Notre pays veut rattraper son retard dans l’arrimage au nouveau monde digital. Enjeux et exigences de la conversion numérique pour le Cameroun.
Le monde semble résolument entré dans l’ère numérique. L’Internet fait désormais partie de notre quotidien. Demain, très peu de choses pourront être accomplies sans le concours d’Internet et les personnes non connectées n’existeront tout simplement pas. C’est ce que les sociologues appellent le ‘’nouvel âge de l’Humanité’’.
La bonne nouvelle est que ce monde nouveau est ouvert à tous. Pour une fois dans l’histoire de l’humanité, les pays du Sud disposent des technologies nouvelles au même moment que ceux du Nord. D’ici à 2025, près de 600 millions d’Africains -soit près de la moitié de la population du continent – seront connectés à Internet, certains d’entre eux y auront même droit avant d’avoir accès à l’électricité ou à l’eau potable. La question est de savoir ce que nous pouvons faire de ces technologies, et surtout ce que nous voulons en faire.
Il est heureux de constater que le sujet devient une préoccupation nationale au Cameroun. Le Chef de l’État a donné le ton dans son Message à la Nation le 31 décembre 2015, en faisant de l’économie numérique un enjeu majeur pour notre pays. Pour le Président de la République, en effet, « il nous faut rattraper au plus vite notre retard dans le développement de l’économie numérique. Celle-ci est un véritable accélérateur de croissance en plus d’être une véritable niche d’emplois pour notre jeunesse. Nous pouvons en tirer avantage pleinement ».
L’Agence de Régulation des Télécommunications (ART) vient d’emboîter le pas au Chef de l’État, en organisant à Yaoundé, un forum de deux jours sur l’économie numérique, avec tous les acteurs du secteur des télécommunications et des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) au Cameroun. Il était temps.
La manne numérique
Contrairement aux idées reçues, l’économie numérique ne se résume pas aux gadgets, à Facebook et à Whatsapp. C’est l’ensemble des biens et services fournis ou échangés sur les réseaux électroniques et les technologies numériques. Elle apparaît aujourd’hui comme le secteur le plus dynamique de l’économie mondiale.
L’économie numérique a représenté près de 30% de la croissance mondiale en 2013 et son taux de croissance est le double de celui de l’économie ordinaire dans la plupart des pays développés. Le numérique compte pour 40% des gains de productivité en France et selon le cabinet Mc Kinsey, il pourrait apporter 300 milliards de dollars au PIB de l’Afrique en 2025.
L’économie numérique est également considérée comme un important vivier d’emplois. Le nombre d’emplois directs créés dans le secteur des TIC représente de 3 à 5% de la population active dans le monde. Et, chaque emploi dans les TIC crée 4,9 emplois dans d’autres secteurs, selon la Banque Mondiale. C’est ainsi que l’essor du commerce électronique en Chine a entraîné la création de 10 millions d’emplois dans les magasins du pays.
Il convient de le rappeler : l’économie numérique se nourrit de l’Internet, et surtout de l’Internet haut débit. C’est son carburant. Le numérique tend également à devenir le système sanguin de la vie sociale. Il impacte l’ensemble de nos vies. Au-delà de l’économie, il faut l’appréhender comme un outil puissant de transformation de la société. Le numérique c’est le nouveau nom du développement.
Le numérique contre la pauvreté
Imaginons l’Administration numérique par exemple. Le Rwanda en fournit un exemple intéressant aujourd’hui avec le portail Irembo qui crée un accès direct et permanent entre les citoyens rwandais et l’administration. Tous les services de l’État sont en voie de digitalisation et les Rwandais peuvent par exemple renouveler leur passeport, demander une nouvelle carte d’identité ou obtenir une copie du casier judiciaire en ligne, sans avoir à se déplacer. Au Cameroun, la Direction Générale des Impôts expérimente avec succès la télé-déclaration et le paiement des impôts par téléphone portable (Mobile Tax) depuis 2014. La Direction Générale des Douanes s’inscrit également dans cette voie.
L’Administration numérique comporte plusieurs avantages. D’abord pour les citoyens, y compris ceux des zones reculées, qui peuvent accéder à l’information et aux services de l’Etat sans avoir à se déplacer et gagnent ainsi en temps, en énergie et en argent. Ensuite pour l’Etat qui réduirait sensiblement les délais de traitement des dossiers et ferait des économies significatives en consommables bureautiques (papier, encre, agrafes…). Le numérique pourrait également permettre d’améliorer les taux de collecte des recettes fiscales. Imagine-t-on les gains supplémentaires que l’Etat engrangerait si le péage routier était numérisé, par exemple ? Enfin, la gouvernance électronique contribuerait à la lutte contre la corruption. Le citoyen qui sollicite un service en ligne n’a pas un agent en face de lui et ne court pas le risque qu’on lui demande le “tchoko” (le bakchich).
