L’opération, qui a mobilisé près de 500 hommes, selon la police, a démarré vers six heures du matin. Les cinq responsables du très populaire tabloïd d’opposition Apple Daily, notamment le directeur général du groupe Next Digital, Cheung Kim-hung, et le rédacteur en chef du journal, Ryan Law, ont été interpellés simultanément chez eux. Ils sont « soupçonnés » d’avoir « conspiré en vue de complot avec des forces étrangères », l’un des quatre crimes couverts par la nouvelle loi draconienne « pour la préservation de la sécurité nationale », LSN, imposée par Pékin à la suite des désordres et des émeutes antigouvernementales de 2019 et entrée en vigueur le 30 juin 2020.
Le délit soupçonné s’intitule « Collusion avec un pays étranger ou avec des éléments extérieurs en vue de mettre en péril la sécurité nationale ». Les résidences respectives de ces cinq dirigeants, quatre hommes et une femme, âgés de 47 à 63 ans, ont été perquisitionnées. Aucun des interpellés n’a encore été formellement inculpé, mais ils ont été emmenés menottés.
Au même moment des dizaines de fourgons de police ont entouré le siège du journal et de son imprimerie, situé dans le quartier de Tseung Kwan O, et des centaines de policiers ont débarqué dans les étages. Des ordinateurs, des téléphones, du matériel professionnel et des caisses de documents ont été confisqués. L’immeuble du Apple Daily a été déclaré « scène de crime ». La police a interdit aux journalistes l’accès à leurs bureaux et a également interdit de photographier ou de filmer la situation.
La police a également affirmé avoir gelé 18 millions de dollars hongkongais (environ 2 millions d’euros) qui se trouvaient sur les comptes bancaires de trois entreprises liées au journal : Apple Daily Limited, Apple Daily Printing Limited et AD Internet Limited.
« Au moins trente articles » concernés
Derrière le Apple Daily, c’est également son fondateur qui est visé : Jimmy Lai, ennemi public avéré et assumé du Parti communiste chinois. L’homme d’affaires de 72 ans est poursuivi pour une série de délits dont l’accumulation fait penser à de l’acharnement de la part des autorités. Il avait été placé en détention préventive en décembre 2020. Depuis, il a été condamné à plusieurs reprises pour « rassemblement illégal » et doit encore répondre de plusieurs autres charges. Il est surtout inculpé trois fois sous la Loi de sécurité nationale pour des crimes passibles de prison à perpétuité.
En mai, la police avait annoncé avoir gelé les avoirs de Jimmy Lai, dans sept comptes en banque dont il disposait à Hongkong. Son soutien financier est, de notoriété publique, indispensable à la survie de son groupe de presse. Selon diverses sources locales, l’objectif de cette opération de police serait de voir le Apple Daily fermé pour la date symbolique du 1er juillet, date anniversaire de la rétrocession de 1997.
Cette opération a été menée par le nouveau département de police, spécialement chargé de la sécurité nationale, créé sous l’égide de la LSN. Le dirigeant de cette nouvelle police politique, le commissaire Steve Li, a fait savoir en fin de matinée jeudi que le raid sur le journal et l’arrestation des cinq responsables étaient liés à « au moins trente articles » publiés par l’Apple Daily, favorables à des sanctions contre Hongkong et contre la Chine, y compris des articles publiés en 2019, bien avant donc l’entrée en vigueur de la LSN, qui, officiellement, n’est pas rétroactive.
La police « soupçonne » ces articles d’avoir enfreint la nouvelle loi de sécurité nationale qui est très vague dans la définition des crimes qu’elle encadre. Steve Li a précisé que les personnes arrêtées avaient joué un rôle crucial dans la publication de ces articles. Depuis quelques mois, le journal ne publie plus le nom des auteurs de certains articles afin de les protéger d’éventuelles représailles.
Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, tous les médias de Hongkong sont extrêmement soucieux de ne pas l’enfreindre, sans savoir précisément ce qu’il est désormais interdit d’écrire. Selon une source policière citée par le South China Morning Post, la plupart des articles qui ont déclenché cette opération seraient des « opinions » ou des « éditoriaux » et non des articles écrits par les journalistes du titre. Mais, dans le nouveau contexte extrêmement liberticide créé par la loi de sécurité nationale, le seul fait de discuter de certains sujets peut être passible de sanction. La police a d’ailleurs expliqué que les membres du public qui avaient partagé ces articles étaient eux aussi susceptibles de poursuites.