“C’est avec beaucoup de gravité que je me permets aujourd’hui de m’adresser au peuple et aux partenaires du Cameroun dans le but de m’acquitter d’un devoir de vérité que je ressens au fond de moi à leur égard”
C’est avec beaucoup de gravité que je me permets aujourd’hui de m’adresser au peuple et aux partenaires du Cameroun dans le but de m’acquitter d’un devoir de vérité que je ressens au fond de moi à leur égard, depuis l’éclatement de l’Affaire dite « Etat du Cameroun contre OLANGUENA AWONO Urbain et Autres », pour laquelle je compte déjà, avec quatre jeunes médecins, trois ans et quatre mois de détention sans preuves à charge et sans jugement.
Ayant occupé pendant plus de six ans (Avril 2001 / Septembre 2007) la fonction de Ministre en charge de la santé des populations, au plus près du peuple réel pour sauver des vies et au carrefour de multiples coopérations techniques et financières mobilisées pour ce noble objectif, mon exigence éthique m’oblige à m’expliquer et à dire la vérité, rien que la vérité, à tous ceux-là qui m’ont fait confiance, qui ont espéré de mon action de réforme, ou qui l’ont accompagnée.
Cet exercice de clarification s’impose d’autant plus que l’écran de fumée qui entoure le contexte de « L’Opération Epervier » se nourrit essentiellement, dans bien de cas, du jeu politicien fait de mensonges et amalgames, juste pour salir la réputation de certaines personnalités qu’on voudrait éliminer du jeu politique. La vérité dans ces conditions n’est pas acceptée spontanément, elle doit forcer son chemin.
Pourtant, la constitution stipule dans son article 37 alinéa 1 que la justice au Cameroun est rendue au nom du peuple et ce, en application des lois et règlements de la République du Cameroun ainsi que des traités et accords internationaux auxquels le pays a souscrit, après vérification de leur conformité à sa constitution.
La même constitution camerounaise, version 1996, en son article 37 alinéa 2 reconnaît au juge le pouvoir de dire le droit en vigueur en son âme et conscience, principe vertueux qui suggère à tout le moins son indépendance mais dans le respect de la loi.
Dans une démocratie, la justice est une grande institution de pouvoir ; elle est aussi, par rapport aux autres, un contre-pouvoir et joue un rôle-clé de régulation sociale. Ce qui fait que la justice est structurellement indispensable au lien et à la paix sociale.
Censée être vérité et équité, les citoyens en attendent beaucoup et il appartient à la justice de bien comprendre son rôle irremplaçable et unique pour garantir effectivement les libertés et les droits fondamentaux de l’Homme, piliers de la démocratie et de l’Etat de droit.
La justice est aussi un facteur essentiel du développement, dans la mesure où les investisseurs prennent leur distance avec les pays où la sécurité de leurs investissements paraît incertaine du fait d’une justice imprévisible.
Au total, le besoin de justice de tout citoyen est une évidence, une nécessité humaine et universelle. La justice est donc vitale pour la sécurité de chacun et des investissements, source de progrès et de cohésion sociale. L’injustice produit le résultat inverse.
Dominique Barella (OPA sur la justice, édition Les documents Hachette) a raison lorsqu’il écrit : « un Etat injuste par sa justice peut vite devenir illégitime dans le regard des citoyens ». N’est-ce pas dans cette triste voie d’illégitimité et d’anomie que s’abime aujourd’hui la justice camerounaise qui connaît ses pires moments sous la dynamite de ce que l’on nomme perfidement ici « L’Opération Epervier » ?
Nombreux sont en effet les Camerounais et les Observateurs étrangers qui confusément se demandent encore ce que masque cette affaire ?
Certes l’Afrique, à part un groupe limité de pays bien orientés, souffre globalement de l’absence de démocratie, de développement et de la mauvaise gouvernance. Mais cette trilogie du sous-développement n’est pas une fatalité, car de bonnes politiques publiques avec des réformes audacieuses et concertées sur tous les plans, marque efficace de l’agir, peuvent ouvrir les voies nouvelles à suivre pour relever les défis présents et à venir.
