L’éclairage tant attendu de l’économiste et fonctionnaire international Eugène Nyambal sur ces dossiers controversés qui accablent son ancien collègue du FMI, l’ex ministre des Finances Lazare Essimi Menye, et permet surtout de faire définitivement toute la lumière sur le rôle joué par ce dernier dans certaines affaires sensibles au Cameroun.
Interview réalisée au téléphone par Benjamin Zebaze, Ouest Littoral
Eugène Nyambal, qui a été le premier à tirer la sonnette d’alarme au sujet de l’extraordinaire disparition des sommes que le chef de l’État avait affecté à la création des emplois pour des jeunes camerounais dans le cadre du projet Geovic, qui a aidé Amity Bank à lutter contre une mafia destinée à spolier ses propriétaires, nous a accordé ce long entretien depuis les Usa.
Bonjour, vous faites l’actualité au Cameroun depuis quelque temps, qui êtes-vous vraiment ?
Bonjour. Vous conviendrez avec moi que je n’ai rien fait pour.
Vous savez bien que la sortie du gouvernement d’Essimi Menye en est la cause principale, tant vos destins semblent liés…
… en quoi cela me regarde ? C’est toujours difficile de parler de soi. Je suis un simple camerounais convaincu que notre pays a le potentiel nécessaire pour se hisser parmi les nations les plus importantes en Afrique. C’est le fossé entre mon rêve et la réalité qui me fait mal. Bien que je me sente partout chez moi en Afrique, je dois préciser que je suis né à Douala où j’ai fait mes études jusqu’au bac. Je suis diplômé de l’Institut d’études politiques et titulaire d’une maîtrise en Economie et d’un Dess Banque, finance et négoce international à Bordeaux. Titulaire d’un Dess Informatique de gestion et organisation des entreprises à l’Université Paris-IX-Dauphine et d’un -Mba, de Nationale des ponts et chaussées, Paris, France.
Ce n’est pas trop pour un seul homme ? Et quel est votre « itinéraire » professionnel ?
J’ai enseigné dans une école de Commerce à Paris et travaillé comme cadre dans les sociétés multinationales en Europe. Ensuite, je suis allé aux Usa travailler à la Banque mondiale, à la société financière internationale (Sfi), qui fait partie de cette Banque mondiale ; au Fmi comme Conseiller principal. J’ai également appuyé des organisations internationales au niveau de l’Afrique et écrit abondamment sur l’Afrique et les questions de développement depuis le début des années 1990.
C’est là où vous rencontrez Essimi Menye, l’ancien ministre des finances et récent ministre de l’agriculture?
Je savais que c’est tout ce qui vous intéressait. Oui, en effet. Nous avons travaillé quelque temps ensemble au FMI.
Les Camerounais veulent savoir. Dans quelles circonstances vous le rencontrez?
Nous nous sommes connus lorsque le ministre Essimi Menye travaillait, je crois, à la Banque mondiale avec nos collègues qui s’occupaient des questions de statistiques pour la lutte contre la pauvreté.
Comment se retrouve-t-il au FMI?
Après la Banque mondiale, je retrouve le FMI comme Conseiller principal de l’Administrateur en 2000: je travaille sur 24 pays, y compris le Cameroun. Je prépare le PPTE avec le ministre Edouard Akame Mfoumou et son équipe : Urbain Olangena, Polycarpe Abah Abah, Pierre Titi, Mbappou…
Après cette phase, j’apporte mon concours au ministre Meva’a Meboutou avec le même patriotisme que sous Edouard Akame Mfoumou.
Je suis heureux dans ce que je fais jusqu’à ce que l’Equato-guinéen Ondo Menye soit élu Administrateur pour l’Afrique. Vous savez que par un système relativement complexe basé sur le principe de rotation alphabétique, l’Administrateur pour l’Afrique est élu. Ce dernier est très lié à l’ambassadeur du Cameroun aux USA, le regretté Jérôme Mendouga ; c’est ainsi qu’Essimi Menye, lui-aussi lié à l’Ambassadeur, se retrouve au FMI. Avant son arrivée, on m’informe à plusieurs reprises des tractations en cours entre l’ambassadeur du Cameroun et Ondo Menye.
