Tandis que les partisans de Laurent Gbagbo jubilent, une partie de l’opinion, en Côte d’Ivoire, s’offusque de voir l’ancien président définitivement acquitté, réhabilité, au regard des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, pour lesquelles il était poursuivi. Comprenez-vous la détresse des victimes, qui voyaient en lui le responsable des préjudices qu’ils ont subis durant la guerre survenue, alors qu’il était chef de l’État, en 2011 ?
On peut comprendre leur désolation. Mais, sans vouloir rajouter à leur désarroi, l’on ne peut ne pas inviter ces victimes à s’interroger sur la facilité avec laquelle, dans une guerre aussi meurtrière (3 000 morts en quelques semaines), elles ont pu s’accommoder si vite d’un seul et unique coupable. Indexer Laurent Gbagbo, et pas les autres belligérants, ceux-là mêmes qui avaient imposé la guerre au président sortant, s’avère être, après-coup, un mauvais calcul.
D’ordinaire, en Afrique, lorsqu’un chef d’État sortant fait proclamer sa réélection, même à tort, personne ne lui déclare la guerre. Il garde le pouvoir et laisse l’opposition s’épuiser à protester. Gbagbo avait d’ailleurs prêté serment, et se croyait à l’abri. Jusqu’à ce que les blindés de l’armée française s’en mêlent…
Comment expliquez-vous que les victimes aient oublié de demander des comptes aux autres belligérants ?
Sans doute campaient-elles sur leurs certitudes, quant à la défaite de Laurent Gbagbo. Beaucoup pensent encore que c’est parce qu’il n’avait pas admis sa défaite qu’il y a eu cette guerre. Mais, formuler la chose comme cela, revient à politiser leur cause, en misant, de manière partisane, sur une condamnation inéluctable de Laurent Gbagbo. C’est à force de n’aborder les réalités de leur pays qu’à travers un prisme partisan et intéressé que la plupart des peuples finissent par installer la haine au cœur de la vie politique, en Afrique.
« La haine », dites-vous ? Ce terme n’est-il pas un peu excessif ?
Prêtez donc l’oreille aux termes qu’utilise le porte-parole du parti au pouvoir, au Tchad ou au Congo, pour parler des opposants ! Suivez dans « Appels sur l’actualité », la façon dont certains auditeurs, supporters (ou militants) d’un candidat malheureux, au Niger, en Côte d’Ivoire ou en Centrafrique, désignent ou qualifient le vainqueur et son camp. Reprenez certaines des réflexions du public favorable à Ousmane Sonko, lorsque celui-ci parlait de Macky Sall, et vice-versa. Si vous ne sentez pas quelque charge haineuse dans les mots ou dans le ton, alors, réécoutez, et vous trouverez ! À quelques exceptions près, l’adversaire politique, presque partout en Afrique, est un ennemi, à qui l’on voue une haine tenace.
Certes, quelques leaders prennent généralement sur eux de sauver les apparences, distillant quelques amabilités, en serrant les dents. Mais les accolades et les embrassades ne sont jamais que des monuments d’hypocrisie. Et, face à ces animosités viscérales, l’on en arrive, parfois, à se demander si ceux-ci n’auraient pas tué un membre de la famille de ceux-là, ou pillé un patrimoine à eux.
Est-ce le cas ?
Non. En Afrique, les récriminations et inimitiés, en politique, s’expliquent souvent par des intérêts matériels sous-jacents, et par le fait que la conquête du pouvoir est un jeu à somme nulle, dans lequel le vainqueur ramasse tout, s’octroyant même, souvent, le droit d’affamer les vaincus, et les réduit à une traversée du désert, ou à se rallier.
Les vainqueurs, alors, se retrouvent autour de la « mangeoire », et même ceux qui n’y récoltent que des miettes sont parfois prêts à tuer pour, justement, ne rien perdre de ces miettes.