Gros plan sur les hauts dignitaires camerounais qui, de manière active ou passive, directe ou indirecte, ont contribué à la mise sous les verrous de l’avocate franco-camerounaise en janvier 2010.
Président de la République du Cameroun depuis le 6 novembre 1982, le mutisme à la limite du ponce-pilatisme de Paul Biya, dans ce litige qui a opposé pendant plus de 10 ans l’Etat du Cameroun (en réalité la liquidation de l’ex-Office national camerounais des produits de base) à la Société générale de banque au Cameroun (Sgbc), filiale de la française Société générale, est blâmable à plus d’un titre.
En effet, d’après l’article 37 (3) de la constitution du Cameroun du 18 janvier 1996 modifiée en avril 2008, « le président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Or dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Me Lydienne Eyoum, les décisions de justice favorables à l’Etat du Cameroun ont été à maintes reprises foulées au pied par certains de ses proches collaborateurs impliqués dans ce dossier sans susciter la moindre réaction du garant « de l’indépendance du pouvoir judiciaire » qu’est Paul Biya. Bien plus encore, le chef de l’Etat n’a pas jugé utile d’intervenir pour trancher dans le conflit qui opposait parfois le ministère de la Justice, les services du premier Ministère et même le secrétariat général de la présidence de la République au ministère des Finances, au sujet des décisions rendues par les juridictions dans cette affaire.
Plus grave, le terme « sur hautes instructions du chef de l’Etat » a été abondamment utilisé pour justifier les coups tordus de certains de ses lieutenants. Pourtant, l’article 5 alinéa 2 de la même Constitution dispose, parlant des attributions du président de la République, qu’: « il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». Si Paul Biya était intervenu pour trancher définitivement dans ce conflit, nous n’en serons peut-être pas à cette détention de Me Lydienne Eyoum qui dure depuis bientôt 5 ans. Le silence observé par le chef de l’Etat pourrait être considéré comme une caution à toutes les magouilles orchestrées par son proche entourage dans ce dossier. Un adage ne dit-il pas que « qui ne dit mot consent » ?
LAURENT ESSO, MINISTRE DE LA JUSTICE GARDE DES SCEAUX
Au moment où Me Lydienne Eyoum est arrêté le 8 janvier 2010, il occupe le poste de secrétaire général de la présidence de la République.
C’est en cette qualité que Laurent Esso signe la lettre N°156 /c6/SG/PR du 29 décembre 2009 dans laquelle il prescrit au ministre de la Justice de l’époque de « faire déférer Mes Lydienne Eyoum, Baleng Maah Célestin, Polycarpe Abah Abah, Henri Engoulou et Ngwem au parquet du tribunal de grande instance du Mfoundi (Yaoundé, ndlr) en vue de l’ouverture d’une information judiciaire contre eux avec mandat de détention provisoire, du chef de détournement de deniers publics et complicité. »
La suite de cette instruction a été racontée récemment par l’avocate franco-camerounaise elle-même dans une lettre ouverte.
Me Lydienne Eyoum dit avoir été interpellé à son domicile « sans aucun mandat » par une forte escouade du groupement spécial d’opération, une unité spéciale de la police camerounaise chargée de lutter contre le grand banditisme. Ministre de la Justice depuis le 9 décembre 2011, le département ministériel que dirige Laurent Esso est la tutelle de la prison centrale de Yaoundé où Me Eyoum se trouve incarcéré dans une cellule « infestée de serpent, de cafards et de rats » comme l’ont souligné ses avocats français dans une tribune libre au journal français Libération en 2012.
EDOUARD AKAME MFOUMOU, ANCIEN MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES
C’est peu dire si c’est par ce haut commis de l’Etat que les malheurs de Me Lydienne Eyoum sont arrivés. Ministre de l’Economie des Finances entre décembre 1997 et avril 2001, Edouard Akame Mfoumou a brillé par son extrême duplicité dans ce dossier. Pour mémoire, ce litige entre l’Etat du Cameroun (le ministères des Finances) et la Société générale de banque au Cameroun (Sgbc) nait en 1994 au moment où la banque vire de façon illégale plus de 3 milliards de F Cfa, fruit du rachat par le groupe Barry des actions de l’ex-Office national camerounais des produits de base (Oncpb), dans un compte bancaire autre que celui de l’Office. En juin 1994, à travers une ordonnance, le tribunal de grande instance de Douala somme la Sgbc de payer à l’ex-Oncpb cette somme d’argent avec intérêt en sus. L’affaire sera portée à la Cour d’appel du Littoral qui, en mars 1999 rend une ordonnance qui donne raison à l’Etat du Cameroun. Mais la Sgbc refuse de s’exécuter et saisit la Cour
Puis, quelques mois plus tard, coup de tonnerre !
