« À Brazzaville, il faut libérer les prisonniers politiques, comme le demande l’ONU », affirme l’opposant congolais Clément Miérassa. Ce mercredi 1er septembre, à la même heure, le Premier ministre du Congo-Brazzaville, Anatole Collinet Makosso, a déclaré « qu’on arriverait un jour à ce que MM. Mokoko et Okombi recouvrent la liberté ». Réaction ce vendredi matin 3 septembre de l’ancien ministre Clément Miérassa, qui préside la Fédération de l’opposition congolaise. En ligne de Brazzaville, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Le Premier ministre annonce que le déblocage de la deuxième tranche de financement du FMI pour votre pays est en bonne voie. Est-ce que vous vous en réjouissez ?
Clément Mierassa : On ne peut pas s’en réjouir, parce que le Congo va mal, très mal. Parce que, vous savez bien -et RFI avait bien révélé cela- il y a eu un problème de dette cachée. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire mauvaise gouvernance, cela veut dire manque de transparence.
À propos de la corruption, beaucoup protestent contre l’entrée au gouvernement de Denis Christel Sassou-Nguesso -le fils du chef de l’État- car il est pointé notamment par Global Witness. Mais le Premier ministre réplique qu’il n’y a aucune procédure judiciaire contre Denis Christel Sassou-Nguesso. Est-ce qu’il n’a pas raison ?
Mais qui doit lancer la procédure judiciaire ? Je ne veux pas épingler de façon particulière le fils du président, mais il faut reconnaître que le fils du président baigne dans beaucoup de dossiers sulfureux ! Je vous en cite un : Le Monde Afrique a révélé, en mai 2018, que les Panama Papers avaient publié une liste de six Congolais -et je sais que le fils du président en fait partie- qui détiennent dans les paradis fiscaux 5 500 milliards de francs CFA. Est-ce qu’un pays en crise, comme le Congo, peut rester silencieux devant une telle information ? Il faut ouvrir une information ! Et vous savez bien que, s’agissant du fils du président, je n’ai pas une intention particulière sur lui. Mais présentement, il y a un dossier aux États-Unis sur un appartement à Miami ou je ne sais où. L’étude a été publié par Global Witness. Il y a des révélations extrêmement troublantes ! Prenez l’exemple de l’Arabie saoudite. L’Arabie saoudite a monté une purge anticorruption et en deux ans, de 2017 à 2019, 93 milliards d’euros ont pu être récupérés. L’Angola, en 2019, rien que dans la lutte anticorruption, a récupéré 5 milliards de dollars. Comment vous expliquez qu’au Congo même, quand on fait le budget de la loi rectificative des finances 2021, il n’y a aucune ligne où on peut penser qu’on peut récupérer de l’argent, à partir de la corruption ? Les dossiers sont connus !
Quand on demande aux autorités si l’entrée de Denis Christel Sassou-Nguesso au gouvernement est une façon de le mettre en piste pour une prochaine élection présidentielle, celles-ci répondent : « Après tout, c’est un citoyen comme un autre, on ne peut rien préjuger pour l’avenir ». Qu’est-ce que vous en pensez ?
De ce point de vue, elles ont raison, c’est un citoyen comme tous les autres. Sauf que nul n’est au-dessus de la loi. Et demain, qu’est-ce qui va se passer ? On risque d’avoir à la tête de ce pays, par un coup d’État ou quoi, quelqu’un sur qui pèsent de gros soupçons. Moi, je suis d’accord pour qu’on dise que c’est un citoyen comme tous les autres, mais j’ajoute que s’il y a des dossiers qui pèsent sur lui, il doit passer à la justice et il doit en répondre, comme tous les autres Congolais.
« Oui, le président Sassou-Nguesso cumule trente-sept ans de pouvoir, mais c’est une bonne chose pour le Congo, car il faut un homme d’expérience pour affronter les crises actuelles », dit en substance le Premier ministre…
Mais malheureusement, le Premier ministre ne dit pas qu’au bout de trente-sept ans de pouvoir, le président Sassou a plongé le pays dans une crise indescriptible. Aujourd’hui, les retraités sont pratiquement à trois ans de retard de pensions, les étudiants et les boursiers ont pratiquement trois ans d’arriérés de bourses, les services sociaux ne marchent pas… Non !
Voilà cinq ans que vos camarades d’opposition Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa sont en prison. « Mais on arrivera un jour à ce qu’ils recouvrent leur liberté », affirme le Premier ministre Anatole Collinet Makosso…
Oui… Je dois dire une chose. Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa sont deux prisonniers politiques. Ils ont été deux candidats à l’élection présidentielle de 2016 et ils n’ont jamais reconnu les résultats. Et je peux vous rappeler que, dans une interview qu’il a accordée à RFI, le président Guy Brice Parfait Kolélas -que Dieu ait son âme- avait clairement déclaré qu’en 2016, c’est Jean-Marie Michel Mokoko et lui qui devaient aller au deuxième tour. Et vous savez ce qui s’est passé. Mais j’ajoute ceci : courant 2018, le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a bien reconnu que la détention de Jean-Marie Michel Mokoko et d’André Okombi Salissa était arbitraire et a appelé les autorités congolaises à leur remise en liberté immédiate. Alors nous ne comprenons pas pourquoi on parle d’acte de contrition, parce que la seule faute qu’ils peuvent se reconnaître, c’est d’avoir été candidats. C’est d’avoir eu les résultats qu’ils ont eus. Ils ne se reprochent absolument rien.
La petite phrase du Premier ministre disant qu’on arrivera un jour à ce qu’ils retrouvent leur liberté, est-ce pour vous un signe d’ouverture ou pas ?
Non, je ne crois pas, parce que s’il y avait ouverture, l’ouverture devrait être faite. Pourquoi le régime du président Sassou a pu prendre des mesures de réconciliation et d’apaisement à l’endroit du pasteur Ntumi et pourquoi il ne les prendrait pas à l’endroit de Jean-Marie Michel Mokoko et d’André Okombi Salissa ? Nous osons espérer que le gouvernement accordera une attention particulière à cette situation et qu’on trouvera bien une solution à cela.
Par : Christophe Boisbouvier