LES POINTS CLÉS DE L’ACCORD UNIVERSEL SUR LE CLIMAT:
Par Pierre Le Hir , Le Monde | 12.12.2015
En dessous de 2 °C, si possible 1,5 °C
L’accord est plus ambitieux que l’objectif initial de la COP21, qui visait à contenir le réchauffement sous le seuil des 2 °C. Il prévoit de le maintenir « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et de « poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C ». Et ce « en reconnaissant que cela réduirait significativement les risques et impacts du changement climatique. »
La mention du seuil de 1,5 °C était une revendication portée par les petits États insulaires menacés de submersion par la montée des mers. Elle a surtout une portée symbolique et politique, rester sous le plafond de 1,5 °C étant irréaliste en l’état actuel des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Ce volontarisme est contrebalancé par la faiblesse de l’objectif à long terme de réduction des émissions mondiales. Il est seulement prévu de viser « un pic des émissions mondiales de gaz à effet de serre dès que possible ». Des versions antérieures retenaient un objectif de baisse de 40 % à 70 %, ou même de 70 % à 95 %, d’ici à 2050. Ces mentions, jugées trop contraignantes par certains pays, ont été gommées. A plus long terme, « dans la seconde moitié du siècle », l’objectif est de parvenir à « un équilibre » entre les émissions d’origine anthropique et leur absorption par des puits de carbone (océans, forêts ou, sans que le texte le formule explicitement, enfouissement du CO2).
Rappelons que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) juge nécessaire de baisser de 40 % à 70 % les émissions mondiales d’ici à 2050, pour éviter un emballement climatique incontrôlable.
« Sur la base de l’équité »
La différenciation des efforts qui doivent être demandés aux différents pays, en fonction de leur responsabilité historique dans le changement climatique et de leur niveau de richesse — ou de pauvreté — a, cette fois encore, cristallisé l’opposition entre Nord et Sud. Le texte rappelle le principe des « responsabilités communes mais différenciées » inscrit dans la Convention onusienne sur le climat de 1992.
Il pose que les efforts doivent être accomplis « sur la base de l’équité », et acte que « les pays développés continuent de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus ». Les pays en développement « devraient continuer d’accroître leurs efforts d’atténuation (…) eu égard aux contextes nationaux différents », formulation qui prend donc en compte leur niveau de développement. Enfin, l’accord souligne qu’« un soutien doit être apporté aux pays en développement » par les nations économiquement plus avancées.
100 milliards de dollars, «un plancher»
Pour solder leur « dette climatique », les pays du Nord ont promis à ceux du Sud, en 2009, de mobiliser en leur faveur 100 milliards de dollars [91 milliards d’euros] par an, d’ici à 2020. Les nations pauvres veulent davantage, après 2020, pour faire face aux impacts du dérèglement climatique, sécheresses, inondations, cyclones et montée des mers.
Le texte entrouvre une porte, en faisant de ces 100 milliards « un plancher », qui est donc appelé à être relevé. De plus, « un nouvel objectif chiffré collectif » d’aide financière devra être avancé « avant 2025 ». C’est une nette avancée, même si elle laissera les pays pauvres sur leur faim.
Pas de compensation pour les pertes et dommages
Sur ce sujet très sensible pour les pays les plus menacés par le dérèglement climatique, l’accord reconnaît « la nécessité d’éviter et de réduire au minimum les pertes et dommages associés aux effets négatifs du changement climatique, incluant les événements météorologiques extrêmes [inondation, cyclone…] et les événements à évolution lente [montée des eaux…], et d’y remédier, ainsi que le rôle joué par le développement durable dans la réduction du risque de pertes et dommages ».
Mais il se contente, de façon très générale, de mentionner que les parties « devraient renforcer la compréhension, l’action et le soutien » sur cette question. Il exclut toute « responsabilité ou compensation » des pays du Nord pour les préjudices subis par les pays en développement.
Des engagements revus tous les cinq ans
C’est un point essentiel de l’accord. Les « contributions prévues déterminées au niveau national » annoncées par les États, c’est-à-dire leurs promesses de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, sont aujourd’hui nettement insuffisantes pour contenir le réchauffement à un maximum de 2 °C, et a fortiori de 1,5 °C. A ce jour, cent quatre-vingt-six pays, sur cent quatre-vingt-quinze, ont remis leurs contributions qui, additionnées, mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement d’environ 3 °C. Ces engagements seront annexés à l’accord, mais ils n’en font pas partie stricto sensu. Étant volontaires, ils n’ont pas de valeur contraignante.
