substituer à l’autorité locale, avec l’accord du juge.
« Regarder le problème de manière froide »
Cette offensive sur le sujet vise par ailleurs à vanter le bilan des chantiers entrepris depuis trois ans, alors que la droite et l’extrême droite accusent l’exécutif de « faiblesse » contre l’islam politique. « Dès fin 2017, des plans de lutte contre la radicalisation impliquant l’ensemble des services de l’Etat ont été déployés à bas bruit dans quinze quartiers », a expliqué M. Macron, avant d’égrener une série de données : « 212 débits de boisson, quinze lieux de culte, quatre écoles et treize établissements associatifs et culturels » ont été fermés.
D’après le chef de l’Etat, la mise en place de cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire dans chaque département aurait porté ses fruits, en permettant, par exemple, de « fermer une école clandestine où des jeunes filles de 7 ans portaient le voile intégral ». « On n’a pas attendu pour répondre à ces menaces, insiste son entourage. Le président veut regarder le problème de manière froide et n’a qu’un objectif : obtenir des résultats. » M. Macron a confirmé la mise en place d’un « contrat de respect des valeurs de la République » pour les associations. En cas de non-respect, ces structures devront rembourser les subventions perçues. L’exécutif envisage également d’intégrer au projet de loi l’interdiction des certificats de virginité, une mesure chère à la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa.
Une première version du projet de loi doit être présentée aux représentants des cultes, à la mi-octobre, avant que le texte définitif atterrisse sur la table du conseil des ministres le 9 décembre. Il sera ensuite transmis à l’Assemblée nationale en janvier 2021. Pour l’heure, sa rédaction n’est pas encore totalement bouclée car les dispositions qui y figurent requièrent un haut niveau d’« expertise juridique », estime l’Elysée, afin de ne pas risquer une censure du Conseil constitutionnel.
Lors de son discours aux Mureaux, Emmanuel Macron a tenté de tenir une ligne de crête : ni stigmatisation des musulmans, ni victimisation. « La laïcité, c’est le ciment de la France unie », a-t-il déclaré, tout en appelant à ne pas se laisser « entraîner dans le piège de l’amalgame tendu par les polémistes et par les extrêmes, qui consisterait à stigmatiser tous les musulmans ». « Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme, celui de nos quartiers », a jugé le président de la République, dénonçant une « ghettoïsation » et « une concentration de la misère et des difficultés ».
Une action en faveur de l’« égalité des chances »
Si le projet de loi à venir sera centré sur la lutte contre l’islamisme, le chef de l’Etat entend « marcher sur ses deux jambes », rappelle son entourage, en menant en parallèle une action en faveur de l’« égalité des chances ». « Il faut lutter contre les séparatismes, en étant intraitable avec les ennemis de la République, mais aussi être au rendez-vous de la promesse républicaine, en faisant plus en matière d’égalité des chances, car c’est ce qui fait le nid des séparatismes », souligne Nadia Hai, ministre déléguée à la ville.
Jeudi, cette dernière a annoncé le financement de 40 nouvelles « cités éducatives » pour aider à l’insertion des jeunes. M. Macron a promis d’annoncer « au cours de l’automne » de nouvelles mesures pour lutter contre les discriminations. « Il y a une volonté très forte du président qu’on avance sur les deux tableaux, dans la droite ligne de ce qu’il porte depuis 2017, développe le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Ce n’est pas la synthèse centriste de deux visions différentes mais l’idée de pousser les feux très forts sur ces deux volets : fermeté sur le séparatisme et, en même temps, égalité des chances et émancipation. » Mais c’est bien sur le premier aspect que l’Elysée entend insister, à un an et demi de l’élection présidentielle de 2022.
