Enfin libre après deux ans et demi de détention en Egypte, le militant Ramy Shaath a laissé éclater sa joie à son arrivée à l’aéroport de Roissy, samedi 8 janvier. Aux côtés de son épouse française, Céline Lebrun-Shaath, qui s’est battue sans relâche pour sa libération, cette figure de la scène progressiste égyptienne a aussitôt dénoncé les « conditions inhumaines » des prisons du Caire. Il a affiché sa détermination à poursuivre son combat politique : « J’ai de l’espoir pour une Egypte meilleure, j’ai de l’espoir pour que les prisonniers soient libérés, j’ai de l’espoir pour une Palestine indépendante et stable. »
Son départ pour la France est l’épilogue provisoire d’une affaire qui avait choqué au sein de la société civile en Egypte. Visage connu pour son implication dans la révolution de 2011 et son engagement pour les droits des Palestiniens, Ramy Shaath, à la double nationalité palestinienne et égyptienne, avait été arrêté à son domicile au Caire le 5 juillet 2019. Les efforts de Ramallah pour le faire libérer avaient alors échoué, et Céline Lebrun-Shaath, enseignante, avait été expulsée vers Paris. « L’année 2019 a été très difficile pour la société civile égyptienne : elle a essuyé de lourdes représailles d’un régime qui ne tolère pas de voix dissidente », se rappelle, depuis Le Caire, Mohamed Lotfy, directeur de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés.
Un coût lourd
Mais la libération de M. Shaath, âgé de 50 ans, fils de Nabil Shaath, qui a occupé des fonctions importantes au sein de l’Autorité palestinienne, a un coût lourd : il a été contraint de renoncer à sa nationalité égyptienne – il en a été déchu en décembre 2021, selon une source politique au Caire. Ce prix imposé est d’autant plus amer qu’il y a dix ans Ramy Shaath s’était battu pour conserver sa citoyenneté égyptienne, alors que les autorités tentaient déjà de la lui retirer, afin de fragiliser son action politique. Par ailleurs, son nom reste inscrit sur la « liste des terroristes » établie par les autorités égyptiennes ; il y avait été ajouté par contumace en 2020, pour une durée de cinq ans, une mesure condamnée par des experts de l’ONU.
Après son arrestation, Ramy Shaath avait été accusé d’assistance à un « groupe terroriste » et son nom avait été ajouté à une affaire : fin juin 2019, la sûreté d’Etat avait lancé un coup de filet contre des opposants et des activistes, les accusant de préparer un complot contre l’Etat. Sa famille, appuyée par des ONG de défense des droits de l’homme et des parlementaires français et européens, a toujours dénoncé de fausses accusations, l’arbitraire de sa détention et le détournement de lois antiterroristes pour museler les opposants.
Il reste difficile de déterminer quel élément a le plus irrité les autorités égyptiennes dans le parcours de Ramy Shaath. Est-ce l’inquiétude que cet homme de gauche mobilise sur la scène interne ? son rôle de coordinateur de la branche égyptienne du mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions), qui réclame notamment la fin de l’occupation depuis 1967 des territoires palestiniens par Israël ? ou ses critiques contre la participation de l’Egypte à une conférence économique organisée à Bahreïn en juin 2019 par l’administration Trump pour promouvoir son prétendu « deal du siècle » afin de résoudre le conflit israélo-palestinien, qui prévoyait un Etat croupion pour les Palestiniens ?
« Ramy est charismatique, il a la capacité de rassembler et de fédérer la société civile, souligne Katia Roux, chargée de plaidoyer chez Amnesty International, l’une des ONG qui a mené campagne pour sa libération. C’est une figure qui peut effrayer les autorités égyptiennes. » Avocats, journalistes ou militants égyptiens dénoncent le verrouillage de l’espace public sous le pouvoir d’Abdel Fattah Al-Sissi. Les manifestations y sont interdites, y compris celles de soutien aux Palestiniens qui, du temps de Hosni Moubarak, rassemblaient régulièrement des Egyptiens.
Libérations au compte-gouttes
Le départ d’Egypte de M. Shaath était une étape nécessaire pour retrouver son épouse – depuis son départ forcé, Céline Lebrun-Shaath n’avait été autorisée qu’une seule fois à se rendre au Caire, en février 2021. Mais il s’agit aussi d’une « expulsion », selon la source politique citée plus haut. Un sort déjà réservé à quelques prisonniers politiques détenant une seconde nationalité. Ramy Shaath a transité par la Jordanie, après avoir été remis au Caire, jeudi 6 janvier, à une délégation de l’Autorité palestinienne.
Les libérations politiques se font au compte-gouttes en Egypte. Avant lui, le jeune chercheur Patrick Zaki avait recouvré la liberté. Samedi, un militant copte, Ramy Kamel, a retrouvé sa famille. Mais « des milliers de prisonniers d’opinion restent détenus en Egypte », rappelle Mohamed Lotfy.
Le Caire a observé le même mutisme sur la libération de M. Shaath que sur son arrestation. Le président français, Emmanuel Macron, a salué, samedi, dans un tweet, « la décision des autorités égyptiennes de remettre Ramy Shaath en liberté ». Le chef de l’Etat avait évoqué son sort en recevant Abdel Fattah Al-Sissi en 2020 à Paris, mais il avait, au même moment, dissocié droits de l’homme et « coopération en matière de défense, comme en matière économique ». « Le message envoyé était contradictoire, note Katia Roux, d’Amnesty International. Paris a agi, mais peut faire plus et mieux. Nous plaidons pour une parole plus forte et plus constante de la France sur la question des droits humains en Egypte. »