Le texte prévoit un mécanisme de révision de ces contributions tous les cinq ans, donc théoriquement à partir de 2025, l’accord global devant entrer en vigueur en 2020. Un « dialogue facilitateur » entre les parties signataires doit être engagé dès 2018 sur ce sujet.
Pour les ONG, le rendez-vous de 2025 est beaucoup trop tardif. L’Union européenne, les États-Unis, le Brésil et quelque quatre-vingts pays en développement, réunis au sein d’une Coalition pour une haute ambition, qui s’est constituée durant la COP, envisageaient de prendre les devants en s’engageant à une première révision avant 2020.
Possibilité de retrait
L’accord, pour entrer en vigueur en 2020, devra avoir été ratifié, accepté ou approuvé par au moins cinquante-cinq pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais, « à tout moment après un délai de trois ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord pour un pays», celui-ci pourra s’en retirer, sur simple notification.
Droits humains: satisfaction mêlée d’une vive inquiétude
Tout en saluant la reconnaissance notable des droits humains, les ONG regrettent vivement le manque d’engagement clair des États à respecter ces droits, dans leurs actions contre le changement climatique. Pour la première fois, le devoir des États à «respecter, promouvoir et prendre en compte les droits humains » est inscrit dans le préambule de l’accord. «C’est là une vraie avancée qui souligne la responsabilité des États à agir dans le respect des droits humains. Mais le texte ne les y oblige pas », relève Fanny Petitbon, de l’ONG Care France, qui déplore que cette reconnaissance ne figure pas dans l’article 2, qui fixe les objectifs de l’accord.
Les États ont refusé d’ancrer dans l’accord cette reconnaissance et notamment celle de la sécurité alimentaire. Il n’est fait mention dans l’article 2 que de « production alimentaire » : le texte souligne que les réductions d’émissions de gaz à effet de serre ne doivent pas menacer la production agricole. « C’est une façon pour les États de repousser la transition – pourtant urgente et nécessaire – et leurs systèmes agricoles vers des modèles moins polluants », s’alarme Peggy Pascal, d’Action contre la faim. L’article 2 rappelle cependant l’objectif de développement durable d’éradication de la pauvreté.
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L’AFRIQUE TRAHIE SUR LES FINANCEMENTS?
Source: mondafrique.com
Faute d’avoir construit le rapport de force favorable lors des négociations, les pays du Sud, particulièrement ceux d’Afrique, repartent de la COP 21 les mains vides sur la question des financements.
Le compte n’y est pas ! A quelques heures de la clôture de la 21ème Conférence des Nations Unies sur le Climat (COP21), la question des financements aux adaptations aux changements climatiques n’est toujours pas réglée; elle ne le sera probablement pas.
Juste contrepartie
Selon la ministre sud-africaine de l’environnement Edna Molewa, l’avant-dernière mouture de l’accord de Paris ne garantit « ni la visibilité, ni la montée en puissance » du montant de 100 milliards de dollars par an promis aux pays en développement à partir de 2020 pour accompagner leurs adaptations climatiques. Pour les pays africains, qui en avaient un enjeu dès le début de la COP 21, les financements ne sont pas la charité ; mais une sorte de justice.
Leur argument principal repose sur le fait que l’Afrique consomme 3% d’énergie mondiale seulement, elle émet moins de 4% de gaz a effet de serre alors qu’elle abrite 15% de la population mondiale. Elle est cependant la première la première victime des effets du changement climatique. Le déboisement se poursuit à grande échelle dans les pays du Sahel, entraînant des hausses de température qui pourraient rendre la zone hostile à toute vie humaine dans les prochaines années.
Des compensations financières justes
Mais, il y a surtout la baisse considération de la pluviométrie qui a pour conséquences des cycles de sécheresse et de famines au Sahel. Dans le Golfe de Guinée, les effets du changement climatique se traduisent par l’érosion maritime qui menace dangereusement des villes côtières comme Cotonou, la capitale économique du Bénin. Comme viennent de le montrer les inondations meurtrières enregistrées à Kinshasa, la capitale de la république démocratique du Congo, les effets du changement climatique peuvent se manifester de façon inattendue et dramatique.
