La grandeur d’une grande Nation, d’un grand pays, d’une grande démocratie c’est aussi de savoir s’excuser officiellement pour des crimes de masse commis en son nom…sans en permanence d’abriter derrière des arguments fallacieux qui cachent l’enracinement en son sein d’un vieux tropisme colonial au relent xénophobe et raciste.
JDE
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Le « demi-pas » mémoriel de Macron sur le massacre du 17 octobre 1961
« Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. » Tel a donc été le verdict énoncé par Emmanuel Macron, samedi 16 octobre, lors d’une cérémonie très attendue à la mémoire des victimes algériennes du massacre du 17 octobre 1961. La formule un brin alambiquée, où le non-dit est tout aussi lourd que le dit, n’a pas été prononcée lors de la minute de silence observée par le chef de l’Etat sur les berges de la Seine à Colombes (Hauts-de-Seine) à proximité du pont de Bezons, là même où des corps de manifestants du Front de libération nationale (FLN) avaient été précipités par la police dans les flots lors de cette nuit sanglante de l’automne 1961.
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La parole présidentielle est tombée sous la forme d’un communiqué diffusé à l’issue de l’hommage officiel, rendu en présence des différents « porteurs de mémoires » de la guerre d’Algérie (enfants de familles du FLN, de harkis, de pieds-noirs, etc.) soudés dans l’émotion. La participation physique du chef de l’Etat à ce soixantième anniversaire de la tragédie, dont le bilan toujours incertain s’établit à plusieurs dizaines de sympathisants du FLN tués, est l’un des temps forts de la démarche de « réconciliation mémorielle » qu’il appelle de ses vœux autour de l’Algérie, ses héritages empoisonnés et ses désirs d’avenir.
Protéger l’institution policière
Tout a été soigneusement pesé et calculé dans la déclaration présidentielle où le demi-pas franchi, incontestable avancée par rapport aux silences ou à la prudence de ses prédécesseurs à l’Elysée, souligne en creux le demi-pas qui, lui, n’a pas été accompli, à la grande déception des militants de la mémoire du 17 octobre 1961. Outre une présence physique à une telle commémoration, qui constitue une grande première pour un chef de l’Etat – tout comme est inédite la gerbe « en mémoire des morts du 17 octobre 1961 » déposée, dimanche, sur le pont Saint-Michel par le préfet de police de Paris, Didier Lallement –, M. Macron va assurément plus loin que François Hollande en 2012. Ce dernier s’en était tenu, à travers un communiqué, à la simple formule de « répression sanglante ». L’actuel locataire de l’Elysée a repris la même expression – lui ajoutant, au passage, les qualificatifs de « brutale » et « violente » – pour ensuite dénoncer des « crimes commis par Maurice Papon », qui, précise-t-il, sont « inexcusables pour la République ».
François Hollande avait été, à l’époque, critiqué par les militants de la mémoire du 17 octobre 1961 pour « ne pas avoir nommé les auteurs » de ladite « répression ». M. Macron, lui, en nomme un. Mais un seul : Maurice Papon. Et encore celui-ci n’est-il même pas désigné sous ses fonctions d’alors, celles de préfet de police de Paris, comme s’il avait agi à titre individuel. La déclaration présidentielle évite soigneusement toute référence à l’institution policière. Ainsi qu’aux supérieurs hiérarchiques de Papon, en cette période de la fin de la guerre d’Algérie : le ministre de l’intérieur, Roger Frey, le premier ministre, Michel Debré, et, bien sûr, le général de Gaulle, à la magistrature suprême. M. Macron aura donc éludé les mots de « crime d’Etat » qu’attendaient de lui les associations. « Papon est le coupable expiatoire, déplore Mehdi Lallaoui, fondateur de l’association Au nom de la mémoire et coréalisateur du documentaire Le Silence du fleuve. MM. de Gaulle, Debré et Frey ont quand même joué un rôle dans le processus d’occultation des crimes d’octobre. »
Dimanche, des sentiments ambivalents étaient aussi perceptibles parmi le millier de manifestants issus de la diaspora algérienne en France, soutenus par des organisations de gauche et des associations antiracistes, qui ont défilé à Paris en hommage aux victimes de la répression d’octobre 1961. Abderrahmane Bendada, cardiologue vivant dans les Yvelines, saluait ainsi des propos « courageux » de Macron qui représentent « un grand pas en avant », même si, précise-t-il aussitôt, « cela ne suffit évidemment pas » : « Papon représentait quand même l’Etat, à l’époque. » « 17 octobre, crime d’Etat, 17 octobre, on n’oublie pas », scandait la sono des organisateurs de la manifestation.
« On ne peut pas s’excuser »
La formulation pour le moins précautionneuse du communiqué de l’Elysée, et notamment l’imputation de la responsabilité de la tragédie au seul Papon dénué de tout titre officiel, n’est pas seulement la manifestation d’une grande prudence dans le contexte préélectoral en France, où le courant hostile à toute « repentance » de la République pèse sur les esprits. Elle est aussi le produit d’âpres tractations au sein même du pôle exécutif, où les sensibilités ne sont pas forcément à l’unisson sur un sujet aussi délicat. Outre la protection de l’image de la police, l’enjeu est aussi la sauvegarde de la figure tutélaire du général de Gaulle, admet une source proche de l’entourage présidentiel. La référence à un « crime d’Etat » l’aurait forcément atteint.
Aussi la thèse retenue par l’Elysée est-elle que la « répression du 17 octobre 1961 s’est déroulée dans un certain contexte où le préfet de police de l’époque, Maurice Papon, avait la main mais n’avait pas d’instruction gouvernementale de tirer à balles réelles sur les manifestants ou de les jeter, de surcroît, à la Seine », précise une source autorisée de la présidence de la République.
Quant à la formule de « crimes inexcusables pour la République », elle fournit l’habile prétexte de ne présenter aucune « excuse » aux victimes, déplorent les détracteurs du chef de l’Etat à gauche du spectre politique. A l’Elysée, on défend une lecture contraire : « Ces crimes sont tellement indignes de la République qu’on ne peut pas s’excuser, ça va au-delà. Mais si vous trouvez des excuses, alors vous sortez du champ républicain. » L’entourage présidentiel ajoute que l’ensemble de la démarche réconciliatrice de M. Macron autour de la guerre d’Algérie s’inscrit dans une sorte de « sens de l’histoire ». « Les héritiers de cette guerre veulent avancer ensemble, précise la source élyséenne. Si vous vous y opposez, c’est que vous êtes à rebours de l’histoire. »
Samedi, au pont de Bezons, un historien avait été invité à la cérémonie de commémoration : Benjamin Stora, auteur d’un rapport inspirant – plus ou moins fidèlement – l’action mémorielle du président. Le spécialiste reconnu de la guerre d’Algérie est bien conscient des critiques adressées à M. Macron sur ses « demi-pas » ou ses « semi-reconnaissances ». Mais il tient à les resituer sur le temps long : « En six mois, plus de gestes ont été accomplis qu’en soixante ans », estime-t-il.