En matière de gouvernance, la corruption est un type d’échec d’ordre institutionnel et moral qu’il faut à tout prix combattre parce qu’elle est un cancer qui détruit l’économie. Il ne faut pas la laisser se développer de façon métastatique.
Au cours des deux dernières décennies et depuis l’apparition des indices de classement de Transparency International, le Cameroun est malheureusement placé dans le tiers des pays les plus corrompus du monde. Ce classement peu glorieux dont personne ne peut se satisfaire a été ainsi le marqueur de la lutte anti-corruption engagée vers le milieu des années 1990 et relancée dans les années 2000 avec le consensus de tous. Mon engagement personnel tant dans la conception des mesures de type structurel et institutionnel que dans l’action concrète avec par exemple la campagne « Hôpital sans corruption » est traçable.
A défaut de l’approfondissement des mesures d’ordre structurel plus efficaces, le bilan de la lutte anti-corruption a produit peu de résultats.
En revanche, ce qui devait rester strictement une opération d’assainissement des mœurs de gestion des affaires publiques a très vite quitté ses bases morales pour se muer en un champ d’impitoyables règlements de comptes politiques sur fond d’instrumentalisation de l’appareil d’Etat, y compris la justice, d’intoxication et de manipulation de l’opinion par la théâtralisation policière et médiatique des arrestations des personnalités victimes. Il a même été créé une catégorie de suspects potentiels dans une logique de justice discriminatoire orchestrée par les pilotes de l’ « Opération Epervier » qui n’ont pas hésité à duper le Chef d’Etat pour des raisons propres à leur agenda politique. De la sorte, de faux dossiers ont été fabriqués, orientés et lui ont été soumis, faisant de lui l’acteur principal d’un jeu de dupes.
Dans ce scénario où il est bien possible que l’acteur principal ne soit lui-même qu’une victime de la manipulation, le contexte d’aujourd’hui peut-il éveiller sa conscience et l’amener à comprendre que ceux qui tirent les ficelles s’évertuent à le présenter en réalité comme l’organisateur direct du chaos généralisé d’une épuration dont on discerne mal le projet ? Que doit retenir l’histoire ?
Quoiqu’il en soit, le peuple camerounais a le droit de savoir ce qui est réellement à l’œuvre. Les partenaires du Cameroun aussi.
En amalgamant des personnalités politiques connues par leur dévouement au service de la nation dans le très classique mais très infamant « Tous pourris », l’objectif politique de les éliminer et de leur interdire toute ambition pour l’avenir est très clair. Pour y parvenir, le prétexte des accusations de détournement de fonds publics, sans aucune réalité dans bien de cas, est tout trouvé. Aux ordres et sous pression, la justice se transforme alors en un instrument de répression politique. Il est ainsi apparu au Cameroun une nouvelle classe de prisonniers politiques avec un habillage judiciaire.
Pour essayer de « légitimer » ce processus dans l’opinion, l’idée d’un groupe politique, soi-disant menaçant pour le régime, a créé ce qu’on a appelé le G11, et dont les membres supposés devaient être éliminés. Dans la réalité, ce « machin » n’a jamais existé. Symbole de tous les fantasmes politiques des plus hallucinants des dernières années, le G11 n’est que la création paranoïaque de la petite forteresse de haine qui autour du Chef d’Etat distille sans cesse le poison destructeur du complot. L’Histoire finira par dévoiler un jour les petits génies du mal qui ont inventé cette construction mythologique et machiavélique.
On est en pleine dérive institutionnelle. Y souscrire, c’est manquer de vision pour soi-même et pour la société qui, dans son ensemble, court un péril très grave en termes de manipulation politique, d’absence de justice et d’absence d’Etat de droit. Or l’Etat de droit, il faut le savoir, est la meilleure garantie de sécurité pour tout le monde. C’est le bien collectif le plus précieux. La justice est un bien commun. Il est donc normal que la vérité, l’équité et l’indépendance du juge qui en assure le respect, demeurent des exigences fondamentales et permanentes, car nécessaires pour le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire.
Les processus judiciaires des affaires « Epervier » sont-ils conformes à ces exigences de bonne justice ?
