Pour la première fois de sa vie, à 82 ans, au terme d’une longue et brillante carrière menée au service des droits de l’homme et du combat pour la démocratie à Hongkong, le célèbre avocat Martin Lee s’est retrouvé dans le box des accusés… Un moment symbolique qui illustre la récente dérive punitive du système judiciaire de la région administrative spéciale, car l’ancien député, fondateur du parti démocratique et fort d’une nomination pour le prix Nobel de la paix 2021, avait toujours mis un point d’honneur, « en tant qu’homme de loi », à rester dans la légalité.
Mais, tout comme huit autres militants prodémocratie jugés au cours du même procès (lequel s’est ouvert mardi 16 février au tribunal de district de Kowloon West), Martin Lee est accusé d’avoir organisé une manifestation illégale le 18 août 2019 et d’y avoir pris part. Des accusations que la défense réfute et qualifie d’« absurdes ».
Ce jour-là, au cœur du chaotique été 2019, lequel avait commencé avec deux manifestations monstres contre un projet de loi d’extradition vers la Chine (chacune ayant mobilisé entre un et deux millions de personnes les 9 et 16 juin), un rassemblement avait été autorisé par la police à l’intérieur du parc Victoria (dans le quartier de Causeway Bay), point de ralliement habituel des grandes marches de protestation à Hongkong. « Nous avions demandé et obtenu un permis pour un rassemblement de 300 000 personnes, mais, face à la foule qui affluait, il était de notre devoir, pour la sécurité des participants, de transformer le rassemblement en marche. Nous connaissions le risque et n’avions cessé de demander l’autorisation à la police d’escorter les participants en dehors du parc », rappelle l’ancien député Lee Cheuk-yan, coaccusé.
Prison de haute sécurité
C’est donc dans ces circonstances que le rassemblement autorisé s’est transformé en une gigantesque marche – non autorisée – d’environ 1,7 million de personnes. La procession est toutefois restée paisible de bout en bout, la police n’étant pas intervenue.
Mercredi 17 février, la juge chargée du procès a refusé d’entendre le témoignage, sollicité par la défense, d’un expert indépendant dont le rapport explique les lacunes du dispositif policier ce jour-là. Clifford Stott, professeur de psychologie sociale et spécialiste des foules à l’université de Keele, au Royaume-Uni, a ouvertement critiqué l’attitude de la police de Hongkong, à l’origine selon lui de la radicalisation progressive des manifestants. Le ministère public a estimé que ce témoin n’était pas qualifié pour intervenir.
Parmi les coaccusés avec Martin Lee se trouvent sept autres anciens députés de l’opposition, parmi lesquels figurent notamment deux célèbres avocats des droits de l’homme, Albert Ho et Margaret Ng. Cette dernière, âgée de 73 ans, fut à l’avant-garde de l’opposition au projet de loi d’extradition, lequel allait déclencher le mouvement de révolte de l’été 2019. Sur le banc des accusés on trouve également Lee Cheuk-yan, cofondateur du parti travailliste mais aussi de l’Alliance de soutien aux mouvements patriotiques démocratiques de Chine, et qui organise chaque année depuis 1990 les veillées du souvenir du massacre du 4 juin 1989 sur la place Tiananmen à Pékin, ainsi que la défenseuse des droits de la communauté LGBT Cyd Ho, et l’éternel rebelle guévariste Leung Kwok-hung, surnommé « Cheveux longs ».
Le seul des neuf inculpés à ne pas avoir été député est le magnat de la presse d’opposition Jimmy Lai. Jimmy Lai, qui a été transféré dans une prison de haute sécurité, est également le seul à se trouver déjà en prison, à titre préventif, dans la mesure où il a été inculpé sous la loi de sécurité nationale pour complot avec des forces étrangères, en raison de ses appels à l’aide lancés aux États-Unis afin de les voir soutenir les aspirations démocratiques des Hongkongais.
Jusqu’à cinq ans de détention
Alors que son appel pour être libéré sous caution devait être entendu jeudi 18 février, Jimmy Lai a été une nouvelle fois inculpé, mercredi soir, sous un nouveau motif. La police l’a interrogé en lien avec la tentative de fuite par la mer vers Taïwan de douze jeunes militants en août 2020. Les douze, interceptés par les garde-côtes chinois, purgent actuellement des peines de prison allant de sept mois à trois ans, à l’exception de deux mineurs au moment des faits, renvoyés à Hongkong. « Dès que Jimmy Lai a une chance de sortir, la police l’accuse d’un nouveau délit. C’est bien la preuve de leur acharnement contre lui et de leur intention de le garder en prison », avait déclaré au Monde Lee Cheuk-yan en apprenant la nouvelle. Il est, lui aussi, accusé de neuf délits, tous liés à quatre manifestations illégales. « Nous n’avons tout simplement plus le droit de manifester. La police refuse de manière systématique toutes nos demandes de rassemblement », ajoute-t-il.
Le 18 avril 2020, la police avait procédé à un vaste coup de filet en interpellant simultanément une quinzaine de figures de l’opposition − parmi lesquels les neuf aujourd’hui en procès − chez eux à l’aube. L’opération s’était déroulée comme si ces acteurs connus de la vie publique (avocats, députés, universitaires, etc.), des seniors pour la plupart, étaient de dangereux criminels.
Faute de preuves quelconques, ils avaient toutefois été presque tous immédiatement remis en liberté sous caution, contre des sommes dérisoires. Depuis, Pékin a imposé à Hongkong, en date du 30 juin 2020, une loi draconienne de sécurité nationale, laquelle ajoute quatre crimes politiques, passibles de peines de prison à perpétuité, au droit hongkongais, jusque-là régi sur la base de la common law, système hérité de l’époque où Hongkong était une colonie britannique.
Lire aussi « Ils ont agi par amour de Hongkong » : la souffrance et l’espoir des jeunes militants incarcérés
Les neuf inculpés dans le procès en cours ne sont pas jugés dans le cadre de ces nouvelles lois, mais ils risquent tout de même cinq ans de détention. Seuls deux d’entre eux ont plaidé coupables, une pratique que les avocats de la défense tendent à préconiser de plus en plus souvent à leurs clients car elle accorde jusqu’à 30 % de remise de peine, dans un contexte où il semble de plus en plus rare que les accusés soient acquittés. Le procès « du 18 août 2019 » devrait durer dix jours. La date provisoire du verdict est fixée au 22 mars.