Depuis bientôt un mois, nous étions sans nouvelles de lui. Olivier Dubois, correspondant de Libération à Bamako, au Mali, est apparu dans la nuit de mardi à mercredi dans une vidéo de 21 secondes filmée sous une tente, quelque part dans le désert. Assis en tailleur, face caméra, il explique avoir été kidnappé par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim, selon son acronyme en arabe) le 8 avril. Dans ce court message certainement dicté par ses ravisseurs, il appelle «[s]a famille, [s]es amis et les autorités françaises» à faire «tout ce qui est en leur pouvoir» pour le faire libérer. Mercredi, après la publication de la vidéo, la justice française a ouvert une enquête préliminaire pour enlèvement en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste.
Travailler dans la région comporte des risques. Tous les journalistes spécialistes du Sahel le savent. Olivier, 46 ans, qui travaille également pour le Point et Jeune Afrique, en est parfaitement conscient. Fin mars, il avait proposé à Libération d’interviewer de vive voix un chef du Jnim à Gao, dans le nord du Mali. Olivier dispose de solides contacts dans la sphère jihadiste. Certains d’entre eux se portaient garant de sa sécurité. L’homme qu’il voulait rencontrer, Abdallah Ag Albakaye, est un lieutenant de l’organisation islamiste armée, intermédiaire dans la hiérarchie, actif dans la zone de Talataye. Libération avait refusé l’interview, jugée trop dangereuse.
«Travail spécial et secret»
En amont, Olivier avait échangé des lettres avec Abdallah Ag Albakaye. Des messages papier, transmis de main en main par des intermédiaires de confiance, moins traçables que des correspondances téléphoniques ou électroniques. Dans un courrier datant du mois de mars, le chef jihadiste écrit en arabe au journaliste qu’il se rendra «à Gao le 5 avril 2021 pour un travail spécial et secret». Il lui propose une entrevue de quarante-cinq minutes, dans un appartement situé en ville. Un membre de sa famille hébergerait la rencontre. «Le temps est trop court, mais pour notre sécurité, c’est mieux comme ça», précise Abdallah Ag Albakaye. Olivier comptait notamment l’interroger sur les affrontements meurtriers qui opposent le Jnim, affilié à Al-Qaeda, et l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS). Les deux organisations jihadistes rivales se combattent précisément dans la région de Talataye, à 150 kilomètres à l’est de Gao, dans laquelle opère le Touareg Ag Albakaye, ancien rebelle du Mouvement national de libération de l’Azawad converti au jihad.
Garder le silence
Le 8 avril, Olivier a rejoint Gao par avion. Il a passé quelques heures au motel des Askia, duquel il s’est absenté après avoir déjeuné. Les témoins affirment qu’il a quitté son hôtel librement. La date de l’interview avait manifestement été modifiée par rapport à la proposition initiale. Le lieu et le protocole de sécurité l’ont-ils aussi été ? Olivier semble être sorti des limites de Gao le jour même. Sans téléphone, puisque son portable a été retrouvé plus tard dans sa chambre d’hôtel. Son «fixeur», un intermédiaire local qui a aidé à arranger l’entretien, «l’a vu embarquer dans une voiture avec plusieurs hommes», selon l’Agence France Presse qui a pu s’entretenir avec lui. Ce fixeur, un infirmier qu’Olivier connaît depuis plusieurs années, est aujourd’hui détenu à Bamako. Il a été longuement interrogé par les forces françaises de l’opération Barkhane avant d’être remis à la police malienne.
A quel moment le plan a-t-il déraillé ? Olivier a-t-il été attiré dans un piège tendu par Ag Albakaye ? Ou bien sa présence a-t-elle attisé la convoitise d’un autre chef jihadiste du Jnim ? L’armée française, qui dispose d’une base importante à Gao, semble avoir rapidement perdu sa trace. Le 10 avril, le journaliste n’a pas embarqué dans le vol du retour qui devait le ramener à Bamako. L’alerte a été discrètement donnée par l’ambassade de France au Mali. Très vite, sa famille, ses amis, le journal, Reporters sans frontière, ont choisi de garder le silence sur sa disparition. Peut-être, pour des raisons logistiques, son interview avait-elle été retardée, voulait-on croire. Peut-être était-il encore l’hôte des jihadistes, et non pas leur prisonnier. Tout bruit médiatique, toute action intempestive de Barkhane risquaient de mettre sa vie en danger. Chaque jour, chaque semaine qui passait éloignait pourtant l’hypothèse d’une «invitation» consentie. La vidéo de la nuit dernière vient brusquement briser cet espoir. Et faire éclater la fragile bulle de silence qui l’entourait.
par Célian Macé | Libération