L’autre argument soutenu par les délégations africaines, c’est que les financements attendus à Paris sont la contrepartie des sacrifices que le continent consent pour préserver des intérêts planétaires. Pour les officiels africains à la COP, si le reste du monde veut que l’Afrique respecte sa part d’engagement en préservant les forêts du Bassin du Congo, deuxième poumon écologique au monde, en renonçant à son industrialisation avec des énergies fossiles, en s’engageant résolument dans la production des énergies propres et coûteuses, il faut des compensations financières. Les pays africains ne les ont pas obtenues à Paris.
Erreur de stratégie
Alors qu’elle avait dégagé une stratégie commune pour la conférence de 2009 à Copenhague confiant le rôle de porte-parole à l’ancien Premier ministre éthiopien feu Melès Zenawi, l’Afrique a agi en ordre dispersé à la COP 21. En effet, chaque État avait défini, dans son coin, ses engagements chiffrés et les a transmis à la France presque secrètement. Les pays d’Afrique centrale, par exemple, avaient une carte en main dans les discussions puisqu’ils abritent le Bassin du Congo, un des deux « poumons écologiques du monde ».
Ils disposent par ailleurs d’un mécanisme commun appelé Commission des forêts d’Afrique centrale et d’une Conférence des ministères en charge des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC). Pourquoi n’ont-ils pas préparé la COP ensemble ? Pourquoi n’ont-ils pas mis sur la table de la COP21 des engagements communs alors que les forêts et les défis qu’elles posent sont transnationaux ? A la désunion africaine est venue s’ajouter la division du Sud pendant la Conférence de Paris. L’Inde, la Chine, le Brésil avaient des agendas différents qui ne portaient pas forcément sur la question du financement aux adaptations aux changements climatiques. Finalement, le Sud n’a pas réussi à construire à Paris le rapport des forces qui lui aurait permis de faire aboutir ses revendications.
Que faire maintenant?
Avant même la fin des travaux de la COP 21, de nombreuses voix s’élèvent sur le continent pour appeler les pays africains à compter désormais sur eux-mêmes. D’abord en mettant en place des politiques environnementales et minières qui prennent en compte les intérêts des populations et non ceux des multinationales exploitant le bois, le pétrole et l’uranium. « C’est facile pour les dirigeants africains de se poser en victimes. En réalité, eux-mêmes sont des alliés objectifs des multinationales qui exploitent le pétrole, le bois, l’or dans nos pays. Si nos dirigeants mettent fin à leur collusion actuelle avec les multinationales, les retombées seraient plus grandes que les financements promis à Copenhague mais qui ne sont jamais arrivés », argumente le responsable d’une ONG d’Afrique centrale. Ses propos sont confortés par les dégâts environnementaux observés dans l’exploitation pétrolière dans le Delta du Niger, de l’uranium au Niger et au Gabon, du bois au Cameroun. L’Afrique doit donc réinventer ses relations avec Exxon-Mobile, Shell, Areva, Total, Rougier….
Le continent peut également trouver une alternative aux financements internationaux qu’il n’a pas obtenus à Paris en accélérant la bonne gouvernance politique et économique. Il s’agit non seulement d’associer les populations concernées à la gestion des questions environnementales mais surtout à l’usage des retombées financières de l’exploitation de la forêt, du pétrole, du bois, de l’or ou de l’uranium. « Des sommes colossales sont tirées de l’exploitation des ressources naturelles et minières en Afrique mais elles profitent plus à des gouvernements corrompus qu’aux populations. Commençons par mettre fin à cela avant d’aller frapper à la porte des autres pour obtenir leur aide », insiste le Gabonais Marc Ona Secrétaire exécutif de l’ONG Brainforest. En clair, même si l’Afrique avait obtenu à Paris les financements qu’elle espérait, leur gestion par certains gouvernements aurait nécessité des garde-fous. Nous en sommes hélas même pas encore là.
L’interview de Marc Ona, écologiste gabonais, grande figure de la société civile africaine :
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