Alassane Ouattara l’avait annoncé, il l’a fait. Un coup K.-O. La victoire dès le premier tour est sans appel, malgré le maigre suspense entretenu par l’arbitre de ce match. La Commission électorale indépendante, après avoir démontré son impréparation lors du vote de dimanche, a proclamé le verdict – qui doit être validé par le Conseil constitutionnel – au cœur de la nuit de mardi 27 octobre à mercredi 28, après une interminable soirée passée à égrainer les scores des candidats.
Le plébiscite apparent du président sortant, cinq ans après une accession au pouvoir acquise au prix d’une confrontation armée qui traumatise encore les Ivoiriens, est pourtant un trompe-l’œil. Le taux de participation, qui a officiellement dépassé 54 % et qui est déjà contesté par l’opposition radicale, a été acquis grâce à une intense campagne de mobilisation des électeurs. Dimanche, en plusieurs occasions, il a fallu transporter jusqu’aux bureaux de vote des partisans du pouvoir sans le sou ou persuadés que la partie était gagnée d’avance.
L’abstention était l’un des enjeux de cette élection car à travers elle se dessine l’ombre de Laurent Gbagbo. Malgré son transfert devant la Cour pénale internationale, l’ex-président ivoirien reste populaire parmi ses supporters, qui se sont très majoritairement refusés à se rendre aux urnes. « Dimanche, je suis restée à la maison et j’ai pleuré toute la journée en pensant à lui » confie Blandine Achi, une infirmière.
« Opposant aux ordres »
Pascal Affi N’Guessan, le candidat du Front populaire ivoirien (FPI), fondé par M. Gbagbo, contrôle l’appareil du parti, mais son statut d’« opposant aux ordres », selon ses rivaux qui ont opté pour le boycott, ne lui a pas permis d’atteindre 10 % des suffrages. De fait, les lignes politiques de la Côte d’ivoire n’ont pas bougé et cela joue en faveur du pouvoir qui, par le jeu des alliances ethniques, au sein de la coalition du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, peut s’assurer une position majoritaire dans le pays.
Dans cette Côte d’Ivoire aux allures de vaste chantier, tant les constructions se multiplient et les investissements abondent, celui de la réconciliation politique reste à ouvrir. Tout comme celui d’une justice impartiale aux yeux d’une large partie des Ivoiriens et des organisations de défense des droits de l’homme.
Pour son premier mandat, Alassane Ouattara, avec l’appui quasi inconditionnel de la France, a déroulé le plan qu’il avait préparé avant d’arriver au pouvoir, considérant que l’économie est la clé de son succès aux affaires. Ce technocrate assumé s’est en revanche gardé d’aborder frontalement les problèmes de fond qui ont mené pendant deux décennies ce pays vers l’abîme. A qui appartient la terre dans cet État où l’agriculture, principalement du cacao, est à la base de l’économie ? Qui est ivoirien dans cette nation en bonne partie construite par des immigrés et où les étrangers représentent plus du quart de la population?
La question de la succession
L’urgence est également sociale. Alassane Ouattara vise une croissance à deux chiffres mais la redistribution de ses fruits est encore loin de s’être matérialisée. La frustration est d’autant plus grande que la corruption n’a fait que croître lors des dernières années. « L’épouse d’un des plus hauts responsables de l’armée s’est fait pincer au Mali avec un pactole qui représentait le tiers des soldes au moment où une mutinerie a éclaté en novembre 2014 pour des primes impayées », indique une source.
Se posera également, dans cinq ans, la question de la succession d’Alassane Ouattara, âgé de 73 ans. Celui qui vient d’être reconduit et son ancien ennemi devenu meilleur allié, l’ancien président Henri Konan Bedié, 81 ans, ambitionnent de fusionner leurs partis respectifs. Les successeurs potentiels, comme le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam, actuel directeur de Crédit Suisse, ne manquent pas.
A Abidjan, une jeune garde a déjà entamé la lutte pour la conquête du pouvoir suprême. La rivalité entre Hamed Bakayoko, le ministre de l’intérieur, et Guillaume Soro, l’ex-chef de la rébellion et actuel président de l’Assemblée nationale, s’aiguise chaque jour un peu plus. Le premier, qui bénéficie de l’appui de la très influente première dame, a ces dernières années étendu son influence sur la police, les services de renseignements et la presse. Le second dispose toujours d’un arsenal de guerre, d’une habileté politique sans pareil et apparaît comme l’un des seuls candidats capables de transcender les divisions politico-ethniques du pays. Tous deux ont en revanche démontré que la violence pouvait être un outil de la vie politique.
Par Cyril Bensimon (Abidjan) – Source : LE MONDE