En avril 2001, le ministre de l’Economie et des Finances entame des négociations avec la Sgbc en vue du « règlement à l’amiable » de cette affaire sans associer Me Lydienne Eyoum, avocate du ministère des Finances régulièrement constitué en mars 1998. Ceci, en dépit des décisions de la Cour d’Appel de mars 1999 favorable à l’Etat du Cameroun qui, avec la confirmation de la Cour Suprême, avait acquis l’autorité de la chose jugée. Ce qui aura d’ailleurs des effets pervers à moyen et à long terme sur la saisie-attribution pratiquée le 22 août 2000 par les soins de Me Eyoum sur les avoirs de la Sgbc à la Beac face à son refus de rétrocéder à l’Etat les sommes qu’elle détenait abusivement dans ses livres.
En effet, suite à cette saisie, la Sgbc devait payer non plus 3 987 972 800 F Cfa mais 5 124 497 461, 24 F Cfa (principal, intérêt, dépens, frais d’huissier, etc) auxquels s’ajoutent 10 000 000 F Cfa de frais d’astreinte par jour de retard. Donc au moment où Akame s’arrange avec la Sgbc en avril 2001, cette dernière doit reverser à l’Etat du Cameroun au bas mot environ 15 milliards de F Cfa ! Mais après la main-levée de la saisie-attribution du 22 août 2000 intervenue après cet arrangement à l’amiable, l’Etat va perdre plus de 10 milliards de F Cfa. La Sgbc ne va s’acquitter que des 3 987 972 800 F Cfa. Bottant en touche les autres frais accessoires dans lesquels étaient compris les honoraires d’avocat et autres frais d’huissiers.
C’est sur cet arrangement obtenu par la Sgbc dans des conditions assez douteuses que l’accusation va se fonder pour qualifier d’ « abusive » la seconde saisie attribution pratiqué par Me Baleng Maah, à l’instigation de Me Lydienne Eyoum, le 15 juillet 2004 et de détournement de deniers publics la conservation par Me Lydienne Eyoum d’environ 1 070 000 000 F Cfa dans son compte personnel (à la demande de son client , l’Etat du Cameroun) qui représentait les frais d’huissiers et d’avocat, comme l’indiquait le Pv de saisie-attribution de juillet 2004. Autrement dit, cet arrangement retirait tous ses effets aux décisions de justice ultérieures.
ME MBIAM EMMANUEL, AVOCAT AU BARREAU
Par ailleurs, c’est Me Mbiam qui sera à la manœuvre dans la saisine de la Cour d’Appel du Littoral qui va rendre le 8 août 2001 un arrêt contradictoire entérinant la transaction intervenue en avril 2001.
Mais les avocats de Me Lydienne Eyoum vont émettre de sérieux réserves sur cet arrêt contradictoire, arguant de ce que ni leur cliente ni l’avocat régulièrement constitué par la Sgbc n’ont à aucun moment été associés à la procédure ayant conduit à cet arrêt.
Si ce dernier avait été rendu dans le respect des normes, elle aurait revêtu l’autorité de la chose jugée et le Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo n’aurait pas, le 14 décembre 2004, débouté la Sgbc de sa requête introduite suite à la saisie-attribution opérée dans ses avoirs à la Beac par Me Eyoum le 15 juillet 2004.
Elle n’aurait pas non plus été sommée par cette juridiction de payer le reliquat des 5 124 497 461, 24 F Cfa objet de la saisie- attribution du 22 août 2000. Soit 2 155 971 808,27 F Cfa (dans laquelle était compris les honoraires d’avocat).
C’est encore Me Mbiam qui, en 2009, sera de tous les combats pour obtenir la signature de Me Lydienne Eyoum au bas d’une convention de compensation de dette réciproque entre l’Etat et la Sgbc. Une démarche somme toute curieuse d’autant que l’arrêt contradictoire du 8 août 2001 semblait faire foi et acquérait autorité de la chose jugée !
LA SOCIETE GENERALE DE BANQUE AU CAMEROUN
Malgré les décisions de justice en sa défaveur, la Société générale de banque au Cameroun, filiale de la française Société générale, s’est démenée depuis le déclenchement de ce contentieux en 1994 pour les fouler au pied. Pourtant, si la Sgbc s’était pliée aux jugements et arrêts des juridictions qu’elle a elle-même saisi, si elle avait remboursé à l’Etat du Cameroun son dû et payé ses honoraires à son conseil Me Lydienne Eyoum conformément aux décisions de justice, on n’en serait pas à ce procès pénal.
