Sous l’impulsion du président kényan Uhuru Kenyatta, l’Union africaine (UA) a adopté, dimanche 31 janvier, à l’issue de son 26e sommet, une proposition ouvrant la voie à un possible retrait en bloc des États africains de la Cour pénale internationale (CPI).
L’argument d’une cour qui s’en prend uniquement aux Africains a fait son chemin pour arriver à cette annonce historique d’Addis-Abeba qui survient, faut-il le noter, quelques jours après l’ouverture du procès de Laurent Gbagbo à La Haye.
Certes, la CPI est critiquable à bien des égards. Son attitude incohérente sur le cas Kenyatta, son échec patent concernant Omar Al-Bachir en juin 2015 et son incapacité à attraire des personnes coupables d’horreurs ailleurs dans le monde constituent des marqueurs de ses limites.
Mais une imperfection juridique n’est-elle pas meilleure qu’un vide qui délivre un permis de tuer à des monstres ? Cette cour est imparfaite, mais elle s’est posée depuis 2002 comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de criminels de guerre semant l’horreur. L’existence de la CPI est déjà un mérite de notre époque.
Point marketing
L’argument du racisme de la CPI est un point marketing extrêmement lucratif en Afrique. Mais est-il du niveau des vies humaines avec lesquelles on s’amuse au quotidien sur le continent ?
De surcroît, malgré le pouvoir de la démocratie représentative, les chefs d’Etat africains ne doivent pas imposer leurs strictes vues sur leur peuple. Car c’est lui d’abord la victime des crimes et des barbaries commises. Or, avec cette décision, l’UA promeut délibérément l’impunité et rejette l’Etat de droit au profit d’une coquetterie politique enrobée dans un discours aux allures antiracistes.
En effet, nos chefs d’État estiment que seule l’Afrique est la cible de la CPI pendant que d’autres crimes atroces se déroulent ailleurs dans le monde en toute impunité. Argument recevable.
Mais dire que des atrocités sont commises sur d’autres parties du globe est une chose. Arriver à expurger l’Afrique de ses propres crimes en est une autre, moralement supérieure. Il faut que nous arrivions sur le continent à nous dénoncer.
Ne pas détourner les yeux
Le Burundi, l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le Soudan parmi d’autres exemples nous empêchent de faire fi d’une cruelle réalité. Elle est sur nos écrans, terrible, massive et atroce. Regardons-la en face. Ne détournons pas les yeux.
Mais de l’exigence de justice et de réparation des torts des millions de femmes et d’enfants victimes de guerres qu’ils n’ont ni provoquées, ni voulues, l’UA semble se détourner pour répondre positivement à la dernière requête de son syndicat de VIP et de nombreuses voix de la société civile afro-centriste. En effet, cette décision n’aurait pu être adoptée sans un soutien d’une partie de l’élite africaine plus soucieuse de « réparer » l’humiliation raciste de la CPI que de préserver un mécanisme de justice supranationale efficace, bien que perfectible.
Quitter la CPI est devenu le nouvel horizon indépassable de cette alliance aux relents chevaleresques, armée de la volonté de rendre à l’Afrique son honneur perdu.
Les sanglots des femmes violées dans le Kivu, la solitude de l’orphelin peuvent attendre. L’urgence est de quitter la CPI. Ensuite, au hasard des sommets d’Addis-Abeba, on trouvera bien un ersatz de justice internationale soucieuse cette fois du respect de la peau noire. Pendant ce temps, il est permis de tuer, dans la totale impunité.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.
Par Hamidou Anne (Chroniqueur, Le Monde Afique, Dakar)
Source : Le Monde