Petite précision d’importance dans cet univers Kafkaïen où la Justice aux ordres du dictateur Paul Biya fait peser une suspicion généralisée de corrompus sur tous ses “prisonniers personnels”, accablés dans l’opinion publique d’une “présomption de culpabilité” sans même avoir parfois été jugés :
C‘est clairement le cas de l’ancien Secrétaire Général à la Présidence de la République puis Ministre d’État de l’administration territoriale Marafa Hamidou Yaya qui croupit depuis plus de 10 ans dans une minuscule cellule du sinistre Secrétariat d’État à la Défense (SED) de Yaoundé, ainsi que certains autres infortunés comme l’ancien Ministre des Finances Polycarpe Abah Abah.
Ce mouroir carcéral est loin d’être une “prison de luxe” ou un cinq étoiles telle que pourrait le laisser entendre la lecture de l’article de Mme PIGEAUD…Le Franco-camerounais Thierry Michel Atangana qui y a été séquestré pendant 17 ans d’affilées et dont une loi encours d’élaboration au Parlement Français portera le nom …pourrait largement en témoigner.
C’est dire si effectivement des “Michel Thierry Atangana” il en existe encore malheureusement un certain nombre dans les cachots du dictateur Paul Biya, dont M. Marafa Hamidou Yaya (pour ne citer que lui) qui y croupit pour une grotesque “complicité dite intellectuelle de détournements de deniers publics” née certainement de l’imagination fertile du vieux tyran Paul Biya, qui avait vu en cet ingénieur pétrochimiste un potentiel et redoutable adversaire dans sa volonté de mourir au Pouvoir.
Macabre objectif visiblement atteint…au-delà de ses espérances, puisque la presse répète sans discernement sa propagande.
Ainsi malgré la reconnaissance du caractère arbitraire et politique de sa détention, aussi bien par l’ONU, le département d’État américain, que les différentes ONG…le dossier Marafa ne semble susciter la moindre attention médiatique, et encore moins une quelconque réaction chez l’actuel locataire de l’Élysée, comme celui de Michel Thierry Atangana (que nous portions avec SOS Racisme) auprès de François Hollande et à qui le Franco-camerounais doit en réalité sa libération.
M. Marafa demeure donc arbitrairement maintenu en détention dans des conditions particulièrement inhumaines, alors même que le principal accusé des faits qui lui sont reprochés (pour une imaginaire complicité intellectuelle de détournement de deniers publics) l’industriel Yves Michel Fotso est aujourd’hui un homme libre après avoir bénéficié d’une grâce présidentielle pour des raisons humanitaires.
C’est d’abord cela le Cameroun de Paul Biya, un pays où l’arbitraire prévaut y compris dans le sort réservé aux différents prisonniers politiques dits personnels du dictateur: certains peuvent bénéficier de sa grâce à la suite de moult pressions, pendant que d’autres meurent à petit feu en silence dans ses mouroirs concentrationnaires dans l’indifférence générale, car accablés par cette présomption de culpabilité qui colle à leur ascension dans le sérail du régime.
Joël Didier Engo, Président du Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
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Au Cameroun, une opération « mains propres » à fort relent politique
De nombreux anciens ministres croupissent en prison, accusés de détournement de fonds. Mais si l’opération « Épervier » qui les a ciblés s’appuie sur des faits réels, elle peut aussi avoir des motivations politiques.
Il y a quelques semaines, en mai 2021, les médias camerounais ont rendu public un inventaire très particulier : celui des biens de l’ancien ministre de la défense, Alain Edgar Mebe Ngo’o, qui a aussi été patron de la police et ministre des transports. Il possèderait 53 immeubles au Cameroun, un autre en France, 39 véhicules et engins lourds, 24 comptes bancaires en France, 21 autres au Cameroun…
La justice a dressé cette liste parce que ce haut fonctionnaire de 64 ans, amateur de beaux costumes, est accusé de détournements de fonds publics. Il est en détention provisoire depuis mars 2019 dans l’infecte prison centrale de Yaoundé, située dans le quartier de Kondengui. Il se défend en parlant « d’instrumentalisation » de la justice. Son épouse a aussi été emprisonnée. Leur procès est en cours au Tribunal criminel spécial, qui juge les affaires de détournement de fonds publics.
C’est devenu une particularité camerounaise : au cours des 15 dernières années, de nombreux anciens membres du gouvernement, appartenant tous au parti présidentiel qui domine la vie politique, se sont retrouvés comme Alain Edgar Mebe Ngo’o derrière les barreaux. Ils ont été secrétaire général à la présidence, premier ministre, ministre des finances, du budget, de la santé, de l’intérieur, des mines, de l’eau et de l’énergie ou secrétaire d’État. Au moins une douzaine d’anciens directeurs généraux d’importantes entreprises publiques, ainsi que nombre de leurs collaborateurs, ont suivi le même chemin.
Rares sont les entreprises publiques encore en bonne santé.