A l’observation et à l’expérience, on en est très loin. L’offre judiciaire dans ces affaires est tout sauf une offre de confiance et d’équité pour le justiciable, tellement sont nombreux les dysfonctionnements.
Pour s’en convaincre, il suffit de mentionner quelques uns, notamment:
* La confusion, au mépris des lois, des compétences entre les juridictions pénales et financières: ce qui conduit à engager de poursuites pénales pour crime de détournement de deniers publics là où il n’y a qu’une faute de gestion n’impliquant aucun détournement comme c’est souvent le cas en matière d’irrégularités dans la procédure de passation des marchés.
* Parfois, pour des faits identiques, certains répondent devant les juridictions financières – le Conseil de Discipline budgétaire et financière ou la Chambre de Comptes – alors que d’autres sont poussés devant une juridiction criminelle et immédiatement incarcérés. Il y a rupture d’égalité des citoyens devant la loi.
* La détention qui est l’exception est devenue la règle nonobstant les garanties légales présentées, et les demandes de mise en liberté provisoire sont systématiquement ignorées.
* Les délais de détention et de jugement sont excessifs, s’allongent au rythme des renvois et se comptent en plusieurs années de prévention sans aucun horizon. Avec les jeunes médecins, mes ex-collaborateurs, interpellés le 31 mars 2008, nous totalisons déjà 3 ans et 4 mois de prévention.
* Les principes généraux du droit et la prééminence des droits de la défense sont constamment foulés aux pieds, sans aucune sanction.
* La non-maitrise des principes, règles et procédures de gestion financière et comptable par le juge est un grand facteur de risque pour le justiciable de l’« Opération Epervier ». Dans ces conditions, l’expertise externe de bon niveau mériterait d’être suffisamment sollicitée et prise en compte à tous les stades de la procédure pour clarifier aussi bien l’instruction que les débats.
* La pratique de la disjonction qu’affectionnent les Juges d’instruction et par laquelle ils saucissonnent un dossier pour le renvoyer devant le tribunal par petits bouts, manque de fondement légal. Elle est une atteinte aux droits de la défense dans la mesure où elle crée une pluralité de dossiers et fait du justiciable un otage à la merci du juge.
* Les conditions de détention dans un espace de non-droit et d’insécurité avérée montrent toute l’indifférence à la souffrance des autres, qu’atteste par ailleurs la difficulté d’accès aux soins des détenus malades.
Faut-il s’indigner ou s’accommoder de cette situation ?
Je crois sincèrement que la haute idée que chacun ou chacune a de l’intérêt de ce pays et du rôle de l’Etat moderne devrait conduire l’ensemble des forces politiques, sociales, les institutions religieuses, les partenaires du Cameroun et les médias à s’approprier la problématique de la justice en général et à questionner, pour l’histoire, l’« Opération Epervier ». Dans le sens de l’histoire, l’absence d’une initiative d’enquête parlementaire sur cette question serait une faute.
Le peuple camerounais a soif de vérité. C’est son droit le plus absolu de connaître la vérité historique sur toutes ces affaires souvent brumeuses à dessein pour lui cacher la vérité des faits tout en manipulant la corde populiste. La propension dominante aujourd’hui tend en effet à faire passer à tout prix le mensonge pour la vérité. Beaucoup d’acteurs chargés de mission de l’«Opération Epervier » donnent l’impression d’être formatés à un logiciel unique de nécessité et de circonstance, à savoir : le mensonge érigé en ordre universel. L’inculture réelle (ou simulée) en matière financière des soi-disant experts du Contrôle Supérieur de l’Etat, à l’origine de certains dossiers ou appelés comme témoins à charge, est sidérante et participe du même but.
Ancien Inspecteur d’Etat, Chef de section de l’apurement des comptes du budget général de l’Etat et des budgets annexes, Chef de plusieurs missions de contrôle, au milieu des années 1980, je constate avec regret la perte du capital de crédibilité de cette grande maison qui accueillait jadis une élite administrative et technique de haut niveau, choisie parmi les forts en thème. La compétence technique, la rigueur éthique et la force de travail sont à la fois des valeurs et des critères de sélection qui n’auraient jamais dû souffrir d’aucune complaisance au sein de cette Administration. En outre, les demandes financières anormales faites aujourd’hui aux agents vérifiés par certaines équipes de mission de contrôle, au-delà du soutien logistique toléré, introduisent un aléa moral qui nuit à l’objectivité des rapports. Malheur à ceux qui ne se plient pas à ces exigences, et si en plus la mission de contrôle est spécialement téléguidée, c’est le comble du chantage.