Et c’est là que vos malheurs commencent?
Vous êtes responsable de vos propos. Compte tenu de ma culture bantou, je ne peux parler décemment ni des morts, ni de ceux qui sont frappés par le malheur.
Nous sommes en 2003 ; Essimi Menye et moi travaillons ensemble et en tant que l’un des doyens du Bureau, je suis l’un des principaux piliers du Bureau Afrique du Fmi, avec un collègue de l’Ile Maurice et un collègue ivoirien.
Dès l’arrivée d’Ondo Menye comme Administrateur, le Bureau Afrique est «tropicalisé». Des clans se forment sur des bases ethnocentriques. Pire, alors que ni le Cameroun, ni les autres pays membres de notre groupe n’est au Conseil d’administration, Ondo Menye ouvre la voie aux interférences des autorités pour faire nommer ou démettre les conseillers qui sont des cadres techniques.
Ce qui est choquant, c’est que ce n’est pas mon pays qui m’a amené au Fmi ; mais c’est lui qui s’organisera pour m’en faire partir pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le mandat du Fmi, pendant que les autres pays protègent leurs ressortissants occupant de telles fonctions.
Je constate que le nouvel Administrateur veut tout faire pour m’écarter du dossier Cameroun que je suivais bien avant son arrivée. Survient l’affaire « Albatros » (achat clandestin de l’avion présidentiel ndlr) : le FMI suspend le programme avec le Cameroun qui n’arrive pas à justifier où sont passées les ressources pétrolières qui devaient être reversées dans le budget de l’État, conformément aux accords conclus.
C’est incroyable ! Que dit le chef de l’État?
Le Chef de l’État n’est pas au courant de ce qui se passe et des actions menées par ses proches collaborateurs contre leur compatriote au FMI.
Vers fin 2003, je coordonne le rapport annuel du Bureau Afrique pour les Assemblées annuelles du Fmi en Malaisie jusqu’à 2 heures du matin. Vers 9 heures du matin, ma secrétaire m’informe de ce que Ondo Menye veut amener Essimi Menye et un Conseiller gabonais aux Assemblées du Fmi en Malaisie, mais que le Fmi l’a informé qu’ils ne peuvent pas y assister parce que les Assemblées à l’étranger sont réservées aux Conseillers principaux, Administrateurs suppléants et Administrateurs.
Tout cela ne peut que mal finir…
…en effet, vers 14 heures ce même jour, Ondo Menye me donne une lettre de licenciement d’un paragraphe, sans préavis ni motifs, avec effet immédiat. Quelques minutes plus tard, il se dirige vers l’aéroport pour un voyage à l’étranger. C’est une situation inédite que de demander à un haut cadre du Fmi de quitter son poste en 24 heures, en pleine année scolaire et sans indemnité.
Le doyen des Administrateurs et le Directeur général du Fmi essaient de joindre Ondo Menye, sans succès. Ce dernier décide que la direction générale du Fmi prendra en charge mon salaire jusqu’à ce que je retrouve un autre poste ; de modifier les règles régissant le licenciement des Conseillers principaux au Conseil d’administration du Fmi.
C’est dans ces conditions que je quitte mes fonctions pour la Société financière internationale (Sfi) et remets le dossier du Cameroun à Essimi Menye, qui est amené aux Assemblées du Fmi à ma place. Il reste à son poste de Conseiller jusqu’à sa nomination au gouvernement en 2006.
Entre temps, le problème qui était pendant avant mon départ du Fmi s’aggrave. Les autorités camerounaises n’arrivent toujours pas à justifier la disparition des ressources pétrolières qui devaient être reversées dans le budget national. La direction générale du Fmi décide de suspendre le programme triennal du Cameroun, ce qui repousse l’atteinte du Point d’achèvement du Ppte de fin 2003 à 2006. L’entourage du président de la République lui ment en indiquant que le programme continue. C’est moi qui prépare une note pour l’informer de la réalité de la situation lors d’un de ses séjours en Suisse.
