Ainsi sont dilapidés les revenus tirés d’une manne pétrolière exploitée dans les régions anglophones du Cameroun, maintenues dans une pauvreté sans nom et désormais en guerre ouverte contre ce pouvoir essentiellement familial et tribal.
Certains osent encore s’en étonner après 40 ans de cette gabegie particulièrement cruelle et inhumaine???
Les anglophones et les Camerounais en général auront davantage fait montre d’une exceptionnelle patience.
JDE
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Cameroun : les Moudiki, un couple au cœur du pouvoir de Paul Biya
Par Mathieu Olivier (Jeune Afrique)
Lui, Adolphe, est l’un des derniers compagnons de lycée de Paul Biya. Elle, Nathalie, est l’une des plus proches amies de Chantal, la première dame. Entre finances et vie privée, « Jeune Afrique » vous invite avec le couple Moudiki au cœur du sérail, dans les plus hautes sphères de l’État.
Une fois n’est pas coutume, notre histoire débute à Paris, loin des collines de Yaoundé. Depuis plusieurs années, Adolphe Moudiki y passe une bonne partie de son temps. L’homme n’a jamais eu la réputation d’apprécier la foule. À Yaoundé, il recevait déjà relativement peu, n’hésitant pas à éconduire ceux qui s’essayaient à le déranger dans ses moments de quiétude. Des ministres en ont fait les frais, tout autant que certains proches et membres de sa famille, qui a fini par s’éloigner de lui. Et le directeur général de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) n’a pas changé en prenant de l’âge. En terres françaises, le patriarche goûte toujours aussi peu être dérangé.
Bien sûr, quelques conseils d’administration de la SNH ont encore lieu à Paris, obligeant les pontes de la société à faire le déplacement et à y retrouver le grand patron. Mais, à bientôt 83 ans (il les fêtera le 10 décembre prochain), Adolphe Moudiki ne se frotte en réalité plus qu’aux gros dossiers, laissant la majorité des affaires à une poignée de ses collaborateurs. Depuis une dizaine d’années, il s’est mis en retrait, poussé par l’âge et les soucis de santé – notamment aux yeux. Ses conseillers Bernard Bayiha et Jean-Jacques Koum (que d’aucuns appellent respectivement « numéro un » et « numéro deux ») ont pris le relais.
L’autre patronne de la SNH, qui travaille à la direction du département juridique, est une femme de moins de cinquante ans, et pas n’importe laquelle : l’épouse du directeur général, Nathalie Moudiki, née Engamba. Mariée à Adolphe Moudiki depuis 2000, elle est sans doute l’une des femmes les plus puissantes du pays après Chantal Biya. Amie intime de cette dernière, trésorière du Cercle des amis du Cameroun (Cerac, association fondée par la première dame et qui rassemble la quasi-totalité des épouses de ministres et dignitaires camerounais), elle dispose d’une influence non négligeable à la présidence, à la fois auprès d’Oswald Baboke et de Samuel Mvondo Ayolo, respectivement directeur de cabinet adjoint et directeur de cabinet de Paul Biya.
Un condisciple de Paul Biya, dès les années 1950
D’où vient la puissance des Moudiki ? Né à Yaoundé en 1938, Adolphe Moudiki appartient à un clan akwa originaire du village de Bonamouti (à Douala), une famille avec qui il n’entretient que des contacts distants, à l’exception de sa petite sœur aujourd’hui décédée. Il fait ses classes au lycée Leclerc, à Yaoundé. Il y croise un certain Paul Biya, y passe son baccalauréat, en 1959, aux côtés de Michel Epangue Foss, futur ambassadeur aux États-Unis, d’Ebenezer Njoh Mouelle, futur ministre et secrétaire général du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). Alors que les étudiants Biya et Njoh Mouelle prennent la direction de la France pour fréquenter le lycée Henri IV, Moudiki choisit l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), à Yaoundé, pour devenir magistrat.
Paul Biya n’oubliera pas son ancien condisciple. En 1975, alors qu’il est devenu procureur général au ministère de la Justice après avoir achevé sa formation à Bordeaux, Adolphe Moudiki est invité à rejoindre la primature, où Biya a posé ses valises. Conseiller technique puis secrétaire général du Premier ministre, il devient l’un de ses plus proches collaborateurs. Alors, en 1982, la suite sonne comme une évidence : le voilà nommé au palais présidentiel d’Etoudi, une nouvelle fois comme conseiller technique. Paul Biya le choisit ensuite pour une première mission à l’extérieur des palais et le place à la tête de la Régie des chemins de fer du Cameroun, qu’il a pour mission de développer. Puis, en 1988, il le « rapatrie » et en fait son directeur de cabinet civil.