A ce niveau de perte de crédibilité, on est en présence d’un problème institutionnel qui interpelle le pouvoir d’Etat, car on ne peut tolérer que des gestionnaires et comptables publics soient poursuivis et incarcérés sur la base de rapports mal investigués, peu informés, non documentés et pleins d’affabulations. L’Etat du Cameroun a été ainsi induit en erreur dans nombre de cas.
Dans l’affaire dite « Etat du Cameroun contre OLANGUENA AWONO Urbain et Autres », les milliards prétendument détournés, (15) quinze milliards environ, fondent comme un morceau de sucre dans l’eau. Face à la vérité des faits, le rapport mal ficelé à la hâte sans avoir respecté dans sa rigueur le principe du contradictoire fait la pâle figure d’un document « bête et méchant ».
A rebours, sur la base d’un suivi et des audits rigoureux de la gestion des programmes Sida, Paludisme et Tuberculose, leur principal bailleur de fonds, le Fonds Mondial, nous a clairement blanchis. Son Directeur Exécutif dit à cet effet : « Le Fonds Mondial est préoccupé par les arrestations depuis la fin du mois de mars 2008 de l’ancien Ministre de la Santé Publique de la République du Cameroun, Monsieur Urbain OLANGUENA AWONO, ainsi que des docteurs Maurice FEZEU, Raphaël OKALLA et Hubert WANG, respectivement Secrétaires Permanents du Comité National de lutte contre le Sida, du Programme de lutte contre le Paludisme et du Programme de lutte contre la Tuberculose. Le Fonds Mondial a constamment suivi le développement de ces affaires à travers à la fois sa représentation locale au Cameroun et les autorités camerounaises. A notre avis, l’axe des enquêtes menées par les autorités camerounaises n’engage pas le Fonds Mondial. En tout point de vue, tous les rapports financiers et la revue des programmes financés par notre institution montrent à suffisance qu’ils ont été gérés de façon satisfaisante à cette date. Le Fonds Mondial n’a aucune preuve montrant une mauvaise utilisation des crédits alloués au Cameroun. » Prof. Michel KAZATCHKINE, Directeur Exécutif du Fonds Mondial dans une lettre adressée aux Administrateurs du Fonds.
Voilà donc une position sans équivoque ni complaisance, faite à partir des données analysées des rapports d’expertise internationale des cabinets PriceWaterHouse Coopers et Mazars International.
Les experts judiciaires commis par le Juge d’instruction pour confronter les observations du rapport du Contrôle Supérieur de l’Etat à la réalité des faits ont eux aussi abouti à la conclusion générale et factuelle qu’il n’y avait pas de détournement. Les deux experts concluent leur rapport en ces termes : « Nous pouvons affirmer que toutes les opérations financées par les deux bailleurs de fonds – Fonds Mondial et Banque Mondiale – n’ont pas connu, au cours de la période de mise à disposition des fonds, d’irrégularités significatives pouvant être qualifiées de détournement de deniers publics ». (Rapport des experts judiciaires DISSAK DELON et NIEBOU commis par le juge d’instruction.)
A-t-on besoin de quoi d’autre pour reconnaître la vérité ?
Pourquoi continue-t-on cette affaire ? Y a-t-il derrière une raison d’Etat ?
Au bout de trois ans et quatre mois de procédure, ni le Ministère public ni ses témoins à charge n’ont apporté le commencement d’une preuve à charge. Au contraire, des témoins de l’accusation crédibles tels que le coordonnateur actuel du Programme Sida et les experts judiciaires nous ont totalement disculpés, sur la base de la vérité des faits. Ils ont raison, tellement le dossier est vide, et sa vacuité aussi éclatante que notre innocence. Les jeunes médecins brisés par cette tragédie ne méritent pas le sort qui leur est fait. Ils sont parmi les meilleurs de leur génération et je suis fier du travail qu’ils ont accomplis à leurs postes respectifs au service du Cameroun.