Le destin de la plupart de ces personnalités, dont certaines ont des liens de famille avec le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, se ressemble : ils et elles ont été des personnages puissants, ont eu un train de vie flamboyant puis, un beau jour, ont vu leur vie basculer.
Toutes et tous sont accusés d’avoir détourné des dizaines de millions d’euros et se sont trouvés pris dans les serres d’« Épervier », une opération « mains propres » lancée en 2006 sous la pression de certains bailleurs de fonds du pays. La justice accuse par exemple Edgar Alain Mebe Ngo’o d’avoir causé un préjudice à l’État de 41 millions d’euros, ce qu’il conteste.
Pendant ce temps, 40 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté, le développement du pays semble faire éternellement du sur-place et rares sont les entreprises publiques encore en bonne santé.
Du côté des structures de lutte contre la corruption, on surnomme les présumés grands corrompus des « Tigres » : « D’après une vision empruntée aux Chinois, nous distinguons deux types de corruption : celle des “Mouches”, qui est la petite corruption, et celle des “Tigres”, qui est la grande corruption perpétrée par des multinationales et des personnalités influentes », explique un officiel.
Surfacturations et missions et prestations fictives figurent parmi les pratiques les plus utilisées pour soustraire massivement l’argent public. Selon des estimations, 40 % des dépenses de l’État seraient ainsi détournées. En 2011, la Commission nationale anticorruption (Conac), un organisme officiel, a affirmé : « Si l’État venait à bout des pratiques de corruption actuellement en cours dans les services du ministère des travaux publics, les ressources budgétaires qu’il investit dans la construction des routes seraient suffisantes pour construire trois fois plus de routes de même longueur et de même consistance. » L’argent volé est rarement réinvesti dans des projets productifs.
Ils acquièrent des maisons, achètent leur impunité, ouvrent des comptes pour leurs épouse et enfants…
Un enquêteur
« Lorsque certains ont commencé à se servir dans les caisses de l’État au moment de la grave crise économique des années 1980-1990, les uns et les autres ont vu que personne n’était sanctionné ; le système s’est alors généralisé pour prendre les proportions qu’on connaît aujourd’hui », dit un expert.
Résultat : des hauts fonctionnaires comptent aujourd’hui parmi les personnes les plus riches du pays, alors que leur salaire de base est faible.
Une partie de ceux qui volent à grande échelle « le font, disent-ils, pour sécuriser l’avenir de leurs enfants, arguant que les lendemains sont incertains », précise un enquêteur. « Ils acquièrent des maisons, achètent leur impunité, ouvrent des comptes pour leurs épouse et enfants… Ils le font tout en sachant que s’ils se font prendre, ils risquent gros car le code pénal camerounais est très dur. Mais ils sont prêts à se sacrifier et à aller en prison. » D’autres se servent des fonds publics pour se constituer un « trésor de guerre » afin de financer leurs ambitions politiques.
Humiliation et lourdes condamnations
Tout est fait pour humilier les proies d’« Épervier ». En 2008, le directeur du chantier naval et industriel du Cameroun a par exemple été arrêté devant les caméras de télévision, à la sortie d’un conseil d’administration qui venait de le limoger.
Les présumés « Tigres » sont aussi soumis à de longues procédures judiciaires, à l’instar des citoyens ordinaires. Le procès d’un ancien directeur général de la radio-télévision publique, André Vamoulké, depuis cinq ans en détention provisoire, a été renvoyé au moins 68 fois. Certains sont décédés en prison, dont l’ancien ministre délégué Gervais Mendo Ze, mort le 21 avril 2021, à 76 ans. Il avait été pendant 17 ans le directeur de la radio-télévision publique et était en détention provisoire depuis près de sept ans.
Ceux qui ont été jugés ont été condamnés à de lourdes peines : 15, 25, 30 ans de prison ferme. Et même la perpétuité pour l’ancien ministre de l’énergie Alphonse Siyam Siwé, accusé d’avoir détourné 53 millions d’euros avec une douzaine de personnes lorsqu’il dirigeait le port de Douala.
Mais ces arrestations et condamnations, bien que spectaculaires, n’ont pas fait baisser le niveau des détournements. Au contraire, ces derniers suivent « une courbe ascendante, tout comme les montants », confie un haut fonctionnaire. « Aujourd’hui, le milliard de francs CFA (1,5 million d’euros) est l’unité de vol, ce qui était inimaginable il y a encore 15 ou 20 ans. »
Certaines affaires peuvent laisser penser que la présidence, qui gère une partie des revenus pétroliers dans l’opacité, encourage de manière directe une partie des détournements.
