Pensez-vous comme Ban Ki-moon [secrétaire général de l’ONU] que votre pays est au bord d’une guerre civile ?
Pierre Buyoya : Je le pense, et tous les évènements qui se passent ces derniers jours montrent que, inexorablement, on va vers un désordre général dans le pays, avec même le danger que ce désordre déborde les frontières du Burundi et s’étende sur la région.
L’Afrique ne laissera pas un autre génocide de dérouler sur le continent, dit le commissaire Paix et sécurité, Smaïl Chergui. Y a-t-il risque de génocide ?
Il y a risque de génocide, bien sûr. Et je me demande d’ailleurs s’il n’y a pas déjà des éléments de génocide, quand on voit le niveau qui est atteint par les violences aujourd’hui.
Le conseiller des Nations unies, Adama Dieng, dit que « les discours de haine et la rhétorique » qui sont utilisés actuellement dans votre pays ressemblent à ceux observés au Rwanda avant 1994 ?
Bon, ce n’est pas une invention, il y a les faits et les expressions au quotidien. Ce qui est dit, même ce qui est dit en cachette, finit par être connu. Et vraiment on a l’impression que dans certains milieux du Burundi, il y a une volonté d’utilisation de la crise. C’est vrai, il y a une résistance à cela de la part des Burundais. Mais vous savez, avec le temps, surtout avec l’augmentation de la violence, cette résistance risque de ne plus être de mise.
Il y a une volonté d’ethniciser la crise ?
C’est clair. Il suffit de lire les discours politiques qu’il y a sur la place publique à Bujumbura. Et malheureusement de la part de hauts responsables.
C’est la communauté tusti qui est visée ?
Vous savez, les confrontations ethniques ont eu lieu depuis longtemps, depuis des décennies, et entre les deux communautés hutu et tutsi. C’est ce que nous avions essayé d’exorciser au Burundi. On pensait avoir fait des progrès et malheureusement, on a l’impression qu’on retourne à la case départ.
Ces propos que vous dénoncez, ces propos à caractère ethnique, on les entend sur la radio d’État, sur la place publique, dans des meetings ?
Ce sont des mots qui sont adressés à des responsables politiques, parfois en croyant que ceci est en cachette. Mais ça finit par se savoir ! C’est le discours souterrain qui soutient toute cette violence.
En fait, ces propos que vous dénoncez, ce sont des échanges téléphoniques entre différents dirigeants du pouvoir burundais, des échanges qui devraient rester confidentiels mais qui finissent par se savoir ?
Je ne voudrais pas donner l’impression que je dis des choses qui ne sont pas avérées. Je pense qu’on a eu, dernièrement, un discours du président du Sénat qui a fait le tour du monde [Révérien Ndikuriyo, enregistré à son insu lors d’une réunion à la mairie de Bujumbura, préconisant de « pulvériser » les quartiers protestataires, NDLR]. Et ce discours est un discours dangereux.
Et quel appel lancez-vous aujourd’hui à votre successeur, Pierre Nkurunziza ?
C’est vraiment deux choses : Il faut arrêter la violence et, deuxième chose, je pense que le président du Burundi ne devrait pas refuser le dialogue.
Oui, mais les principaux adversaires politiques de Pierre Nkurunziza sont aujourd’hui poursuivis par la justice burundaise ?
Dans ce pays, nous avons l’expérience du dialogue. La solution sera trouvée justement si les deux parties se rencontrent et parlent.
Pour imposer ce dialogue, ne faut-il envisager une mission des casques bleus au Burundi ?
Pour moi, il faut protéger les populations. Maintenant comment ? Par les casques bleus, par quel autre mécanisme, je pense que c’est aux institutions habilitées de l’étudier. Mais quand il y a risque de génocide, quand il y a risque de tuerie massive, il faut pouvoir protéger la population. Il faut arrêter cette hémorragie et puis, revenir à la table des négociations.
Donc vous ne seriez pas choqué si demain des casques bleus débarquaient dans votre pays ?
Je ne serais pas choqué du tout si l’objectif est de faire en sorte qu’aucun Burundais ne continue à mourir.
C’est la demande des Occidentaux, mais la Russie, la Chine et les pays africains, présents au Conseil de sécurité, ne sont pas d’accord ?
Au Conseil de sécurité, il y a débat. Mais moi, je ne peux qu’exprimer un souhait. C’est que les Burundais, avec l’assistance de la communauté internationale, parviennent à arrêter les violences.
La moitié du budget de votre pays est financée par l’Union européenne. Or celle-ci menace aujourd’hui de couper son aide, de la réduire à la seule aide humanitaire, s’il n’y a pas de dialogue. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Moi, je pense que tout devrait être fait pour arriver à arrêter la violence et à déclencher le dialogue. Alors si ce que l’Union européenne fait peut contribuer à cela, tant mieux. Mais si cela ne contribue pas à cela, à quoi bon.
Mais les pressions internationales, ça peut aider à réduire le niveau de violence ou pas ?
Certainement, ça peut aider. Mais maintenant, comment le faire d’une façon efficace, c’est toute la question.
Le pouvoir accuse le Rwanda de soutenir la rébellion. Qu’en pensez-vous ?
Moi, je n’ai pas d’éléments d’appréciation pour exprimer une opinion avisée. Donc je n’ai pas vraiment d’éléments pour étayer ce que je peux dire dans un sens ou dans un autre.
Pierre Buyoya, vous exprimez rarement sur votre pays. Pourquoi le faites-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, on est arrivés à une situation où il est impossible de se taire à un moment où tout peut bousculer dans l’irréparable.