En ce qui me concerne, bien qu’il soit toujours difficile de parler de soi, je puis dire humblement que nombreux sont ceux qui, au Cameroun et à l’Etranger, savent que je suis un homme de vérité et intransigeant sur l’éthique de service et de comportement. Cela peut être perçu comme un défaut dans un univers sans convictions, sans valeurs, riche en hypocrisies, mesquineries, opportunismes, corruption et servilité des élites. Mais que faire ?
Je m’assume tel que je suis, convaincu qu’un pays ne peut prendre la trajectoire de la grandeur d’Etat qu’avec des hommes d’Etat, hommes de conviction et porteurs de valeurs supérieures.
En inscrivant mon engagement au service de l’Etat dans cette trajectoire exigeante d’exemplarité comportementale, j’ai veillé à n’agir que rigoureusement et conformément à la loi et à la morale. Mon parcours dans l’exercice de la haute responsabilité publique pendant près de 20 ans, de 1987 à 2007, n’a souffert d’aucun incident de gouvernance. Pendant cette période, j’ai servi successivement comme Inspecteur d’Etat Chef de Section, Inspecteur Général du Ministère du Développement Industriel et Commercial, Secrétaire d’Etat aux Finances, Secrétaire Général du Ministère de l’Economie et des Finances, Président du Comité Technique de Suivi des Programmes économiques, et Ministre de la Santé Publique de 2001 à 2007. J’ai également occupé des positions internationales sensibles et très exigeantes en termes de transparence et de probité notamment comme Administrateur du Fonds Mondial et Président de son Comité de Portefeuille. J’ai ainsi été amené à faire la déclaration de mes biens au niveau international.
La mobilisation de plus de 300 millions de dollars américains de dons, environ 150 milliards de F CFA pour le secteur de la santé sous mon action de gouvernement témoigne de la confiance des bailleurs de fonds dans l’intégrité et l’honnêteté du système de gestion orienté vers la performance et les résultats mis en place par mes soins. Aussi nombreux qu’ils soient, Banque Mondiale, Fonds Mondial, Agence Française de Développement, Banque Africaine de Développement , Banque Islamique de Développement, KFW, ACDI, Fonds OPEP, OMS, UNICEF, UNFPA, ONUSIDA, UNESCO, GAVI, UNITAID/FONDATION CLINTON, l’Union Européenne et des bilatéraux comme la République Populaire de Chine, le Japon, la France, la République Fédérale d’Allemagne et l’Italie, etc… aucun de ces partenaires n’a relevé le moindre indice de mal gouvernance me mettant en cause. Le Fonds Mondial par exemple aurait immédiatement suspendu ses financements au bénéfice du Cameroun si ses ressources avaient été mal utilisées ou détournées. Ça n’est pas le cas.
Mon parcours est donc un parcours d’intégrité aux plans national et international, soit tout le contraire des calomnies qui me sont faites aujourd’hui par mon pays.
Partant de plus de 8 milliards 555 millions de F CFA, les poursuites ramenées à présent à 474 millions, au-delà de leur effondrement, ne correspondent à aucune réalité. On me reproche par exemple d’avoir fait des dépenses fictives à travers des subventions octroyées régulièrement aux ONGs/Associations. A l’examen des faits, les dépenses s’avèrent totalement justifiées et les experts judiciaires après d’autres auditeurs sérieux en font un constat vérifiable par tout auditeur de bonne foi. Mais au lieu de clôturer son dossier sur la base de cette vérité factuelle, le juge d’instruction se croit obligé d’inventer une nouvelle charge selon laquelle le déblocage d’une subvention est une infraction à la réglementation des marchés publics, sans même daigner interroger le mis en cause sur ce nouveau chef d’accusation.