Mais monsieur Nyambal, est ce que vous vous rendez compte de la gravité de vos déclarations? Une institution comme le FMI est gérée comme une boulangerie de quartier au Cameroun?
Je vous laisse la paternité de cette déclaration. Je ne suis pas un homme politique. Je m’en tiens aux faits. C’est ce que j’ai appris à la dure école de l’Occident.
Il faut comprendre que les Administrateurs sont élus par les pays ou groupes de pays qu’ils représentent et qu’ils doivent respecter le code de déontologie du FMI. Mais l’institution a peu de moyens de coercition à leur égard.
Les dysfonctionnements du Bureau Afrique francophone du Fmi ne reflètent pas le fonctionnement des autres Bureaux. Sur les 188 pays membres du Fmi, aucun autre Bureau – y compris celui de l’Afrique anglophone – n’a licencié un Conseiller principal de l’administrateur en 24 heures et sans motifs ou donné la possibilité aux autorités d’interférer dans le fonctionnement de l’institution.
D’aucuns pensent que depuis son entrée au gouvernement, vous êtes jaloux de son succès, au point de vous retrouver chaque fois dans ses pattes, si je puis dire.
Je vous ai dit que je n’étais pas un politicien. Je suis un technicien. Tout ceci n’a pas de sens. Le ministre Essimi Menye et moi ne sommes pas en compétition pour quoi que ce soit. Nous sommes différents avec des parcours différents. J’étais plutôt content pour lui.
Comment puis-je être jaloux d’Essimi Menye plusieurs années après sa nomination au gouvernement ? Qui a mobilisé les Camerounais de la Banque mondiale et du Fmi lorsque le ministre Essimi Menye a voulu rencontrer la communauté camerounaise au sein de ces institutions après sa nomination au poste de ministre des Finances, malgré les blessures du passé? Qui suis-je pour contester les décisions du Chef de l’État dans le choix de ses collaborateurs?
J’ai apporté ma modeste contribution à mon niveau : je n’ai jamais rencontré le président Paul Biya. Selon nos collègues du Fmi, après avoir repris le dossier du Cameroun, le ministre Essimi Menye faisait des notes directement au Chef de l’Etat. Vous voyez que nous n’avions pas les mêmes armes. Ce qui m’a choqué, ce n’est pas son ascension, mais l’instrumentalisation de l’ethnocentrisme jusque dans les institutions internationales pour promouvoir un compatriote au détriment d’un autre.
D’ailleurs, après cette époque, compte tenu des circonstances de mon départ du Fmi j’ai rompu tout contact avec le secrétaire général de la présidence de la République Atangana Mebara, le ministre de l’Economie et des finances Meva’a Meboutou, l’ambassadeur Jérôme Mendouga. Le meilleur moyen de perdre toute possibilité d’obtention d’un poste important au pays…
…le départ d’Essimi Menye ne vous apporte rien puisque de toutes les façons, vous êtes au « chômage »…
…les choses ne sont pas aussi simples. Le Directeur Général du Fmi Horst Kohler est tellement choqué par ce barbarisme qu’il décide que le Fmi va me payer jusqu’à ce que je retrouve un autre poste : je crois vous l’avoir dit plus haut. Il m’apporte aussi son appui pour que je retourne à la Sfi (Banque mondiale).
C’est dans ces conditions que je remets le dossier du Cameroun à Essimi Menye qui le gère de 2004 à 2006, lorsque le Cameroun atteint le Point d’achèvement du Ppte. Je suis étonné d’apprendre qu’au Cameroun, il est de notoriété publique que je me serais opposé aux intérêts du Cameroun au Fmi et que c’est uniquement grâce à lui que le Cameroun a obtenu ces résultats.