Que dire du mobile money et de la dématérialisation des paiements ? Dans notre pays où près de 90% de la population est laissée en marge du système bancaire traditionnel, les TIC et le numérique constituent un formidable accélérateur de l’inclusion. Chaque Camerounais abonné à la téléphonie mobile peut transférer de l’argent, payer des factures et effectuer des transactions commerciales à l’aide de son téléphone. Nous nous préparons aussi à nous adapter à la disparition annoncée de la monnaie fiduciaire. Demain, on ne paiera plus avec des billets de banque, mais avec sa carte bancaire, sa tablette, son téléphone portable, ou tout autre objet connecté.
Déjà, dans un pays comme la Suède, les banques ne délivrent plus d’argent liquide à leurs clients dans la grande majorité des agences. En Norvège, l’argent liquide n’est plus utilisé que dans 5% des transactions. Chez nous, Georges Wega, le Directeur Général Adjoint de la Société Générale révélait il n’y a pas longtemps que près de 50% des virements effectués par les entreprises sont déjà électroniques et coûtent dix fois moins cher que les virements à partir des formulaires sur papier.
Les transactions électroniques offrent à l’usager le don d’ubiquité, avec la possibilité de payer en ligne, sans frontières et sans se déplacer. Elles lui offrent aussi la sécurité, avec la réduction des risques de braquage ou de cambriolage. Avec les transactions électroniques, l’État pourrait mieux collecter la TVA et lutter contre la corruption. En effet, contrairement à la monnaie papier qui est anonyme, les paiements numériques sont transparents et traçables. Ils renseignent sur les entrées et sorties d’argent ainsi que sur l’identité de ceux qui effectuent ces opérations.
Appliqué à l’Éducation, le numérique peut accroître l’égalité des chances et l’accès du plus grand nombre à des enseignements de qualité. Les TIC offrent, en effet, de nombreux outils et techniques modernes pour améliorer considérablement la qualité des enseignements. Aujourd’hui, un enfant de Bépanda peut suivre des cours en ligne dans les meilleures universités du monde. Un étudiant ou n’importe quel apprenant désireux d’approfondir ses connaissances peut accéder gratuitement à des cours et à des données documentaires en ligne.
Le numérique peut également favoriser l’accès à des services de santé de qualité. Les TIC offrent des outils modernes permettant d’améliorer l’efficacité du système de santé et de sauver des vies. Avec la télémédecine par exemple, on peut suivre à distance des patients se trouvant dans des zones reculées ou insuffisamment dotées de personnels de santé. Autre illustration concrète : La Fondation MTN et la Fondation Clinton contribuent au Cameroun à sauver la vie de nourrissons infectés au vih sida à la naissance, en utilisant les TIC pour accélérer le processus de diagnostic qui permet de les placer rapidement sous traitement.
On pourrait ainsi multiplier ces exemples à l’infini, il demeurera une constance cependant : les pays africains qui ont très tôt placé les TIC au cœur de l’agenda de leur transformation économique, en tirent déjà des bénéfices importants. Mais qu’en est-il du Cameroun?
Un retard à rattraper
Dans un exposé en Conseil de Cabinet le 26 janvier 2009, le Ministre des Postes et Télécommunications de l’époque, estimait qu’un Internet suffisamment développé au Cameroun pourrait entraîner le triplement du chiffre d’affaires du secteur des télécommunications évalué à l’époque à 450 milliards de francs CFA annuels. Le Cameroun n’en est malheureusement pas encore là. L’économie numérique a contribué au PIB du Cameroun à hauteur de 1,1% seulement en 2013, contre 3,8% au Kenya. Manifestement parce que des politiques conséquentes n’ont pas suivi les discours.
Les investissements du Cameroun dans le numérique sont restés 5 fois moins importants qu’au Ghana, et 7 fois moins importants qu’au Sénégal par exemple. Résultat, le Cameroun qui est la 13e économie du continent ne fait pas partie des 15 pays africains où le taux d’accès à l’Internet haut débit est le plus élevé, à l’inverse des pays comme le Gabon, le Swaziland ou le Cap-Vert. Le nombre d’utilisateurs de l’Internet représente encore moins de 20% de la population de notre pays. Et, seules 4,6 entreprises camerounaises sur 7 sont connectées à Internet, contre 5 au Kenya et 5,3 au Sénégal. Egalement, seuls 15% des agents de nos ministères ont accès à Internet, contre 32% en Côte d’Ivoire.