En vertu de quelle législation, financière ou pénale, peut-on prétendre que la budgétisation et le transfert de subventions aux associations partenaires, sous contrat d’activités avec l’Etat, constituent une infraction à la réglementation des marchés publics ? C’est énorme de ne pas savoir ce que c’est une subvention en droit budgétaire et de prétendre ensuite que la procédure de déblocage d’une subvention régulièrement budgétisée est une violation de la procédure de passation de marché. C’est un non-sens. Malheureusement l’acharnement et le procès du soupçon conduisent à cette perte de sens, à la dénaturation des faits, à la diffusion de l’ignorance et à la recherche spéculative de l’infraction jusqu’aux frontières de la stupidité. Le soupçon est un procédé inquisitorial qui ne saurait fonder la justice.
C’est ainsi que l’Ex-Ministre de la Santé est soupçonné d’avoir facilité le paiement d’un marché de moustiquaires non livré. Or, il n’en est rien, faute de livraison les services du Programme Paludisme n’ont lancé aucun dossier de paiement. Le Ministre n’a donc rien liquidé. Tous les documents de réception, de certification de la livraison et de liquidation joints à ce dossier sont faux, les signatures des responsables de la santé sont imitées, y compris celle du Ministre. Les seules signatures authentiques sont celles des responsables du Ministère des Finances, dont le Contrôleur Financier qui a validé la dépense, et le Payeur Général du Trésor qui a payé. Dans ces conditions, la seule question qui vaille est de savoir pourquoi ces agents du Ministère des Finances ont respectivement validé et payé un dossier manifestement faux jamais transmis par le Ministère de la Santé ?
Il ressort d’ailleurs des pièces du dossier que le Contrôleur Financier a validé la dépense avant même la prétendue liquidation attribuée au Ministre. Cette chronologie est tout simplement impossible au regard des procédures de la dépense publique. Nonobstant la pertinence de ces données et la démonstration sur pièces de notre innocence, il est curieux que les poursuites demeurent orientées sur l’ex-Ministre et ses collaborateurs qui n’ont rien fait. Pendant ce temps, le faussaire d’abord arrêté a peu après disparu de la prison. On le dit en fuite. Et qu’en est-il de ceux qui ont effectivement validé et payé la dépense sur la base de faux documents dont le caractère frauduleux flagrant ne pouvait leur échapper ?
Dans une logique d’acharnement identique, il m’est reproché d’avoir financé par les fonds publics la production de mon ouvrage paru en 2007 sous le titre « Le Sida en Terre d’Afrique, l’audace des ruptures ». Cette accusation est tout simplement une contre-vérité notoire, car je suis lié à mon éditeur Privat par un contrat d’édition qui stipule clairement que « l’éditeur assure à ses risques et périls toutes les charges financières relatives à la publication et à la distribution du livre ». Ce qui a été respecté, et les conclusions du rapport des experts judiciaires sont formelles : « la production du livre n’a pas été financée par les fonds publics. »
Quant à l’acquisition des exemplaires du livre par le Programme Sida du Cameroun, elle a été faite par l’ex-Coordonnateur du Programme conformément à la politique menée et dans le respect des procédures d’acquisition mises en place avec la Banque Mondiale dans le cadre du projet avec ce bailleur de fonds. Son successeur appelé à témoigner a confirmé la régularité de l’acquisition. L’ex-Ministre – auteur n’a signé ni contrat ni ordonnancement du paiement pour l’acquisition. Aucun centime, à quelque titre que ce soit, n’a été versé par le Comité National de lutte contre le Sida à l’ex-Ministre pour son ouvrage. Ecrire un livre est-il un crime ?
Au total, notre innocence est démontrée. Mais au nom de quoi on nous maintient en prison de façon arbitraire ?
Est-ce parce que les arrestations et les poursuites ont été engagées sur le mode dangereux de la « présomption de culpabilité » qu’il faut à tout prix un coupable ?
Sous le bénéfice de ce questionnement, comment taire notre profonde préoccupation en même temps que notre désapprobation du parti pris des propos du Ministre camerounais de la justice lorsqu’il déclare au cours d’une interview au quotidien le Jour : «Je mets quiconque au défi de prouver que ceux qui sont arrêtés étaient innocents … Ceux qui disent qu’ils sont innocents ont bien caché ce qu’ils ont volé. » (Déclaration de Monsieur AMADOU Ali, Ministre de la Justice au journal Le Jour n° 710 du mercredi 16 juin 2010).