Je ne demande rien. Mais je sais ce que j’ai fait pour mon pays aux moments les plus décisifs. Ce ne sont pas des sujets que l’on peut étaler sur la place publique. Je l’ai fait pour les Camerounais. Malgré nos différences, je ne ferai rien pour critiquer le ministre Essimi Menye sur la place publique.
Nos informations sur la question étaient donc exactes ?
En gros, je ne conteste pas vos différents dossiers, même si je n’aurais pas utilisé certains mots et formules. Moi, j’essaye de rester uniquement sur les faits, comme j’ai appris à le faire.
Après votre licenciement, c’est la traversée du désert
Paradoxalement, le départ d’Essimi Menye est une chance pour moi. Je vais à la Sfi qui me permet de découvrir l’Amérique latine. J’en profite également pour écrire mon dernier ouvrage : «Afrique : Les Voies de la Prospérité».
En 2007, lorsque je souhaite réintégrer mon poste au Fmi, le nouvel Administrateur rwandais informe le gouvernement camerounais. Une liste est transmise à la primature et à l’attention du chef de l’Etat avec le nom du frère d’un ancien secrétaire général de la présidence de la République et d’autres compatriotes.
C’est grâce au Premier ministre Ephraïm Inoni que je retrouve mon poste : il a en effet rappelé au chef de l’Etat que j’avais déjà occupé ce poste auparavant et avais beaucoup aidé le Cameroun. Le ministre Polycarpe Abah Abah fait d’ailleurs passer un communiqué sur le sujet dans le quotidien « Cameroon Tribune ».
Vous re-croisez très vite la route d’Essimi Menye avec le dossier dit « Geovic », pour faire simple. Franchement, on a l’impression que vous vous acharnez sur lui avec un malin plaisir.
Ici encore, je ne vais pas répondre à votre provocation. Quels sont les faits ? Je suis en mission avec le Fmi au Cameroun lorsque les émeutes éclatent en 2008. Le chef de l’État accorde des subventions, augmente les salaires et engage des dépenses de sécurité qui n’étaient pas prévues dans le programme avec le Fmi. On prévoit de nouvelles négociations à Washington. Dans le programme d’investissements du gouvernement, le ministre Essimi Menye présente un projet d’exploitation minière. Selon lui, le chef d’État tient absolument à ce que cela se réalise parce qu’il permettra de promouvoir l’emploi des jeunes après les émeutes de la faim.
Le Fmi est-il d’accord avec cette idée?
Soyez patient ! Lors des négociations à Washington au cours du dernier trimestre 2008, Essimi Menye sollicite l’approbation du Fmi pour le déblocage de 60 millions de dollars (environ 37 milliards de Fcfa, ndlr) des surplus pétroliers du Cameroun à la Beac, que l’institution avait fait bloquer pour la lutte contre la pauvreté.
Je suis surpris que pour un tel projet, il n’y ait ni étude de faisabilité, ni de plan de financement. Mais ce qui nous inquiète le plus, le chef de mission et moi-même, c’est le refus du ministre des Finances de divulguer les noms des quatre actionnaires non-identifiés de Geovic alors que le gouvernement souhaite payer des contributions aux augmentations de capital. La réunion est interrompue.
En aparté, le chef de mission me demande mon avis. Je lui indique que le dossier est douteux, mais que compte tenu des récents événements au Cameroun, nous devons laisser passer en verrouillant toutefois dans la Lettre d’intention entre le Gouvernement et le Fmi, la stratégie de sortie du Gouvernement.
Compte tenu de l’utilisation de l’argent public pour payer des augmentations du capital au nom de quatre individus non-identifiés, nous prévoyons dans la Lettre d’Intention que le Gouvernement ne pourra revendre ces actions qu’à l’ensemble du public camerounais, c’est-à-dire à la bourse; et que le Gouvernement devra contacter la Banque mondiale pour l’aider à renforcer la transparence dans le secteur minier. J’ai des doutes sur ce projet et je les rapporte à mon supérieur.