L’entourage d’Emmanuel Macron a fait le constat suivant : après avoir émergé aux yeux de l’opinion sur l’économie à partir de 2014, puis être apparu à l’avant-garde sur les questions internationales depuis son élection, en 2017, l’ancien ministre de François Hollande manque toujours de « marqueurs » sur le régalien. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché à imposer l’immigration et la sécurité dans le débat depuis un peu plus d’un an. Cette nouvelle séquence consacrée à l’islamisme doit permettre en théorie au chef de l’Etat de consolider ses positions auprès de l’électorat de droite. « Quand tu es président de la République, tu prends en compte la totalité des Français. Il y a un sujet d’angoisse général », justifie un macroniste, pourtant guère emballé par cette thématique très clivante. Certains, au sein de la majorité, s’interrogent sur l’urgence qu’il y a à traiter un sujet pareil à l’heure où les angoisses se traduisent aussi à travers la crise sanitaire et économique.
L’offensive contre le « séparatisme islamiste » d’Emmanuel Macron n’a pas convaincu à droite comme à gauche, où on juge le discours du chef de l’Etat hors sujet, quand la majorité salue au contraire « une expression forte loin des caricatures ». Une avalanche de réactions indignées a également émaillé le monde associatif, qui dénonce une « stigmatisation » des musulmans.
« Hypocrite et malfaisant »
Sans surprise, le Rassemblement national et une partie de la droite tirent à boulets rouges sur les propositions du chef de l’Etat. Gilbert Collard, député européen, salue « un bon programme » mais « détruit de l’intérieur » par le rôle confié au Conseil français du culte musulman qu’il estime « noyauté » par les Frères musulmans. « Pas un mot sur l’immigration massive qui est le terreau du communautarisme », ajoute le parti. « Ce texte sera un coup pour rien », pronostique le député Les Républicains Eric Ciotti à propos du futur projet de loi.
A gauche, les réactions sont plus nuancées, mais on estime que les solutions avancées par le président ne s’attaquent pas aux vraies causes. Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, admet que ses propos « évitent le piège de la stigmatisation de toute une religion », mais regrette l’absence d’une inflexion de sa politique économique et sociale. Chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a fustigé pour sa part le « caractère hypocrite et malfaisant » du discours.
« Le président de la République n’élude, ni ne caricature, ni ne minimise la menace. Il propose des solutions concrètes et quotidiennes », estime quant à lui le MoDem.
#Levraiséparatisme
« Un certain nombre de problèmes comme la radicalisation se posent dans certains quartiers ghettoïsés, mais c’est avant tout parce que la République les a abandonnés », a affirmé à l’AFP le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, en déplorant une « obsession politique » autour de l’islam en France.
Pour le président de la Ligue des droits de l’homme, Malik Salemkour, ce discours est une « inflexion profondément inquiétante ». « Alors qu’Emmanuel Macron avait jusque-là évité de diviser, il reprend cette fois les discours de l’extrême droite et nomme le coupable, les “musulmans intégristes” ».
Le collectif Banlieues Respect, créé en 2005 lors des émeutes urbaines et regroupant plusieurs associations issues de quartiers populaires, dénonce, lui, « une opération de marketing politique à l’approche des élections » qui va « stigmatiser encore plus la communauté musulmane ».
Plusieurs collectifs de lutte contre le racisme et l’islamophobie ont, par ailleurs, lancé une campagne sur Twitter intitulée #Levraiséparatisme, où ils dénoncent des politiques répressives contre-productives. Dans une vidéo, Assa Traoré, figure de proue du comité La Vérité pour Adama fondé après la mort de son frère en 2016, déclare ainsi :
« Pour moi, le vrai séparatisme, ce sont ces policiers qui tiennent des propos racistes et des injures. »
Le porte-parole de l’ONG Attac Raphaël Pradeau accuse, lui, Emmanuel Macron « de faire diversion » en « stigmatisant les immigrés et les personnes de confession musulmane » en pleine crise sociale et sanitaire. « Le séparatisme aujourd’hui se trouve du côté des très fortunés », affirme-t-il, en citant notamment « l’évasion fiscale ».