Excellence, Monsieur le Président,
Au moment où le Cameroun accueille la 33e édition de la Coupe d’Afrique des Nations, tous les projecteurs sont braqués sur le pays. Le monde entier regarde les pays africains compétir pour le titre, dans une ambiance effervescente. Mais, les ovations et les célébrations diffusées par les médias masquent une autre réalité dans le pays. Plus d’une centaine de personnes croupissent dans les prisons camerounaises, la plupart depuis plus d’un an, et certaines depuis plus de cinq ans, simplement pour avoir manifesté. La plupart encourent de lourdes peines, ce qui signifie qu’ils seront en prison pendant de nombreuses années encore. Ils ont des familles qui leur manquent cruellement et qui sont privées de leur affection, de leur soutien. L’atmosphère dans ces prisons et dans ces familles, loin de l’effervescence dans les rues, se résume à celle de l’angoisse, de la douleur et du désespoir.
En effet, alors que l’on célèbre à l’extérieur, ces personnes souffrent à l’intérieur des prisons surpeuplées, dans des conditions inhumaines, comptant les mois ou les années qu’elles ont déjà passés en prison, et les mois ou les années qui les attendent encore. Ils n’ont rien fait d’autre que d’exercer pacifiquement leurs droits humains consacrés par les textes juridiques internationaux. Mais, la loi antiterroriste draconienne du Cameroun de 2014 peut être interprétée pour criminaliser même les manifestations pacifiques. Détenir des personnes simplement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, de même que détenir des personnes à la suite de procès iniques, sans garanties procédurales indépendantes, est arbitraire et illégal.
Pour ne citer que quelques-unes de ces personnes, il y a d’abord Dorgelesse NGUESSAN, une coiffeuse et mère célibataire qui a joint la manifestation dirigée par le MRC contre la façon dont les élections locales étaient organisées. Elle a été arrêtée et détenue pendant plus d’un an, puis condamnée à cinq ans de prison ferme par un tribunal militaire. C’était sa toute première manifestation.
Il y a ensuite PENN Terence KHAN, censeur d’un lycée public, The Cameroon College of Arts, Science and Technology (CCAST) de Bambili, et père de quatre enfants. Il a été arrêté, torturé, accusé d’actes de terrorisme et jugé par un tribunal militaire. La seule preuve retenue contre lui au cours du jugement est un t-shirt sur lequel on peut lire “La diaspora sud-africaine se tient derrière les Camerounais de l’Ouest pour un Cameroun fédéral” et “Nous sommes des Camerounais, nous ne sommes pas des extrémistes”. Il a été condamné à 12 ans de prison ferme après avoir rejoint les manifestations dans les régions anglophones, il y a cinq ans.
Il y a aussi TSI Conrad, un jeune journaliste indépendant des régions anglophones qui s’est rendu à une manifestation avec l’intention de la couvrir, en d’autres termes, faire son travail de journaliste. Il a été arrêté sur les lieux, puis condamné à 15 ans de prison ferme par un tribunal militaire. Comme PENN Terence KHAN, il entame maintenant sa sixième année de prison. Au moins trois autres journalistes anglophones sont également détenus arbitrairement avec TSI Conrad. MANCHO Bibixy TSE et Thomas AWAH Junior ont été arrêtés en janvier 2017 et condamnés par le même tribunal militaire, respectivement à 15 et 11 ans de prison ferme. MANCHO est également connu pour son activisme en faveur des droits humains autour de la crise anglophone et pour s’être tenu debout dans un cercueil alors qu’il prononçait un discours devant d’autres manifestants. Un autre journaliste, Kingsley FUMUNYUY NJOKA, arrêté le 15 mai 2020, détenu d’abord au secret pendant des semaines, est en détention, sans jugement, depuis plus de 20 mois.
Et enfin Intifalia OBEN, un jeune commerçant qui fabriquait des t-shirts personnalisés avec des slogans politiques du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) dessus, sans se rendre compte que ce sont les éléments des forces de sécurité camerounaises qui avaient passé la commande. Ils sont venus l’arrêter pour avoir confectionné des T-shirts. Il a tellement subi des actes de torture qu’il est tombé malade d’une infection pulmonaire et s’est retrouvé enchaîné sur son lit d’hôpital 24 heures sur 24, alors même qu’il recevait des soins médicaux. Il a été condamné à cinq ans de prison ferme par un tribunal militaire.
Les injustices et les humiliations subies par ces personnes, et tant d’autres, se sont multipliées au fil des mois et des années. La plupart ont déclaré avoir été torturés, avoir enduré des conditions de détention épouvantables et souffrir d’une santé extrêmement précaire. Ils sont également confrontés au traumatisme psychologique de tout ce qu’ils ont enduré, de l’isolement de leurs proches, au choc et au chagrin d’être privés de leurs droits humains et de leur liberté.
Nous, aussi, sommes lésés, choqués, non seulement pour ces personnes et l’injustice de leurs souffrances, mais aussi pour la plus grande injustice que représente leur détention arbitraire. S’ils ne sont pas libres, alors aucun camerounais n’est libre. S’ils croupissent en prison pour avoir parlé aujourd’hui, alors n’importe qui pourrait être en prison pour avoir parlé demain.
Nous voulons contribuer à apporter le changement. Avançons vers un avenir juste où les droits humains, et la liberté d’expression en particulier, sont véritablement respectés. Faisons en sorte que ces personnes soient libérées, réunies avec leurs familles et capables de demander réparation pour les pires injustices ainsi subies.
Excellence, Monsieur le Président,
nous vous exhortons à procéder à la réforme des lois qui sont actuellement utilisées pour criminaliser les manifestations et réunions publiques et à garantir la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et la liberté de réunion. Alors que les célébrations de la CAN prennent fin et que les médias du monde cessent de se concentrer sur le Cameroun, travaillons à construire une société que nous pouvons vraiment célébrer.
Sincèrement,