Quelques mois plus tard, l’Administrateur rwandais, qui était l’adjoint d’Ondo Menye, m’interdit de participer à la mission au Cameroun en avril 2009 et me dit que ma présence à Washington est plus bénéfique pour l’institution. Je suis surpris lorsqu’il refuse que j’aille au Cameroun pour des raisons familiales. Finalement, j’ai un décès et je m’y rends en mai 2009.
Alors…
… après les funérailles au village, une personne demande à me voir à l’hôtel Hilton. Elle veut me faire comprendre que certains me préparent un vilain tour, parce que, disent-ils, au Fmi je travaille contre les intérêts du Cameroun.
Sortant d’un deuil, je suis très soulagé de rentrer aux Usa et deux semaines plus tard, l’Administrateur rwandais Laurean Rutayisire me tend la même lettre de licenciement (25 juin 2009 avec licenciement effectif 26 juin 2006 !!!) que celle d’Ondo Menye ; c’est-à-dire sans préavis.
Je lui demande de m’expliquer ce qui se passe en lui rappelant qu’à sa demande, je venais de trouver du travail à sa fille à la Sfi. Il me dit que si je continue à lui poser des questions, il va quitter son bureau et m’y laisser tout seul. J’ai peur que Rutayisire fasse des accusations infondées contre moi et j’appelle son adjoint le Togolais Kossi Assimaidou, qu’il chasse de son bureau.
J’appelle ensuite les autorités camerounaises, des administrateurs du Fmi appellent aussi mais sans succès. Tout le monde est aux abonnés absents. J’arrive à parler à un éminent membre du gouvernement qui me demande simplement celui qu’on a mis à ma place. Je lui demande d’appeler l’Administrateur. La personne promet d’envoyer plutôt un fax et ne prendra plus mes appels.
Une autre personnalité prétend une urgence et promet de rappeler un administrateur souhaitant que les autorités camerounaises intercèdent en ma faveur, mais cette personnalité ne donnera jamais de suite. Pour mes collègues du Fmi, le coup vient du Cameroun. Après avoir vainement essayé de rencontrer le chef de l’Etat en septembre 2009, je comprends alors le sens de la prédiction de mon informateur. Je comprends encore mieux la situation à travers les enquêtes et l’article de Mediapart sur l’affaire Geovic. Je suis d’une part rassuré dans la mesure où le complot ne visait pas à m’éliminer physiquement.
Ce projet « Geovic » est-il la principale cause de votre second malheur ? On peut voir les choses comme cela?
En tout cas, mes craintes sur Geovic se sont réalisées. Où en est le projet ? Où sont les 60 millions dollars Us? Geovic a revendu la concession minière aux Chinois et a disparu. Qui peut m’en vouloir d’avoir été méfiant dès le départ? Qu’est ce que le pays a réellement perdu dans cette aventure ? Qui a soustrait le dossier Geovic de mon bureau après mon licenciement ? Qui a ordonné la destruction de tous mes fichiers électroniques durant cette période ?
Un seul responsable à vos yeux: Essimi Menye.
Pourquoi lui? Vous croyez qu’on fait disparaître 60 millions de dollars Us comme ça ? Tout seul ? Plus de 6 ans après l’évaporation des fonds et le départ de Geovic du Cameroun, est-ce que le gouvernement camerounais a réclamé cet argent ? Je travaille dans la finance internationale en tant qu’expert depuis des années; je sais que ce n’est pas possible.
Que s’est-il passé, monsieur l’expert?
Je suis franchement étonné qu’une affaire aussi grave arrive à vous arracher un sourire. C’est sans doute comme cela que vous fonctionnez au pays ; moi, je n’arrive pas à m’y faire.
Vous vous doutez bien que j’ai lu avec attention toutes vos parutions sur la question. Tout est très proche de la réalité et je dois vous féliciter sur un point : j’ignorais tout de cette interview du ministre des mines de l’époque (Badel Ndanga Ndinga), où il dit des choses vraiment incroyables.
