Sur le dessin, le poète apparaît les poings liés, une plume dans la main droite. Un revolver tenu par un bras anonyme lui tire dans la nuque. En guise de balle, un virus. Parue en décembre, cette caricature signée Mana Neyestani résume le terrible destin de l’auteur iranien Baktash Abtin, mort samedi du Covid alors qu’il purgeait une peine pour avoir marqué son opposition au pouvoir. Achevé par la maladie, mais tué par le régime qui l’a enfermé, nous disent Mana Neyestani, ses soutiens et les vigies des droits humains, qui se sont émus de ce décès prématuré.
«Baktash Abtin est mort parce que le gouvernement iranien a voulu le museler en prison, a accusé Hadi Ghaemi, du Center for Human Rights in Iran (Centre pour les droits humains en Iran, CHRI), basé aux Etats-Unis. C’est une tragédie qui aurait pu être évitée. Le chef de la justice iranienne doit être tenu pour responsable.» «Nous pleurons la mort tout à fait évitable de Baktash Abtin. Nous nous souviendrons d’Abtin comme d’un poète et d’un cinéaste talentueux, mais aussi comme d’un penseur courageux», a déclaré Suzanne Nossel, directrice générale de PEN America, le groupe de défense des droits des écrivains qui avait décerné un prix à l’artiste iranien.
Baktash Abtin, 48 ans, faisait partie de l’association des écrivains iraniens (IWA), une institution prérévolutionnaire théoriquement interdite mais qui maintient des activités militantes en faveur de la liberté d’expression et contre la censure. En 2019, il avait été condamné à six ans de prison pour «rassemblement et collusion contre la sécurité nationale» et «propagande contre le système» avec deux autres coaccusés, Keyvan Bajan et Reza Khandan Mahabadi. Les trois artistes se voyaient notamment reprocher leur participation, en décembre 2016, à une cérémonie en la mémoire de deux intellectuels assassinés dix-huit ans plus tôt.
«Meurtres en série»
En 1998, plusieurs figures du monde des lettres, critiques du régime, ont été tuées ou retrouvées mortes, sans que toute la lumière ne soit jamais faite sur ces affaires, connues en Iran sous le nom de «meurtres en série», pour lesquelles seuls des exécutants, agents du ministère du renseignement, ont été condamnés. Quelques jours avant la mort de Baktash Abtin, alors qu’il venait d’être plongé dans le coma artificiel, l’Association des écrivains iraniens dénonçait son traitement comme la suite de ce sinistre épisode.
Baktash Abtin, incarcéré depuis 2020, avait déjà été hospitalisé l’année dernière. Une photo avait alors fuité le montrant habillé de l’uniforme bleu et noir des prisonniers, en train de lire allongé dans un lit, les pieds attachés par des menottes. Sur les dernières images de lui, probablement prises ces derniers jours, son visage n’apparaît plus, couvert par un masque à oxygène, les yeux fermés.
Comme lui, au moins onze écrivains sont derrière les barreaux en Iran, selon les calculs du CHRI. Son acolyte Reza Khandan Mahabadi a lui aussi contracté le Covid en détention et a besoin de soins urgents.
Par Pierre Alonso