Tribune. Dix ans et vingt ans de prison ! Telles sont les peines auxquelles ont été condamnés, au Bénin, le professeur de droit constitutionnel Joël Aïvo et l’ancienne garde des sceaux Reckya Madougou, les 6 et 10 décembre. Infligées par la juridiction d’exception de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), créée en 2018 dans le but de museler et d’écarter toute opposition politique à l’omnipotence du président Patrice Talon, ces peines constituent la dernière manifestation d’une descente aux enfers autoritaires du Bénin.
Cette catastrophe est d’autant plus dramatique que ce pays avait inauguré une exceptionnelle ère démocratique grâce au mode consensuel d’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990. Depuis lors, grâce à des acteurs politiques responsables et des contre-pouvoirs indépendants – à l’instar de la Cour constitutionnelle présidée par des juristes hors pair comme Robert Dossou ou encore Theodore Holo –, l’ancien Dahomey était devenu un joyau démocratique, loué et admiré dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà. L’arrivée au pouvoir de l’homme d’affaires Patrice Talon en 2016 marqua toutefois le début d’une indiscutable « déconsolidation démocratique », pour reprendre l’expression des politologues Yasha Mounk et Stéphane Foa. A l’instar de ce qui se passe dans de nombreux Etats à travers le monde, le droit est manié de telle manière qu’il devient l’ennemi de l’Etat de droit.
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Au Bénin, les règles du jeu démocratique furent modifiées en une seule nuit : en 2019, une nouvelle Constitution était adoptée, sans que soient respectées les règles de révision posées par la Constitution de 1990 comme celles de la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance. D’autres types de manipulations affectèrent la législation électorale et l’exercice du pouvoir judiciaire. Au final, tout fut minutieusement et très astucieusement organisé afin que la mainmise de l’exécutif béninois soit totale sur l’ensemble des pouvoirs constitués.
Processus machiavélique
L’atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire est une marque contemporaine des temps illibéraux. Les hommes forts, une fois élus, déconstruisent le principe de la séparation des pouvoirs pour mieux se maintenir à la tête de l’Etat. Le Bénin n’échappe pas à ce processus qui témoigne d’un tournant autoritaire à travers le monde, à l’œuvre en Pologne ou en Hongrie par exemple.
En plus d’une Cour constitutionnelle aux ordres − son président actuel Joseph Djogbenou, qui orchestra la réforme constitutionnelle litigieuse, se trouve être l’ancien avocat du président ainsi que son ex-garde des sceaux −, la CRIET, au travers de ses décisions, est devenue l’emblème d’une justice muselée.
Avant les condamnations de Joël Aïvo et Reckya Madougou, d’autres opposants politiques subirent le même sort, à une différence près toutefois : ils purent échapper à l’emprisonnement et sont aujourd’hui tous en exil. Avant que le gouvernement béninois n’ait dénoncé en 2020 la juridiction de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, cette dernière avait parfaitement mis en évidence tous les dysfonctionnements de la justice au Bénin. Il suffit de lire les affaires Lionel Zinsou, Sébastien Ajavon, Valentin Djénontin, Komi Koutché – toutes examinées par la juridiction panafricaine des droits de l’homme – pour prendre la mesure du processus implacable et machiavélique d’atteinte à l’indépendance de la justice.
Laurence Burgorgue-Larsen est professeure de droit public à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Paris 1) et directrice du master 2 « droits de l’homme et Union européenne » à l’Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne (Iredies).
Laurence Burgorgue-Larsen