Votre version des faits est attendue, non seulement par nos lecteurs, mais surtout par les Camerounais
Je m’étonne des réactions de nos compatriotes. Voilà des années que je me bats seul dans cette affaire où j’estime que notre pays a été littéralement volé. Savez-vous que j’ai saisi la justice américaine sur le sujet ? Que les deux premières juridictions ont condamné, pour la première fois de son histoire, le Fmi ? C’est inédit!
Le Fmi a choisi de ne pas m’indemniser et de se battre jusqu’au bout en faisant appel, alors que dans le cas de Jacques Pollak, un ancien employé ayant porté plainte pour négligence après une chute d’escalier, le Fmi a réglé le cas à l’amiable, bien que Pollak ait perdu le procès. Dans mon cas, la Cour suprême a sauvé la mise en déclarant récemment que le Fmi jouissait de l’immunité.
J’ai également contacté des avocats camerounais pour que ce soit en Afrique que l’institution financière internationale soit attaquée par un groupe de compatriotes pour complicité de détournement et spoliation des droits miniers des Camerounais. J’ai payé les frais d’avocats de ma poche. Il fallait simplement que ces avocats servent de correspondants aux avocats américains. Mais ils m’ont exigé des paiements importants pour une plainte dont l’issue ne m’apportait rien, sinon la joie d’avoir lutté pour les intérêts de mon pays.
Pourquoi tout cet acharnement?
Mais monsieur, votre question est typique du comportement des Camerounais que je ne comprends pas. Cela ne vous choque pas que partant de ce que j’estime être un bon sentiment, le chef de l’Etat demande qu’on lance une entreprise dans la Région de l’Est qui peut fournir à termes plus de 30 000 emplois directs et indirects ; que 7 ans plus tard, personne ne peut dire exactement où sont passés les 60 millions de dollars Us décaissés ? Que les populations de l’Est ne puissent vous dire où se trouve exactement l’emplacement du site choisi ?
Dites nous alors ce qui s’est passé ?
Je suis vraiment étonné par vos questions alors que l’essentiel se trouve dans les récentes éditions du journal « Ouest Littoral ». Vous en êtes bien le Directeur de Publication ?
Vos réponses sont très attendues par nos lecteurs.
Rien qu’à y penser, j’ai un choc au cœur : sachez que dans n’importe quel pays du monde, 60 millions de dollars représentent une belle somme. Qui est allé chercher pour notre pays une entreprise qui n’a ni expérience dans le domaine, ni revenu ? Qui réalise sa première affaire avec le Cameroun ? Comment et pourquoi on a commencé les décaissements dès 2008 alors que l’étude de faisabilité finale du projet n’est présentée, comme je l’ai appris en lisant votre journal, qu’en 2011?
Je suis dans la finance internationale depuis des années : dès qu’une entreprise est logée aux îles Caïmans ou dans n’importe quel paradis fiscal, cela inquiète les experts. Ils savent qu’il y a quelque chose à masquer.
Soyez plus précis
Vous voulez qu’en quelques lignes je résume des centaines de documents ? Difficile. Je pense qu’il n’est pas normal de choisir une entreprise qui fait aussi « peu entreprise » pour un tel projet ambitieux alors que des entreprises ayant une bonne expérience et des gros moyens financiers existent, notamment en Afrique du Sud. Si on y ajoute les îles Caïmans et les décaissements sans aucun début d’exploitation, les virements de sommes importantes aux îles Caïmans, cela ne sent pas bon.
Avez-vous déjà vu une entreprise majoritaire dans un projet facturer toutes ses dépenses au projet à 25% ? Facturer à sa filiale des frais d’assistance technique alors qu’elle indique dans tous ses rapports financiers qu’elle n’a aucune expérience dans le secteur minier ? Faire des augmentations de capital tous les ans au niveau de la filiale et vider les comptes la même année à travers des budgets annuels fictifs sans faire démarrer le projet pour lequel les fonds ont été mobilisés?