Reste que, si nous avons pris du retard, le potentiel du Cameroun est très important. D’abord, nous avons un pays très urbanisé, avec une classe moyenne émergente et une population majoritairement jeune et férue de nouvelles technologies. Ensuite, le Cameroun dispose d’un accès à 3 câbles sous-marins à fibre optique (le SAT3, le WACS et le Maine One), qui vont lui offrir des capacités surabondantes en haut débit. Et lorsque les projets ACE et CBCS (câble reliant Kribi à la ville brésilienne de Fortaleza) auront abouti, le Cameroun deviendra l’un des rares pays au monde à être connecté à 5 câbles sous-marins. De quoi prendre une sérieuse avance sur les pays de même importance et devenir un véritable hub technologique régional. Nous avons également une capacité de transformation extraordinaire. Le Cameroun ne vient-il pas de réussir l’implémentation de technologies 3G et 4G en l’espace de quelques mois seulement ? Un exploit assez rare dans le monde.
Le temps des réalisations
Il faut maintenant espérer qu’après les orientations données par le Chef de l’État le 31 décembre 2015 – et réaffirmées dans son Message à la Jeunesse le 10 février 2016-, des politiques efficaces seront implémentées pour exploiter le potentiel énorme du Cameroun et accélérer la transformation numérique du pays. A notre sens, de telles politiques pourraient être déployées dans quatre axes majeurs.
Premièrement: renforcer le backbone national de fibre optique pour garantir l’accès universel à l’Internet haut débit. Près de 80% des Camerounais n’ont toujours pas accès à Internet et sont par conséquent exclus de la société numérique qui se construit. Or, pour que les dividendes de la manne numérique soient largement partagés, il faut permettre à tous les Camerounais, où qu’ils se trouvent, d’accéder aux réseaux et aux services numériques. C’est vrai, nous allons disposer de capacités surabondantes avec notre connexion à 5 câbles sous-marins, mais il faut aussi veiller au maillage du territoire. Sinon cette surabondance imminente de bande passante sera sous-utilisée.
De l’avis même du Directeur Général de l’ART, il nous faudra construire plus de 10.000 km de fibre optique à court terme, pour garantir une couverture convenable du pays. Ceci demande des investissements importants. Le Cameroun ne pourra pas réaliser cet objectif sans la contribution du secteur privé qui se dit prêt à investir massivement mais se heurte aux limitations imposées par la réglementation. Les privilèges de l’exclusivité accordés jusqu’ici à l’Opérateur historique pour la pose et la gestion de la fibre optique ne peuvent pas répondre aux exigences de l’heure. La libéralisation de la fibre optique apparaît désormais comme une exigence incontournable pour la transformation numérique du Cameroun.
Deuxièmement: développer la production de contenus numériques. Nous ne devons pas seulement être des consommateurs de l’économie numérique. Nous devons aussi nous positionner comme producteur de contenus ; des contenus locaux adaptés à notre contexte et répondant à nos besoins. Cet objectif ne pourra pas être réalisé si nous ne développons pas un écosystème d’innovation. L’État devra par conséquent mettre en place des politiques susceptibles de faciliter l’entrepreneuriat numérique. Et si par exemple on transformait nos télécentres communautaires en réels incubateurs?
Comme on le voit, la transformation numérique intègre des problématiques qui vont au-delà du déploiement des infrastructures de télécommunications. Elle nécessiterait sans doute la création d’un point focal chargé d’assurer le pilotage et la coordination de l’ensemble des politiques publiques dans le domaine du numérique. Nombre de pays d’Afrique et d’Europe ont tiré les leçons de la conversion numérique en nommant un ministre de l’Économie numérique ou de la Transformation numérique. Le Cameroun peut-il en faire l’économie, s’il veut impulser des avancées rapides, fructueuses et durables ? Pas sûr.
Troisièmement: renforcer la confiance numérique. Pour favoriser l’essor des services à distance et dématérialisés dans l’ensemble des secteurs de l’économie, il faut absolument garantir la sécurité des échanges. L’État devra par conséquent accentuer la protection des données individuelles, et la lutte contre toutes les formes de cybercriminalité. Un véritable challenge pour l’Agence des Technologies de l’Information et de la Communication.
Quatrièmement: assurer l’éducation numérique des générations futures. Étant donné l’impact du numérique sur l’économie et sur la société de manière globale, il importe de donner une éducation numérique à chaque enfant pour garantir son insertion dans ce nouveau monde digital. L’école et la formation, de manière générale, devront par conséquent s’adapter aux besoins de la société numérique.
Au début des années 90, le Cameroun fut le premier pays d’Afrique noire à lancer un réseau de téléphonie mobile, avant d’être rejoint et dépassé par nombre de pays qui ont réussi à développer des technologies nouvelles avant lui. La révolution numérique en cours nous donne une excellente opportunité de repositionner notre pays parmi les grandes nations numériques du continent et pour le bonheur de nos populations. Saisissons cette opportunité que l’avenir nous offre.
Jean-Melvin AKAM, Secrétaire Exécutif de la Fondation MTN