Je suis #Fotokol
Nous proposons de déclarer le 11 février 2015 journée de deuil national et de mobilisation de toute la nation camerounaise contre Boko Haram, en mémoire des morts de #Fotokol, notre “11 septembre” à Nous.
Comité de Libération des Prisonniers Politiques au Cameroun
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Contre la coalition antiterroriste, le bain de sang de Boko Haram
Par Maria MALAGARDIS, Libération.fr, 05 février 2015
RÉCIT: Alors que des soldats tchadiens ont pénétré en territoire nigérian, la secte islamiste a massacré des centaines de civils lors d’un raid au Cameroun.
Ni drapeaux en berne, ni bilan exact : au lendemain du carnage orchestré mercredi à Fotokol, une petite localité du nord du Cameroun, aucun deuil national n’avait encore été décrété jeudi à Yaoundé, la capitale, située à plus de mille kilomètres. Et aucun communiqué officiel n’avait confirmé le nombre de victimes, que les autorités semblaient minimiser. «En réalité, il y aurait près de 400 morts, tous tués en seulement trois heures», affirme Gubai Gatama, un journaliste qui dirige l’Œil du Sahel, un magazine très bien informé sur la situation qui prévaut dans le nord du pays.
L’attaque surprise de Fotokol par les hommes de Boko Haram, venus du Nigeria voisin, ne constitue pas une première : depuis près de deux ans, les combattants de la secte islamiste ont pris l’habitude de franchir la frontière. D’abord pour se ravitailler. Puis, de plus en plus souvent, pour mener des attaques mortelles en territoire camerounais. Leur premier fait d’armes avait eu lieu en février 2013, avec l’enlèvement d’une famille française, les Moulin -Fournier, libérée deux mois plus tard.
A l’époque, des journalistes occidentaux s’étaient rendus à Fotokol, petite bourgade constituée de maisons en pisé qu’un simple cours d’eau sépare du Nigeria. Les habitants se plaignaient déjà «d’incursions répétées» et de «l’instabilité» provoquée par la montée en puissance du groupe terroriste, qui étendait alors son emprise sur les Etats du nord du Nigeria. Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader. Boko Haram contrôle désormais une vingtaine de villes côté nigérian et multiplie les agressions côté camerounais, malgré l’envoi, depuis avril 2014, d’unités d’élite de l’armée camerounaise le long de la frontière.
Stratégique. Mais mercredi, une nouvelle étape a été franchie avec ce massacre d’une ampleur inégalée. «Les assaillants sont arrivés en deux groupes et par deux directions différentes. Comme ils portaient des uniformes militaires, les habitants n’ont pas tout de suite compris, raconte Gubai Gatama. Ils connaissaient visiblement les lieux puisqu’ils ont vite repéré les mosquées, où ils auraient égorgé 126 personnes.» Puis, les combattants sont allés de maison en maison, avec à chaque fois le même objectif : tuer sans distinction. Une expédition punitive qui, outre les centaines de victimes civiles, aurait fait près de 200 morts dans les rangs de Boko Haram, auxquels s’ajoutent 4 militaires camerounais ainsi que 16 militaires tchadiens, venus en renfort.
L’entrée du Tchad dans cette guerre de plus en plus régionale date du 14 janvier, quand Idriss Déby, le président tchadien, a annoncé son intention d’apporter un «soutien actif» au Cameroun en invoquant «les intérêts vitaux du Tchad». Car l’enracinement de Boko Haram dans le nord du Cameroun menace directement le Tchad, pays enclavé dont l’approvisionnement dépend en grande partie des routes camerounaises et de l’accès maritime via le port de Douala, au sud du Cameroun.
L’implication de N’Djamena bouscule aussi le rapport de forces : très aguerries, les troupes tchadiennes ont, contrairement à l’armée camerounaise, obtenu du Nigeria un «droit de poursuite» qui leur permet de traquer les islamistes de Boko Haram jusque dans leur fief. Mardi, la première offensive terrestre des Tchadiens sur le sol nigérian leur a permis de reconquérir Gamboru, tombée aux mains du groupe islamiste il y a quelques semaines. Gamboru n’est qu’une toute petite localité, mais stratégique : elle se trouve à la frontière nigériane, juste en face de Fotokol.
Verrou. La prise de la ville avait été saluée mardi soir comme le symbole de la mobilisation de l’Afrique contre les islamistes. Celle qu’appelait de ses vœux le 30 janvier l’Union africaine, qui s’est également prononcée pour la création d’une force multirégionale de 7 500 hommes.
Reste que ce premier succès a été de courte durée, vite estompé par le massacre de Fotokol. Car c’est bien en réaction à l’attaque tchadienne que Boko Haram s’est lancé à l’assaut de la ville camerounaise. En contournant le dispositif tchadien de Gamboru pour entrer dans la bourgade jumelle de l’autre côté du fleuve. Le pont séparant les deux localités était gardé en principe par les forces camerounaises, mais le verrou avait été levé pour permettre le passage des Tchadiens vers le Nigeria. Les islamistes ont su en profiter.
Longtemps, les autorités camerounaises sont restées discrètes sur cette guerre invisible, très lointaine et presque abstraite vue de Yaoundé. «C’est d’autant plus facile qu’il n’existe pas de conscience citoyenne dans notre pays», se désole le journaliste Gubai Gatama. A moins que le carnage de Fotokol ne marque une étape ? «C’est un peu notre Charlie à nous. Même à Yaoundé, les gens ont été choqués. Cette guerre fait passer toutes les autres considérations au second plan, même chez ceux qui s’opposent au régime», soutient Jean Bosco Talla, un autre journaliste, pourtant très critique vis-à-vis du président camerounais, Paul Biya.
Maria MALAGARDIS, Liberation.fr