Le but de l’opération semble trop évident : détourner de l’argent, d’autant plus que le ministre Essimi Menye n’a jamais donné le nom des quatre actionnaires camerounais, ce qui est hautement suspect.
Vous avez-vous-même expliqué comment en mission à la Banque africaine pour le développement (Bad), j’ai pu empêcher que les mêmes gens mettent la main sur une somme de près de 104 milliards de Fcfa, alors qu’on voit clairement aujourd’hui que j’avais raison dès le départ en déclarant que cette société n’avait pas réellement envie de s’installer au Cameroun.
Qui est responsable de ce gâchis?
Monsieur, je ne suis pas juge. Mais les faits sont indiscutables : le ministre Essimi Menye présente un projet bâclé ; le Fmi fait tout ce qui est possible pour m’écarter du dossier en allant jusqu’au licenciement ; copies des rapports internes d’enquêtes sur cette opération sont refusés à mes avocats sur ordre de Dominique Strauss Khan, alors directeur Général du Fmi et sa remplaçante Christine Lagarde ; la Sni commence à décaisser des fonds (alors que le projet n’est même pas couché sur du papier), à la Geocam dont les propriétaires (Geovic ) sont aux îles Caïmans ; dans cet imbroglio, il y a quatre actionnaires camerounais dont les noms sont tenus secret ; personne ne sait où est passé l’argent ; la Géovic a quitté le projet sans le premier coup de pioche et a revendu des droits obtenus par un procédé particulièrement scandaleux.
Le rôle du Fmi est également trouble. Ce qui m’oppose au Fonds monétaire, c’est que j’ai toujours soutenu que les fonds Geovic ont été détournés et que malgré les faits aujourd’hui indiscutables, l’enquête du Fmi prétend que mes allégations sont infondées pour les raisons suivantes : les quatre camerounais sans expérience dans le secteur minier (une institutrice d’école primaire à Douala, son mari, la nièce d’un ancien Premier Ministre et un ancien officiel du Ministère de la Défense) sont les vrais actionnaires qui auraient obtenu des actions Geovic en « raison de leurs connections politiques » ; le droit camerounais permet à la Sni de payer des contributions aux augmentations de capital pour le compte d’individus pré-identifiés ; le Fmi n’a pas pu enquêter sur les fonds transférés aux Iles Caïmans et Geovic est une entreprise ayant une grande expérience dans le secteur minier.
C’est-à-dire?
C’est relativement complexe, mais je vais essayer de faire simple. Avant l’entrée au capital de l’État, les actionnaires camerounais décident que tout l’argent que la Geovic (îles Caïmans) avance dans le projet, est considéré comme un prêt rémunéré à 25 % ; que si ce prêt n’est pas remboursé dans les délais, tous les droits d’exploitation reviennent à l’entreprise américaine. C’est pour cela qu’elle a pu céder ses droits facilement à une entreprise chinoise.
C’est aussi à partir de ce montage que la Geovic revendique un remboursement d’une somme de 81 millions de dollars pour frais pré-opérationnels dès l’entrée de la Sni dans le capital alors qu’elle n’a jamais dépensé le moindre centime sur le projet. Par pure « magnanimité », Geovic accepte un remboursement de 31 millions de dollars du gouvernement en provenance des fonds approuvés par le Fmi, faisant ainsi un cadeau de 50 millions de dollars au gouvernement.
Cependant, ce cadeau n’apparaÎt pas dans le rapport financier de Geovic, ne serait-ce que pour demander au fisc de réduire ses charges pour compenser cette perte. Alors que le gouvernement apporte de l’argent frais pour les augmentations de capital au nom de la Sni et des quatre actionnaires camerounais non-identifiés, Geovic paie sa contribution avec le remboursement collecté auprès de la Sni pour ses « dépenses pre-opérationnelles ». Elle s’est tout simplement fait rembourser des frais qu’elle prétend avoir engagé pour des études qui mériteraient un audit sérieux. Surtout parce que l’Etat est entré dans le capital de Geocam.
