C’est de la piraterie. Lorsque, dans le seul but de jeter en prison un journaliste qui se trouvait à bord, le président bélarusse organise le détournement d’un vol international traversant son espace aérien, on fait face à une pure et simple piraterie d’Etat.
M. Loukachenko s’est assis, dimanche, sur toute légalité internationale. La première leçon à tirer de ce crime est qu’il n’est pas seulement un dictateur. Sans foi ni loi, il est également un imbécile, car les manifestations de masse avaient cessé à Minsk. L’opposition cherchait les moyens de rebondir sans les avoir encore trouvés. Les Occidentaux, disons-le, finissaient par se résigner au sort du Belarus. A défaut de regagner une popularité, ce dictateur était en train de briser la contestation suscitée par sa réélection truquée de l’été dernier. Et que fait-il ?
Il amène les Etats-Unis et l’Union européenne à se remobiliser contre lui, place en porte-à-faux Vladimir Poutine, son seul soutien, et réveille une crise qu’il croyait avoir circonscrite. Avec un effarant aveuglement et d’une seule balle, M. Loukachenko s’est tiré quatre fois dans le pied, car l’Union européenne ne pouvait bien sûr pas rester passive alors que ce vol de Ryanair faisait la liaison entre Athènes et Vilnius et que Roman Protassevitch, l’opposant qu’il tenait tant à bâillonner, était installé à Varsovie, où il avait trouvé refuge.
Trois des 27 capitales de l’Union étaient directement défiées par cette affaire. Toute l’Union l’était et les Etats-Unis aussi ne pouvaient que vivement réagir car, contrairement à son prédécesseur, Joe Biden n’a aucune connivence avec les dictatures.
Quant à Vladimir Poutine, l’initiative de son protégé ne lui facilite pas la préparation de sa prochaine réunion au sommet avec le président américain. C’est un événement dont il attend beaucoup. Il veut que la Russie et le monde y voient Joe Biden le traiter d’égal à égal. Il voudrait sortir de ces conversations avec une amorce de définition d’une nouvelle coexistence pacifique entre Washington et Moscou. Ce rendez-vous est si essentiel pour lui qu’on peut se demander si ses récentes gesticulations aux frontières de l’Ukraine n’avaient pas pour objectif de l’imposer à la Maison Blanche, et voilà que ce Loukachenko s’avise de tout compliquer dans le seul objectif de mettre la main sur un opposant, un seul.
Alors, non, l’imbécillité n’explique pas tout. Il faut y ajouter la panique, car ce dictateur n’ignore évidemment pas que son économie part à vau-l’eau, que le mécontentement social accroît le rejet politique dont il est victime et que le Kremlin reste en quête de l’homme qu’il pourrait lui substituer pour que tout change sans que rien ne change.
Dans un tel climat, un journaliste aussi bien informé, aussi lu et aussi influent que Roman Protassevitch devient évidemment un adversaire à abattre et c’est ce qui a conduit Alexandre Loukachenko à oublier toute prudence et faire n’importe quoi – exactement comme Vladimir Poutine avec Alexeï Navalny, dont il est parvenu à faire une figure nationale, ou Xi Jinping avec le Parlement européen, qu’il a réussi à dresser contre lui en croyant intimider ses élus. La faiblesse des dictateurs est de toujours croire à la peur.
Par Bernard Guetta, eurodéputé, groupe Renew Europe