Par Rodrigues Pountu & Carine Kamogne, Horizons Nouveaux Magazine
Leur arrestation spectaculaire dans les rues de Yaoundé et Douala fut déjà tout ce qu’il y a d’arbitraire, illégal et rocambolesque. Au nom du Pmuc. Leur séjour dans les geôles des pénitenciers de Kondengui (Yaoundé) et de New-Bell (Douala) dure depuis près d’un an. Sans procès, et dans des conditions incroyablement inhumaines.
Retour sur une controverse mafieuse, ou quand l’ordre néocolonialiste français se prend à semer la terreur dans la vie des Camerounais.
L’une des plus grosses catastrophes qui soient survenues au Cameroun au cours des vingt ou vingt-cinq dernières années est l’installation sur notre sol d’une entreprise mafieuse et impérialiste du nom du PMUC, avec la complicité de certains pontes du régime en raison de son emprise incontestable qui, “n’ayant rien compris à la politique de développement du chef de l’État” font feu de tout bois d’investisseurs, dans le seul but de s’en mettre plein les poches.
La dernière actualité en date qui ramène négativement le Pmuc sur les devants de la scène ou rappelle cette sulfureuse entreprise au bon souvenir des Camerounais est liée à l’arrestation et à l’emprisonnement sans procès, depuis bientôt un an, de plusieurs centaines de nos compatriotes et ressortissants d’autres pays africains vivant au Cameroun. L’année dernière, des policiers et des gendarmes ont débarqué un matin devant divers kiosques du Pmuc où des accros des paris hippiques étaient en train de valider des tickets de course du jour, et ont embarqué ces derniers, ainsi que des passants, sans autre forme de procès, sans identification préalable. Ces gens, en obtempérant aux ordres des forces de l’ordre d’embarquer à bord des cars et pick-ups de la police et de la gendarmerie, croyaient simplement s’être retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment… d’une rafle.
Comme lorsqu’après une évasion massive dans des prisons, il faut procéder à de pareils “ramassages”, puis, une fois après identification dans les postes de police, libérer les honnêtes gens ne faisant pas partie des «wanted». Ce n’est que par la suite qu’ils apprendront, ébahis, qu’ils étaient impliqués dans une histoire de prise illégale de paris ayant causé des préjudices au Pmuc. Depuis, on en est là. Du côté de la justice, comme s’il s’était agi d’une conspiration du silence pour sacrifier des êtres humains à un rituel sorcier, personne n’ose lever un pan de voile pour éclairer le public. Tout au plus évoque-t-on ou se cache-t-on derrière le fameux secret de l’instruction. Et c’est ici que des informations fusent au sujet de la haute qualité des personnalités tapies derrière le Pmuc et permettant à cette filiale de la société française Pari Mutuel Urbain, de se comporter au Cameroun comme en territoire occupé.
Un journal n’évoquait-il pas l’année dernière une conversation téléphonique entre un ministre camerounais et le patron du PMUC au cours de laquelle le premier recommandait à son interlocuteur français de faire en sorte que les cadeaux offerts par le clan Tomi ne “laissent pas de traces”. Il faut dire que le clan Tomi, du nom du grand patron de la multinationale française PMU est très puissant en Afrique. Cela tient à la fois de la personnalité sulfureuse de cet homme que la presse française appelle «Le dernier parrain français» Un vendeur des tickets du PMUC dans un kiosque. Du travail à l’esclavage la société des jeux n’a fait qu’un pas. Et très allègrement sur la mafia corse, ou «l’empereur des jeux en Afrique», au regard de l’installation du PMU dans la plupart des pays jadis colonisés par la France ou placés sous sa tutelle (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Gabon, Cameroun…). Depuis bientôt six ans, l’homme qui a finalement été interpellé l’année dernière, est soupçonné par la justice de blanchir en France, une partie de l’argent gagné en Afrique, et de financer des chefs d’États africains impliqués dans le «système Tomi», y compris des insoupçonnables qui passent pour des messieurs propres et des démocrates bon teint conformément aux canons occidentaux.
Le bras long
À ce sujet, le journal français “Le Monde” révélait l’année dernière : «Avril 2012. Par un bel après-midi printanier, un homme en costume azur sort du restaurant parisien huppé La Maison de la truffe, escorté par ses gorilles. C’est IBK (Ibrahim Boubakar Keita, le chef de l’État malien, ndlr). Il serre dans ses bras un Michel Tomi en petite forme. Atteint d’une sclérose en plaques, il se déplace en fauteuil roulant. Son lieutenant, Jean-Luc Codaccioni, dit «Johnny», est également présent. Les trois hommes ne sont pas seuls: les policiers, en planque, mitraillent la scène au téléobjectif. M. Tomi sait entretenir ses amitiés. Il fournit des vêtements de marque au futur Président malien, paie ses séjours à l’hôtel parisien La Réserve, met à sa disposition des avions pour sa campagne présidentielle. M. Tomi possède deux compagnies aériennes, Afrijet et Gabon Airlines.
Fin juillet 2013, la police judiciaire est saisie par les juges Tournaire et Roberta.