Un an plus tard seulement, Adolphe Moudiki prend la tête du ministère de la Justice, où le magistrat avait débuté sa carrière près de trois décennies plus tôt, déjà. Pour beaucoup, il est l’homme des missions de confiance du chef de l’État. Discret, peu expansif, apte à garder les secrets, il est taillé pour le rôle. Alors, en 1993, lorsque Jean Assoumou Mvé, un intime de Biya alors à la tête de la Société nationale des hydrocarbures, décède, le grand patron pense à Adolphe Moudiki. L’amitié entre les deux hommes n’a pas faibli au fil des années et des parties de golf et de tennis au Mont Fébé ou au Tennis Club de la capitale. Qui mieux que ce taiseux pour garder l’entreprise clé des finances camerounaises, réputée pourvoir en toute discrétion aux divers besoins de la présidence ?
Les tentacules de Moudiki
Désormais tête pensante de la SNH, Moudiki va s’atteler à en développer les tentacules. Il les multiplie même, favorisant les participations de la société dans divers secteurs, notamment grâce à son ami Samuel Kondo, l’ex-président du Syndicat des industriels du Cameroun (Syndustricam), avec qui il s’est ensuite brouillé. Le nouveau gardien du temple pétrolier effectue notamment une percée dans l’assurance, en entrant au capital de la société Chanas et Privat à hauteur de 20%. Il faut dire qu’Adolphe Moudiki connaît bien l’entreprise. À l’époque, il est marié à la directrice de son agence de Yaoundé, Josette. Et celle-ci, dans le petit monde des Françaises du Cameroun, est une amie intime de Jacqueline Casalegno (aujourd’hui décédée), la fondatrice de l’entreprise qui réside à Douala.
L’ancien du lycée Leclerc n’a rien d’un mondain. Il n’aime pas particulièrement les réceptions et abhorre la familiarité de certains courtisans de la capitale. Mais il sait construire ses réseaux et en faire profiter son entreprise. Durant de longues années, les époux Casalegno sont les seuls privilégiés à partager régulièrement la table des Moudiki, notamment au restaurant Le Safoutier de l’hôtel Hilton.
L’entente se gâtera plus tard, à grands coups d’accusations de faux et de détournements, jusqu’à finir devant les tribunaux et à provoquer la démission de Jacqueline Casalegno en 2014. Josette n’aura pas assisté au triste spectacle. Décédée des suites d’un cancer à l’approche de l’an 2000, elle a laissé Adolphe Moudiki veuf et père de deux enfants, une fille et un garçon vivant en France. Un nouveau personnage entre en scène : Nathalie Engamba.
En 2000, le patron de la SNH a 62 ans. La nouvelle venue, une trentaine d’années de moins. Fille d’Émile Engamba, un très proche ami de Paul Biya, elle gravite dans les cercles du pouvoir camerounais depuis son enfance. Sa famille, des Bulus originaires du village de Zoum, a ses racines à quelques encablures de celle du président, à l’entrée de Sangmélima. Par ricochets, Adolphe Moudiki n’est donc pas non plus un inconnu pour elle. Son père et lui sont des intimes et elle-même a obtenu depuis peu un emploi à la SNH. L’idée de réunir les Moudiki de Bonamouti et les Engamba de Zoum émerge, non sans provoquer quelques réticences. Finalement, le 8 juillet 2000 à Poitiers, en France, Adolphe Moudiki épouse en secondes noces Nathalie Engamba.
Madame Moudiki, toute puissante « deuxième dame »
Le couple numéro deux de Yaoundé est constitué. Et sa puissance ne fera que s’accroître. À la SNH, Adolphe Moudiki n’a pas de rival. L’ancien magistrat n’hésite pas à refuser les convocations des ministres, voire celles du chef du gouvernement. Ne répondant qu’au chef de l’État, qu’il voit régulièrement en privé pour discuter des affaires ou partager un moment de repos, il se sait intouchable. En 2001, c’est sur son ordre que la SNH a accordé au Trésor public l’avance de 31 millions de dollars – dont 27 millions auraient ensuite été détournés – nécessaires à l’achat de l’avion présidentiel Albatros. Marafa Hamidou Yaya, Jean-Marie Atangana Mebara, Jérôme Mendouga (décédé) et Yves Michel Fotso sont tombés à cause de cette affaire. Lui n’a pas été inquiété.
