A l’aube, mercredi 29 décembre, les locaux de Stand News, l’un des derniers médias indépendants de Hongkong, ont été perquisitionnés par une centaine de policiers en uniforme et en civil, arrivés sur place avec des dizaines de grandes boîtes en plastique. Les employés déjà dans les bureaux ont été sommés de quitter les lieux, et l’immeuble a été bouclé. Quelques instants plus tard, Stand News annonçait la cessation de ses activités après avoir pris connaissance du gel de ses actifs (61 millions de dollars de Hongkong, soit 6,9 millions d’euros).
En parallèle aux perquisitions, au moins six dirigeants ou anciens membres du conseil du journal en ligne ont été interpellés à leur domicile. Parmi les personnalités arrêtées dans le cadre de cette opération et identifiées par la presse locale figurent la chanteuse Denise Ho, célèbre popstar et militante prodémocratie, qui avait démissionné du conseil d’administration de Stand News en novembre, la grande avocate et ancienne députée, Margaret Ng, ainsi que Chung Pui-kuen, ex-rédacteur en chef du journal en ligne. M. Chung avait également démissionné de ses fonctions récemment. Son épouse, Chan Pui-man, elle aussi poursuivie en raison de ses responsabilités au sein de l’ancien journal d’opposition Apple Daily, fermé en juin par les autorités, aurait également été arrêtée, a indiqué le South China Morning Post, mercredi.
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La police a simplement confirmé l’arrestation de « trois hommes et de trois femmes, âgés de 34 à 73 ans », pour « conspiration en vue de publier des éléments séditieux, en contravention aux sections 9 et 10 du décret sur les crimes ». Bien que l’opération ait été menée par le département de la police de sécurité nationale (une force ad hoc, créée spécialement pour mettre en œuvre la nouvelle loi de sécurité nationale entrée en vigueur le 30 juin 2020), les arrestations ont été faites sous une loi datant de l’ère coloniale (Crimes Ordinance 1937) plutôt que sous le couvert de cette nouvelle loi. Si celle-ci est plus sévère, elle n’est en effet pas rétroactive et ne peut donc pas, théoriquement, s’appliquer à des faits antérieurs au 30 juin 2020.
Lors de l’audience de Jimmy Lai, le fondateur du groupe de presse Next Digital, et d’autres responsables d’Apple Daily, l’ex-grand journal d’opposition, qui a eu lieu au tribunal de Kowloon Ouest, mardi 28 décembre, les juges ont d’ailleurs annoncé que les accusés seraient également poursuivis pour ce même délit de « conspiration en vue de produire et de distribuer des éléments séditieux », défini par cette loi coloniale. La prochaine audience pour les dirigeants de l’Apple Daily a été fixée à fin février.
Perquisitions et fouille
Environ une heure avant le raid dans les locaux de Stand News, la page Facebook du média avait diffusé en direct la visite de plusieurs agents de la police de la sécurité nationale au domicile d’un autre responsable du journal, Ronson Chan, filmée par lui-même. Ronson Chan est également président de l’Association des journalistes de Hongkong (HKJA), le syndicat de la profession.
La HKJA est l’une des rares organisations osant encore afficher une certaine indépendance à l’égard des autorités et qui résistent encore, pour le moment. Mais la presse de propagande prochinoise dénigre régulièrement ce syndicat, qu’elle accuse d’être « jaune », c’est-à-dire de faire partie de l’opposition prodémocratie, quasi éteinte. En début d’après-midi, mercredi, Ronson Chan a toutefois précisé que la perquisition de la police à son domicile n’était, selon lui, pas liée à ses responsabilités à la tête de la HKJA.
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« Stand News a toujours tenu à faire du journalisme professionnel. Cela ne fait aucun doute. Le monde entier peut le constater. Quelles que soient les accusations à venir, cela ne changera pas ce fait », a-t-il ajouté. « Stand News a fait un travail exceptionnel et a tenu bon après l’imposition de la loi de sécurité nationale, comblant le vide laissé par l’Apple Daily et RTHK », a tweeté, de son côté, Lokman Tsui, ancien professeur à la faculté de communications de l’université de Hongkong, exilé en Hollande.
Signe de l’ambiance de terreur qui s’est imposée peu à peu dans les salles de rédaction de Hongkong et qui s’est aggravée depuis la fermeture de l’Apple Daily, TVB, la principale chaîne de télévision publique, a retiré de son site, peu après l’avoir mise en ligne, la vidéo qui montrait le rédacteur en chef par intérim de Stand News, Patrick Lam, escorté par la police et arrivant aux locaux du journal. Selon une source proche du média, après une fouille de son domicile qui a duré une heure et demie, les policiers ont confisqué un disque dur, un ordinateur portable, une tablette, deux téléphones, deux carnets de notes et des papiers d’identité. Patrick Lam, menotté, a ensuite été emmené à la station de police de Kwun Tong.
« La presse internationale doit relayer l’information »
Stand News a été créé en décembre 2014, dans la foulée du premier grand mouvement de révolte citoyenne, la « révolution des parapluies », qui avait mobilisé pendant soixante-dix-neuf jours une partie de la jeunesse de Hongkong réclamant une « vraie démocratie ».
Depuis quelques semaines, et notamment depuis que Stand News avait été pris à partie directement par l’ancien chef de la police devenu ministre de la sécurité, Chris Tang, qui avait accusé le site d’avoir couvert « de manière biaisée, insultante et diabolique » une nouvelle initiative de la police, beaucoup craignaient, à Hongkong, que les heures de Stand News ne fussent comptées.
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En début d’après-midi, l’opération semblait terminée, une quarantaine de grandes boîtes en plastique désormais pleines étaient alignées dans le lobby de l’immeuble, prêtes à être emportées. « Quand cela s’est passé pour Apple Daily, il y avait les journalistes de Stand News pour couvrir. Maintenant que cela se passe pour Stand News, il faut que la presse internationale relaie l’information, car il n’y aura bientôt plus personne pour témoigner de l’étranglement de la presse locale indépendante », a déclaré au Monde un membre de la HKJA.