Après l’arrêt de la Cour d’appel du Littoral intervenu le 10 mars 1999 en faveur de l’Etat du Cameroun et le rejet par la Cour Suprême du recours formulé par la banque, cette dernière choisit de saisir le sommet de l’Etat, notamment la présidence de la République et le Premier Ministère. C’est ainsi que la Beac profite du revirement spectaculaire d’Edouard Akame Mfoumou avec lequel elle obtient un arrangement à l’amiable qui abouti le 3 avril 2001 à une main-levée de la saisie-attribution pratiqué sur ses avoirs à la Beac par Me Lydienne Yen Eyoum en août 2000.
Ainsi, plutôt que d’avoir à payer autour de 15 milliards de F Cfa (principal, intérêt, astreinte, frais d’avocat, etc.), la Sgbc n’allait reverser à l’Etat que 3 987 972 800 F Cfa. Plus grave, courant 2004, des responsables du ministère des Finances de l’époque vont se rendre compte que non seulement l’arrangement entre le Minefi et la banque n’était pas homologué par un protocole d’accord mais aussi que la somme qu’elle se devait de régler suite à l’arrangement avec l’Etat n’a pas été payée en totalité. D’où la 2e saisie-attribution sur les avoirs de la SGBC intervenue le 15 juillet 2004 pour le payement du reliquat, soit 2 155 971 808,27 F Cfa.
Par ses agissements, la Sgbc a réussi l’exploit de mettre l’Etat du Cameroun et son conseil, Me Eyoum, à genoux.
AMADOU ALI, EX-MINISTRE DE LA JUSTICE GARDE DES SCEAUX
Dans un premier temps, le 29 décembre 2009, il est celui à qui le secrétaire général de la présidence de l’époque, Laurent Esso, transmet la correspondance dans laquelle il lui était demandé de « faire déférer Mes Lydienne Eyoum, Baleng Maah Célestin, Polycarpe Abah Abah, Henri Engoulou et Ngwem au parquet du tribunal de grande instance du Mfoundi (Yaoundé, ndlr) en vue de l’ouverture d’une information judiciaire contre eux avec mandat de détention provisoire, du chef de détournement de deniers publics et complicité. ».
Lorsque dans sa lettre ouverte publiée en août dernier , Me Lydienne Eyoum rapporte que le procureur du Tribunal de grande instance de Yaoundé lui a fait savoir qu’il avait les mains liées et qu’elle n’avait qu’à signer le mandat de détention préventive, il est difficile de ne pas voir derrière ces « mains liées », l’ombre de l’homme fort de Kolofata. Par ailleurs, Amadou Ali est à l’origine de l’arrêt rendu le 24 mars 2008 par la Cour d’Appel du Littoral alors que la saisie-attribution du 15 juillet 2004 qu’il était censé annuler avait déjà été entièrement exécutée. Dans le compte-rendu que fait le Sg du Minjustice de l’époque de la réunion du 30 mai 2008 qu’Amadou Ali a présidé et auquel prenait part des responsables du ministère de la Justice et des Finances, il est clairement mentionné que : « c’est le ministre de la Justice qui a donné des instructions pour que cet arrêt soit rendu tel qu’il a été ».
Toujours dans la même logique du principe de la séparation des pouvoirs, Amadou Ali a signé le 14 octobre 2004, une circulaire entérinant l’arrangement à l’amiable de 2001 alors que la décision de la Cour d’Appel du 10 mars 1999 revêtait l’autorité de la chose jugée après sa confirmation par la Cour Suprême. Cette circulaire d’Amadou Ali a eu elle aussi le don de conférer un caractère illicite au recouvrement par Me Eyoum de la somme de plus de 2 milliards de F Cfa en décembre 2004, suite à un pouvoir spécial que lui a délivré le ministre des Finances, Polycarpe Abah Abah.
Alors que ce recouvrement qui s’est soldé par la conservation d’une partie de cette somme dans le compte de Me Eyoum (représentant les frais d’huissier et d’avocat et non des deniers publics) faisait suite à une décision de justice exécutoire sur minute malgré l’appel rendu le 14 décembre 2004 par le Tribunal de première instance de Bonanjo.
© Camer.be : Michel Biem Tong