Avant lui, son collègue de la communication, porte-parole du Gouvernement, affirmait déjà en pleine conférence de presse : « Qu’est-ce qu’on reproche aujourd’hui à tous ceux qui sont en prison ? On leur reproche d’avoir massivement détourné les deniers publics. Qu’est-ce qu’ils veulent faire avec tout cet argent ? Peut-être aspirent-ils à gouverner. Dans un premier temps, je vous fais remarquer une chose : pour tous les militants du RDPC qui se trouveraient aujourd’hui en prison, ils savent que les statuts du RDPC stipulent que le candidat du parti à l’élection présidentielle reste le Président national. Donc tous ceux-là qui ont détourné dans la perspective de la compétition présidentielle savent qu’ils ne peuvent pas le faire au sein du RDPC. » (Propos tenus le 02 février 2010 par Monsieur Issa TCHIROMA, Ministre de la Communication au cours d’une conférence de presse radiotélévisée).
Rapportés à l’opinion nationale et internationale, ces propos sont terrifiants et porteurs d’un péril réel pour notre société. Ils le seraient du reste dans toute société démocratique où ils devraient automatiquement porter à conséquence pour leurs auteurs. S’ils ont été pensés et prononcés comme position officielle du Gouvernement, ces propos suffisent à disqualifier le Cameroun comme Démocratie et comme Etat de droit. Ils sont inacceptables et leur cynisme fera date dans l’Histoire du Cameroun.
Mais a-t-on entendu les forces politiques, sociales et morales réagir à hauteur de leur gravité contre ces propos d’une autre époque et en vertu desquels la présomption d’innocence est supprimée ou ne mérite aucun respect ?
A-t-on entendu les représentants des organisations internationales de défense des droits humains fondamentaux rappeler à ces acteurs, qui n’ont pas regretté leurs propos, qu’ils agissaient en violation des principes universels de droits de l’Homme et à contre-temps de l’Histoire ?
En agissant de la sorte, il est très clair que le Gouvernement accroît les pressions du pouvoir politique sur la justice et affirme au grand jour la nature politique des procès engagés.
Il y a là presque une incitation inique et kafkaïenne de l’appareil judiciaire « à condamner à tout prix, non seulement en toute innocence, en l’absence de preuves, mais aussi en toute ignorance, et en violation de la règle de droit ».
Où est donc la justice dans un contexte où l’objectif politique de condamner est ainsi explicitement ou implicitement suggéré voire dicté ? Sous la pression politique, le Juge cesse, sauf à être courageux, d’être libre dans sa conscience et dans la peur des représailles c’est le sort du justiciable qui devient une variable d’ajustement de sa trajectoire professionnelle. Une telle crise de système ne saurait perdurer, cependant que rien n’interdit une réaction de courage et de sursaut des juges pour respecter leur puissant serment statutaire.
Voilà le système auquel nous faisons face. Pour moi, il est d’une importance capitale que le peuple et les partenaires du Cameroun sachent la vérité, au-delà du sombre univers de manipulation et du jeu de massacre qui est servi.
Je n’ai pas détourné un seul centime de Franc CFA, d’euro ou de dollar destiné à la santé des populations camerounaises. Et malgré le contexte, je ferai tout, j’investirai toutes mes forces pour rétablir cette vérité et mon honneur bafoué inutilement. Toutes les preuves de mon innocence sont là, et je n’accepterai jamais d’endosser les habits d’un voleur que je ne suis pas.
Toutefois, sommes-nous en présence d’une affaire politique ou d’une affaire judiciaire ?
Toute naïveté mise à part, les observateurs de la chronique judiciaire se rendent bien compte que nous sommes victimes d’un règlement de comptes politique dont l’habillage judiciaire a beaucoup de mal à tenir en l’absence de preuves des prétendus détournements.
Les trois années et quatre mois de procédure sans jugement témoignent d’un embarras certain et signent par ailleurs, au prix de multiples piétinements et violations des droits de la défense ainsi que de la dignité humaine, l’absence des conditions d’un procès équitable.