Une petite équipe travaille dans le secret. Au sein de la direction centrale de la PJ, l’enquête provoque des dissensions: le clan Tomi a des amis dans la Maison, comme dans le monde poli- tique. Placé sur écoute, M. Tomi est bavard au téléphone. Il discute avec ses hommes de main, chargés de rapatrier l’argent en France. Le nom d’IBK revient souvent. M. Tomi est d’ailleurs présent à la cérémonie d’intronisation du nouveau chef d’État malien, à Bamako, en septembre 2013. Dans un coin, pour ne pas se faire remarquer. En décembre 2013, en marge d’un sommet africain qui se tient à Paris, IBK, effectue un déplacement privé à Marseille, où il est pris en main par les hommes de M. Tomi. Celui-ci multiplie les séjours dans la cité phocéenne: il se rend deux fois par mois à l’hôpital de la Timone.
Plus récemment, du 8 au 10 février, M. Tomi héberge son ami, tous frais payés, dans une suite du palace parisien le Royal Monceau. Il lui procure aussi des véhicules haut de gamme. Il s’occupe même de sa sécurité». Comme on le voit bien, le PMU et ses succursales africaines, à travers leur patron qui entretient des relations fort étroites avec des organisations criminelles comme le ” gang de la Brise de mer”, a le bras tellement long qu’il est capable de faire arrêter des citoyens d’un pays et de les faire incarcérer sans procès des mois entiers. Évidemment, en pareille circonstance, seul le président de la République reste le dernier recours pour ces Camerounais opprimés. Mais Paul Biya est-il seulement au courant de cette affaire sur laquelle de nombreux médias, pour ne pas dire tous, ont fait l’impasse, sans doute sur recommandation des suppôts locaux de monsieur Tomi tapis dans les allées du pouvoir, qui comptent sur son soutien financier pour un jour, prendre la place de Paul Biya?
La preuve en est que les commissionnaires camerounais du Pmu ont dû trimer pendant près d’une vingtaine d’années, en ayant pour seul salaire 4% des ventes de tickets réalisées au quotidien alors qu’au Gabon, leurs collègues travaillant pour le compte du PMU gabonais touchaient déjà 8%. Au PMUC, apprenions-nous lors du mouvement d’humeur de ses commissionnaires il y a deux ans, c’est 65% de recettes dans leurs caisses, 35 %, pour la mise et les commissions modiques qu’ils versent à ceux sans qui leurs activités ne se feraient pas.
Le Cameroun, ou plutôt l’État camerounais, n’est pas mieux loti dans l’histoire.
Au moment de son installation au Cameroun en 1993-1994, le Pmuc et le Cameroun avaient signé des accords prévoyant entre autres, pour ce qui incombait à la société de paris, la création d’un fonds hippique, d’un fonds de solidarité, d’un fonds sur la culture… Une vingtaine d’années après, on ne peut pas dire que le Pmuc se souvient encore de tels engagements, ou que ceux qui ont le pouvoir régalien de le lui rappeler y pensent encore. Ils ont tellement la bouche bourrée des prébendes de cette société qui emploie presque au noir, en bon négrier des temps modernes, des Camerounais qui n’ont pas vraiment le choix qu’ils étoufferaient en osant dégueuler.
Les Camerounais, abandonnés à eux-mêmes, sont obligés de travailler du premier au dernier jour du mois, et de 6 h30 à 18 h dans un pays où la durée légale de travail est de huit heures par jour, pour parfois moins de 10.000 francs CFA au finish. « Nous sommes affectés sans qu’on tienne compte de nos lieux d’habitation. Et lorsque vous n’avez rien vendu, vous n’avez aucune gratification pour le transport. Il y a des mois où un commissionnaire se retrouve à la fin du mois avec un salaire de 20.000 Fcfa le mois. De cette somme, l’entreprise retient les frais d’assurance, de quoi, on ne sait et l’impôt libératoire. De surcroît, lorsque vous demandez une permission d’absence au motif que votre enfant est malade, on vous rétorque qu’il faut choisir entre le travail et l’enfant», fulminait une vendeuse du Pmuc interrogée il y a deux ans par nos confrères du quotidien “Le messager”. Une autre, vendeuse au Pmuc depuis 19 ans, se fera plus précise : “L’entreprise prélève également les frais d’assurance et d’impôts sur nos commissions mais nous ne sommes pas affiliés à la Cnps”.
À la fin du mois, certains comme moi se retrouvent parfois avec moins de 10.000 FCFA de commissions après le prélèvement des retenues”. Comme preuve, elle avait alors montré aux journalistes un “bulletin de paie” pointant sec un “salaire” de 9.700 FCFA au mois de février 2013, alors que ses “commissions brutes” étaient de 30.636 FCFA. En faisant un petit exercice d’arithmétique, on se rend compte que les 30.636 représentent 4% des recettes qu’elle a réalisées, soit 30.636 multipliés par 100 et divisés par 4 = 765900. Vous imaginez un être humain qui réalise de telles ventes et qui gagne moins de 50.000 F.CFA/mois. Or ici, après des prélèvements injustifiés, elle ne se retrouve même pas avec le tiers exact de son salaire. On n’est pas loin de l’esclavage !
Le fait que nos autorités aient ferme les yeux sur ces abus et bien d’autres autorise aujourd’hui le PMUC et ses complices de la justice et de la police à faire emprisonner sans procès, des mois durant, des centaines de citoyens camerounais, dont la plupart, qui n’étaient que de passage sur les lieux ce malheureux jour, ne savent même pas de quoi tient le pari hippique. Il faut bien quelqu’un pour délivrer notre pays de cet impérialisme français sur fond de mafia. Et pour la circonstance, tous les regards sont rivés sur le Premier Camerounais.
Rodrigues Pountu & Carine Kamogne, Horizons Nouveaux Magazine