Le gourou de la SNH a continué de tisser sa toile, nommant des fidèles aux différentes directions générales du pays ou bloquant les affectations lui paraissant inappropriées. En 2014, alors que sa santé le préoccupait, il s’est ainsi opposé à la nomination par décret de son conseiller Bernard Bayiha à la tête du Chantier naval et industriel du Cameroun pour pouvoir le garder auprès de lui. En mai 2020, il a en revanche facilité l’arrivée à la direction générale adjointe de la Société camerounaise des banques de Madeleine Koum, l’épouse de son autre conseiller et bras droit Jean-Jacques Koum. Autres exemples à la tête de Tradex, où les hommes de la SNH se sont également succédé, en les personnes de Perrial Jean Nyodog (limogé en janvier 2020) puis Simon Paley.
Chez le couple Moudiki, le pouvoir vient également de l’épouse. Alors qu’elle a intégré la direction juridique de la SNH, Nathalie Moudiki s’affirme comme la dame de fer de la tirelire pétrolière. Sa villa du quartier de l’Hippodrome de Yaoundé, qui jouxte (cocasse coïncidence) la Cour des comptes, est devenue l’un des poumons du pouvoir, tandis qu’Adolphe Moudiki passe de plus en plus de temps à Paris. La « deuxième dame » du pays est l’une des cadres du Cerac, cette association où peuvent se faire et se défaire les destins.
Intime de la première dame s’il en est, elle en partage les confidences et, en partie, l’influence à la présidence auprès du directeur de cabinet adjoint, Oswald Baboke, et du secrétaire général, Ferdinand Ngoh Ngoh, lequel est par ailleurs comme ses prédécesseurs président du conseil d’administration de la SNH. Cela ne l’a toutefois pas empêché de tenter à plusieurs reprises de pousser Adolphe Moudiki vers la sortie.
Les Moudiki, éternels ?
La reine de la SNH joue également de ses liens familiaux. De par ses origines du Sud, elle est proche de Samuel Mvondo Ayolo, le directeur de cabinet de Paul Biya, lequel garde un souvenir ému de son père Émile, qui fut longtemps son confident. Son frère aîné, Éric, est en outre un proche de Franck Biya, le fils du chef de l’État, et discute volontiers affaire avec Lionel, celui de l’ancien ministre Alain Edgar Mebe Ngo’o. Le cadet, Christian Franck Nsom Engamba, a aujourd’hui moins bonne presse. S’il était jusqu’à il y a peu les yeux et les oreilles de sa sœur et de son beau-frère à la SNH, il a récemment été limogé de la société pétrolière et est accusé d’avoir détourné quelque 500 millions de francs CFA. Il ne fait pour le moment l’objet d’aucune procédure judiciaire.
Les Moudiki sont-ils éternels ? L’âge du patriarche invite à la prudence. À presque 83 ans, Adolphe Moudiki s’est éloigné de la SNH. Plusieurs fois, il a même formulé auprès de Paul Biya le souhait de prendre sa retraite. Des noms de successeurs potentiels – parfois soufflé par Ferdinand Ngoh Ngoh – ont même circulé : Bernard Bayiha et Jean-Jacques Koum, évidemment, mais aussi Oscar Matip, ex-directeur général des Mines, Perrial Jean Nyodog, voire même Laurent Esso, le ministre de la Justice.
Chaque fois, le chef de l’État, qui compte ses hommes de confiance, ces « taiseux » de la République, sur les doigts d’une main, a remis à plus tard. Il a jusqu’ici ignoré les appels du FMI à revoir l’organisation de la SNH et à faire un peu plus de lumière sur l’utilisation de ses fonds. Paul Biya tient au secret et à l’ombre, dans lesquels il se plaît lui-même à évoluer. « Adolphe Moudiki est trop important pour lui. Il a beau avoir voulu démissionner, c’est impossible sans l’accord du chef de l’État : ce serait vu comme une trahison. Le poste est bien trop important car Moudiki est tout simplement le gardien du coffre-fort de la République », résume un ami proche du grand argentier.
Cet intime ajoute, pour appuyer son propos : « Avec la SNH, Moudiki a versé plus de 5 000 milliards de francs CFA à l’État en un peu plus de dix ans ». « L’important, ce sont les fonds spéciaux, dans lesquels la présidence puise abondamment pour financer le Bataillon d’intervention rapide [BIR, forces spéciales sous l’autorité du secrétariat général de la présidence], voire des voyages privés du chef de l’État », complète un habitué du palais. Ce dernier conclut : « Moudiki, même diminué, même à Paris, c’est l’assurance de pouvoir disposer de la SNH sans qu’aucune question ne soit posée. Il n’y a pas plus précieux. »