L’option du déni est la propension dominante chez nombre de juges en charge des dossiers « Epervier ». Déni de vérité, déni du droit en tant que législation, déni du droit en tant que jurisprudence, partialité et connivence avec le Ministère public. C’est le déni de justice tout court, comme l’illustre la décision du Tribunal de Grande Instance de Yaoundé qui a rejeté notre exception en annulation des poursuites initialement engagées sous le chef de dépenses non justifiées avant de muter sous le chef de la violation de la réglementation de marchés publics, et ce sans nouvelle inculpation et sans que le mis en cause ait été informé et se soit expliqué sur ce nouveau chef. Ce faisant, la procédure d’information sur les faits nouveaux (art 169 Code de Procédure Pénale) a été violée par le Juge d’instruction ainsi que le droit à l’information du prévenu sur la nature et la cause de l’accusation dont il est objet. Au lieu de sanctionner cette violation flagrante par la nullité d’ordre public prescrite par l’art.3 du Code de Procédure Pénale, le Tribunal de Grande Instance de Yaoundé a préféré la couvrir dans l’esprit sus-décrié.
Que faut-il finalement attendre de notre justice aujourd’hui ? Pourtant de bons magistrats compétents, exemplaires et sérieux existent dans notre appareil judiciaire. J’en connais un certain nombre, comme anciens collègues des jurys de concours, anciens camarades de faculté, de l’ENAM, anciens étudiants, etc… Le potentiel voire la richesse du sursaut est là. C’est une source d’espoir. C’est l’environnement qui est un problème, et avec les dysfonctionnements qu’il induit, il est incontestable que notre système judiciaire vit ses pires moments.
Comment en sortir ?
Je me permets de suggérer humblement que l’on revienne au droit rien qu’au droit, et à son application d’autant plus qu’en matière pénale la loi est d’interprétation stricte. C’est quoi exactement le détournement de deniers publics qui devient un serpent de mer ? il faut espérer un recadrage de la Haute Juridiction sur l’interprétation du fameux article 184 du code pénal.
Revenir au droit exige volonté politique et réglage institutionnel au bon niveau.
Dans ce sens, mettre en place la Haute Cour de Justice prévue à l’article 53 de la Constitution de 1996 et étendre sa compétence à tous les actes délictuels ou criminels éventuellement commis par les membres du Gouvernement et assimilés, les hauts responsables de l’administration visés, me paraît une grande réforme institutionnelle de nécessité immédiate.
A défaut d’un tel privilège de juridiction fonctionnel, que la justice actuelle qui accueille les anciens membres du Gouvernement et dirigeants d’entreprises publiques comme de vulgaires bandits reprenne au moins un cours normal, serein et juge en toute indépendance. Car pour tous les Camerounais, l’Etat impartial, équitable et juste par sa justice est un bien commun. C’est un enjeu crucial d’avenir pour notre nation qui doit offrir à ses citoyens et surtout à sa jeunesse dynamique les meilleures conditions de progrès.
Et à cette altitude des intérêts de la nation et des enjeux pour le pays, la haute responsabilité du Chef de l’Etat se trouve forcément interpellée, en l’occurrence dans sa capacité de garant constitutionnel de l’indépendance de la justice en République du Cameroun (Article 37 alinéa 3 de la Constitution de 1996). De l’exercice avisé et déterminé de ce haut devoir dépendra le réglage institutionnel et la normalisation souhaités pour sortir le système de l’abîme. Il faut que cessent toutes ces humiliations, injustices, inhumanités et les mensonges destinés à couvrir de boue des personnalités ayant servi la République du Cameroun avec dévouement, patriotisme, honneur et compétence, au prix des sacrifices reconnus et avec une loyauté sans faille. Que font ces jeunes médecins innocents en prison alors que la nation a besoin de ses médecins ? Il faut revenir à la vérité et libérer les innocents.
Pour cela, je crois très sincèrement, cela vaut pour tous, que la sagesse tirée de la sentence latine « Errare humanum est, perseverare diabolicum est » (c’est-à-dire « l’erreur est humaine, c’est y persévérer qui est diabolique ») est une formidable source d’inspiration. Il est temps.
Urbain OLANGUENA AWONO,
Docteur en Droit
Ex-Ministre de la Santé Publique
en détention provisoire depuis
3 ans et 4 mois