Cela s’explique : en dépit des apparences, la volonté politique de combattre ces pratiques est relativement faible. La preuve : de nombreux auteurs présumés d’infractions passent entre les mailles du filet. En outre, l’article 66 de la Constitution, qui devrait obliger les dirigeants à rendre publics leurs revenus, n’est pas appliqué. « Il existe dans le système des personnalités bien placées pour en bloquer » l’application, a déploré en mars 2021 l’ancien ministre Garga Haman Adji, membre du comité de coordination de la Commission nationale anticorruption, ajoutant : « Notre pays est pourri. »
Certaines affaires peuvent laisser penser que la présidence, qui gère une partie des revenus pétroliers dans l’opacité, encourage de manière directe une partie des détournements. En 2006, le procès du directeur général d’un organisme public, le Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale, a ainsi révélé qu’il avait fait des versements illégaux de plusieurs dizaines de millions de francs CFA à une fondation et à une ONG créées par l’épouse du président Paul Biya.
En poussant plus loin l’analyse, on se rend compte que les dynamiques de pouvoir qui se sont mises en place au fil des décennies s’organisent en réalité autour des détournements de l’argent public. Car les hauts fonctionnaires qui piochent dans les caisses de l’État redistribuent aussi une partie de leur butin.
« Les élites administratives et politiques sont les principaux relais du pouvoir, du centre vers leur région d’origine. Et l’instrument de pouvoir, c’est la redistribution de la rente, dit l’économiste Eugène Nyambal. Étant donné qu’il y a une faillite des politiques publiques, ces élites assurent dans leur région une partie des tâches que l’État devrait prendre en charge : elles donnent de quoi payer une ordonnance médicale à l’un, paient les frais de scolarité de l’enfant de l’autre, etc. »
Il ajoute : « Toute la socialisation des villages est organisée autour d’elles. La population suit par conséquent leurs consignes lorsqu’il s’agit de voter. » Le parti présidentiel, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), assure de cette manière son hégémonie et préserve le statu quo.
Une « purge politique »
Si la corruption se révèle outil d’influence et de contrôle, la lutte contre ce phénomène l’est aussi devenue en partie. Des victimes d’« Épervier », dénonçant des violations de procédure et des dossiers mal ficelés, accusent d’autres barons du régime de se servir de cette opération pour faire le vide autour d’eux et se mettre en bonne position en prévision du jour où Paul Biya, 88 ans, quittera la présidence.
L’ancien ministre de la santé Urbain Olanguena Awono, en prison depuis 2008 et condamné à 10 et 20 ans de prison dans deux procès, a ainsi affirmé qu’« Épervier » servait à « salir la réputation de certaines personnalités qu’on voudrait éliminer du jeu politique ».
« On assiste à une lutte entre prétendants à la succession. Chacun d’eux se dit que celui qui a un peu trop d’argent sera peut-être mieux placé que lui et cherche alors à l’écarter. Ils se mangent entre eux », disait en 2011 un avocat de l’ancien ministre de l’économie et des finances Polycarpe Abah Abah, arrêté en 2008 et condamné à 25 ans de prison.
L’opération « Épervier » est ainsi régulièrement qualifiée d’opération à « tête chercheuse » ou d’instrument de « purge politique ».
Mais la lutte ne se joue pas uniquement entre prétendants au fauteuil présidentiel. Certains des ministres condamnés ont manifestement déplu au président Biya lui-même. Parmi eux, l’ancien ministre de l’intérieur et ancien secrétaire général à la présidence, Marafa Hamidou Yaya, qui avait en 2011 des ambitions présidentielles – discrètement encouragées par le président français Nicolas Sarkozy. Il a été condamné en 2012 à 25 ans de prison.
Des fortunes à récupérer
Déjà, en 1997, Titus Edzoa, ancien secrétaire général à la présidence, avait été arrêté et condamné lourdement pour « détournement de fonds publics ». Tombé en disgrâce, il venait d’annoncer sa candidature à la présidentielle.
Malgré les forts soupçons d’instrumentalisation politique, peu de Camerounais se soucient du sort de ceux que l’on appelle parfois les « prisonniers du président ». D’abord parce qu’ils considèrent que la plupart de ces notables ont participé à la perpétuation du pouvoir de Paul Biya et ensuite parce qu’ils savent que le système pousse à la faute et que les abus dans la gestion des deniers publics sont devenus la norme.
Il faut dire aussi que ces détenus de haut rang ont des conditions carcérales améliorées : dans la prison centrale de Kondengui, ils sont logés dans un quartier spécial, dit « VIP ». Quelques-uns d’entre eux sont néanmoins incarcérés au secrétariat d’État à la défense, à Yaoundé, sous haute surveillance.
Visiblement, les autorités ne veulent pas que tous les « Tigres » (dont plusieurs ont aussi fait des affaires avec des multinationales, comme nous le verrons dans le troisième épisode de notre série) soient détenus dans un même lieu, estimant que certains d’entre eux sont toujours puissants et potentiellement dangereux. Car s’ils ont été condamnés, leur fortune mal acquise n’a pas été récupérée et les attend quelque part, pensent-elles.
C’est ce qui fait dire à un analyste qu’« “Épervier” n’a pas encore commencé. Tant qu’il n’y aura pas un effort systématique pour récupérer les fonds volés, cette opération ne servira à rien ».