Le Cameroun est un pays en panne. Une panne structurelle qui affecte tous les secteurs de la vie. Et les pannes sons génératrices de crises. Or les crises ne sont pas seulement économiques, mais également intellectuelles. Nous traversons au Cameroun une crise de la pensée. Cette crise affecte les manières de voir, d’agir et de se projeter des uns et des autres. Elle propulse les êtres dans leur bestialité la plus primitive et les amène à se construire en permanence un ennemi imaginaire. Cet ennemi au Cameroun se décrit sous le prisme du tribalisme, en France, il prend la forme du racisme. Malheureusement, bien que comparaison ne soit pas raison, le Cameroun et la France ont en commun aujourd’hui le fait que ces deux sociétés traversent à la fois des crises économiques, sociales mais également de la pensée.
Dans ce contexte on assiste à l’émergence de nouveaux réactionnaires, qui sous le prisme de la protection de certains intérêts, masqués par leurs hostilités par rapport à la différence et englués dans des considérations archaïques de l’humanité voient en l’altérité ou le prochain un adversaire, un ennemi à abattre. Face à une telle situation, les combats relatifs à la justice sociale, aux droits de l’homme, à plus d’égalité, endéans de la déshumanisation de la vie, sont appréhendés à partir des catégories raciales ou tribales.
Depuis plusieurs semaines, j’observe certaines dérives argumentatives à mon encontre suite à mes engagements multiples. Bousculant un certain nombre d’intérêts financiers et alliances dont j’ai parfois connaissance, mon activisme sur les réseaux sociaux a été très vite catégorisé sous un prisme tribal par des individus qui le plus souvent, n’ont aucune connaissance de ma personne, de ma trajectoire, de mes engagements et encore moins de mes convictions. A ceux-là en mal de repères et qui entretiennent une certaine fixation sur l’ethnicité je vous dirai ceci : Mes parents sont issus de quatre villages à l’Ouest Cameroun. Je suis né, j’ai grandi et j’ai effectué toutes mes études à Sangmelima. Pendant mon adolescence au lycée classique, nous prenions du plaisir à voir Paul Biya jouer au tennis ou faire du sport dans sa somptueuse résidence. J’ai bénéficié de l’accompagnement académique à travers les cours de répétions gratuit offerts aux enfants de cette ville par les dignitaires du régime de Biya, qui payaient ces cours de réplétion. J’ai grandi avec mes frères de Sangmelima avec lesquels nous avons tissé des liens importants. A 15 ans et demi après mon baccalauréat je suis entré à l’université de Yaoundé 1. Là-bas j’ai rencontré des gens merveilleux issus de toutes les régions du Cameroun avec lesquels nous avons mené des combats multiples non seulement au sein de l’Association pour la Défense des droits des Etudiants (ADDEC) ; mais également ceux avec qui nous avons lancé le premier journal étudiant au Cameroun qui étaient originaires du Centre et de l’Est.
Je n’ai participé jusqu’à ce jour à aucune association tribale des jeunes de l’Ouest ou du Sud en dépit du fait que j’y ai été convié à de multiples reprises Jusqu’au décès de ma mère survenu il y a 3 ans, je ne m’étais jamais rendu dans un seul des villages dont mais parents sont originaires. Je ne parle aucune langue de l’Ouest Cameroun. Tout au contraire, je comprends le Bulu et l’Ewondo qui dénote l’environnement dans lequel je me suis socialisé. A l’Ouest, je suis allé dans une seule ville Bafang à deux reprises depuis que je suis né. Aujourd’hui je partage ma vie avec une femme qui est Ewondo de Ngoumou dans le Centre et Bamoun. Nous parlons français et parfois ewondo. Pour certains, je suis acculturé mais je suis en fait un afripolitain. Il faut penser le monde au-delà des prisons identitaires dans lesquelles nous avons été enfermés depuis la période coloniale et dont la lutte de succession en cours fait ressurgir de plus en plus toute notre animalité.
A l’IRIC, je ne connaissais personne de tous ces étudiants qui avaient été exclus mais je pensais simplement que cela aurait pu être moi. Avec l’ADDEC, c’est uniquement l’amélioration des conditions des étudiants dans un environnement précarisé qui profite à tout le monde. Aujourd’hui je poursuis cette démarche dans le cadre de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). Vous ne pouvez pas imaginer les dégâts causés par la corruption et les détournements des deniers publics au Cameroun. L’affaire GEOVIC, un montant de 100 milliard FCFA qui aurait pu construire des hôpitaux, des écoles, des parcs, des marchés partis en fumée suite à la prévarication d’une élite prédatrice. Au lieu que des camerounais puissent véritablement s’appesantir sur le fond du dossier, ils sont plus tôt intéressés par les logiques tribales qui motivent ces publications. Les américains qui se battent sur se dossier depuis plus de 5 ans semblent plus préoccupé par cette affaire que les camerounais eux-même ? A se demander si les gens sont encore normaux au Cameroun… Est-ce que vous connaissez le nombre de camerounais qui meurent dans les hôpitaux pour cause de mauvais soins, parce que la formation est mauvaise et les hôpitaux mal équipés ? Est-ce que vous connaissez le nombre de camerounais diplômés des universités qui deviennent des moto-taximen parce que n’ayant pas d’appui à certains endroits ils ne peuvent pas être recrutés ? Est-ce que vous connaissez le nombre d’enfants qui ont abandonné l’école parce que les parents n’ont plus d’argents ?
Des combats qui affectent chacun d’entre nous et sont au-delà de l’ethnie.
Pour terminer, afin que nul n’ignore à ces néo-réactionnaires, je dirais simplement que le problème de ce que l’on pourrait appeler le « Foguegate », ce n’est pas un pieds soulevé en pleine télévision à la suite d’une discussion avec un intervenant qui niait à cet instant cette réalité, mais la barbarie d’un régime dont certains fonctionnaires utilisent leur zèle pour dresser les populations. Peut-on distribuer des tracts sans se faire bastonner dans un pays qui se revendique démocratique ? Peut-on demander moins de corruption à l’université sans se faire arrêter et traduit devant un tribunal ? Doit-on laisser des gens détourner de l’argent du contribuable camerounais sans toutefois les dénoncer de peur que vous soyez accusé de tribalisme ? Peut-on donner son point de vue sans toutefois être catégorisé sur la base d’une appartenance ethnique ou politique ? Autant de questions qui devraient aujourd’hui nous amener à nous interroger sur le tournant qu’est en train de prendre notre pays. Cet avenir qui semble pourtant incertain, pourrait par contre augurer des lendemains meilleurs.
GARDONS ESPOIR!
Boris BERTOLT, Journaliste d’investigation et chercheur