Vous semblez protéger à chaque fois le chef de l’État dans vos accusations?
Je ne protège personne. Je rappelle une fois de plus que je ne fait pas de politique. J’ai informé le Tribunal criminel spécial (Tcs), le ministre d’État Laurent Esso et la présidence de la République. J’ai même proposé que les autorités camerounaises saisissent directement le Ministère de la Justice et les autorités boursières américaines pour poursuivre les dirigeants de Geovic, pour détournement de deniers publics et saisir les droits miniers de Geovic en Papouasie Nouvelle Guinée, Nouvelle Calédonie et aux Etats-unis avant la faillite imminente de cette coquille vide.
Il convient de noter que Geovic ne survit que grâce à l’argent de Geocam inscrit dans ses capitaux permanents au titre de prêt.J’ai rempli mon devoir de citoyen en regrettant qu’on ne m’ait pas cru dès le départ. Cet argent serait encore dans le patrimoine de l’Etat.
Si aucune enquête n’est ouverte, ce n’est plus mon problème. Chacun pourra tirer les conclusions qu’il veut.
Si on peut comprendre votre présence dans cette affaire, que venez-vous faire dans l’affaire « Amity Bank »? La chasse à Essimi Menye continue?
Cette affaire est terrible ; d’autant plus qu’on a perdu en cours de route, Christophe Sielenou qui était le principal actionnaire de cette banque.
Personne ne doit compter sur moi pour ne pas dire que cette banque était particulièrement mal gérée. Mais rien ne justifiait l’action brutale du ministre des Finances Essimi Menye qui arrive dans le dossier après que la Cobac ait sanctionné la banque par l’imposition d’un Administrateur provisoire.
Mais ce qu’il a fait, en coaction avec la Cobac, est incroyablement injuste par rapport aux propriétaires de cette banque. Je revois les mêmes méthodes que ce qui s’est passé au Fmi. Désespéré, Christophe Sielenou sollicite mes conseils et je décide d’aider ce compatriote: c’est aussi simple que cela.
Mon engagement grandit lorsque nous recevons des décisions de justice favorables à Christophe Sielenou. Mais on utilise des méthodes déloyales pour confier Amity Bank à des étrangers en leur accordant de l’argent public et des avantages extraordinaires : les créances douteuses peuvent être provisionnées, le bas du bilan repris par l’Etat et une somme d’environ 10 000 000 000 (Dix milliards) doit être versée à la Banque Atlantique.
L’Etat et la Cobac ne sont – ils pas dans leurs droits?
Qui peut le dire si ce ne sont les juges ? La justice a, de manière définitive, condamné ces deux acteurs du dossier. Elle a annulé tout ce qui avait été décidé, en insistant sur le fait que les actionnaires historiques devaient bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés à Banque Atlantique.
Depuis lors, Essimi Menye, en son temps a refusé d’appliquer cette décision de justice si bien que Banque Atlantique fonctionne de manière illégale.
Au ministère des Finances, on dit que les juges se sont trompées
Mais dans quel pays sommes-nous ? Même s’ils se sont trompés, leurs décisions doivent s’appliquer. C’est le fondement de l’État de droit. Le principe de la séparation veut que cela soit ainsi pour éviter les abus.
Au terme de notre entretien, que vous inspirent toutes ces affaires ?
Que le tribalisme et le favoritisme sont des plaies difficiles à guérir dans nos pays. Que le manque de patriotisme atteint un niveau inquiétant puisque certains, dans un pays aussi pauvre, trouvent normal de faire disparaitre 60 millions de dollars Us destinés à la lutte contre la pauvreté. Que des lobbies que je ne maîtrise pas, peuvent pousser une organisation comme le Fmi à faire ce qu’elle reproche par ailleurs aux États qu’elle contrôle.
© Ouest Littoral : Interview réalisée par téléphone par Benjamin Zebaze
Source : Camer.be