Dimanche 13 mars, une vidéo d’une rare violence a circulé sur les réseaux sociaux camerounais. Elle montrait une femme enceinte, couchée sur le parvis d’un hôpital, et dont le ventre était ouvert au scalpel par une autre femme, manifestement désespérée, qui en extirpait deux fœtus.
L’onde de choc s’est rapidement propagée dans tout le pays. Très vite, les premières rumeurs ont circulé, qui toutes mettaient en cause le personnel médical de l’hôpital, accusé tour à tour de négligence, d’inhumanité, de cupidité. Des proches de la défunte ont expliqué à la télévision camerounaise avoir agi pour sauver les deux enfants qui bougeaient encore dans le ventre de leur mère face à un personnel médical inactif.
Une marche pacifique s’est tenue dans l’après-midi à Douala pour réclamer la vérité sur cette « affaire ». Elle a été réprimée par la police.
Raisons coutumières
Le lendemain, répondant à la pression populaire, le ministre de la santé a donné sa version des faits dans un communiqué officiel : la famille de Monique Koumaté, 31 ans, enceinte de jumeaux, aurait eu la mauvaise idée de transporter, qui plus est dans la malle arrière d’un taxi, un cadavre à l’hôpital Laquintinie de Douala. Sur place, le personnel médical aurait donc constaté le décès de la patiente et procédé aux démarches d’usage. Mais la nièce de la défunte aurait tout de même entrepris d’ouvrir le ventre de sa tante, pour des raisons coutumières : il est interdit d’enterrer une femme enceinte avec son fœtus.
La version du ministre est plausible. Après tout, les coutumes sont en effet tenaces dans nos pays, et elles conduisent quelquefois à des comportements irrationnels. Sauf que M. André Fouda, ministre de la santé, ne peut être audible, car il y a belle lurette que les pouvoirs publics ont perdu toute légitimité au Cameroun. Pour la majorité de la population, un ministre camerounais, ça ment et ça vole, c’est tout. Et donc ce « scandale » révèle d’abord le profond discrédit qui frappe la classe politique camerounaise.
Ensuite, la réaction ministérielle a une nouvelle fois illustré l’abîme qui sépare une élite corrompue d’un peuple désabusé. Dans cette affaire, les faits ont une importance relative. Ils n’expliquent pas la réaction populaire. La vidéo montre un acte effroyable. Si les faits étaient à l’origine de l’émotion suscitée par ce film, alors une partie de l’opinion aurait condamné l’auteur de cet acte. Or la colère de la population avait une cible unique : le corps médical.
Inhumanité, violence et malheur
Ce qui s’est passé est simple : les Camerounais se sont insurgés contre une réalité, celle du système de santé de leur pays, et non contre un fait particulier. Autrement dit, ce qui importe dans cette histoire, et qui permet d’expliquer la réaction populaire, est que la scène à l’origine du scandale s’est produite au sein d’un hôpital.
Or, en se contentant de dire sa vérité, le ministre Fouda affichait son incompréhension de la psychologie populaire et du même coup son mépris de la réalité camerounaise, creusant davantage le fossé entre un peuple aux abois et un régime arrogant. Il est à noter à cet égard que le président camerounais, absent du pays, n’est rentré que lundi après-midi au Cameroun.
Quelle est donc cette réalité que le responsable politique cachait sous le tapis des « faits » ? En 2016, des hommes et des femmes meurent tous les jours dans les hôpitaux camerounais parce qu’ils doivent acheter sans en avoir les moyens leur propre seringue ou leur propre flacon d’alcool. En 2016, des hommes et des femmes meurent tous les jours dans les hôpitaux camerounais parce que la fourniture du courant électrique a été interrompue et que les groupes électrogènes, lorsqu’il y en a, ce qui est rare, manquent de carburant. En 2016, des enfants fiévreux sont rejetés des hôpitaux camerounais parce que leurs parents n’ont pas les moyens d’acheter un thermomètre. En 2016, des bébés sont volés à leur mère dans les hôpitaux camerounais sans qu’aucune enquête sérieuse ne soit diligentée. En 2016, les hôpitaux camerounais sont, en somme, des lieux d’inhumanité, de violence et de malheur.
En état de mort clinique
La vidéo de Monique Koumaté a cristallisé la colère de tout un peuple contre un régime dont la mauvaise gestion détruit massivement des vies humaines tous les jours. Le délabrement du système de santé du Cameroun a été le véhicule de ce cri du cœur. Mais c’est tout le pays qui est en état de mort clinique depuis plus de vingt ans, pris en otage par une majorité de politiques et de fonctionnaires irresponsables.
Les réactions se sont multipliées depuis dimanche, elles se poursuivront. Elles ne provoqueront aucun changement immédiat, mais sont néanmoins importantes pour deux raisons.
La première est qu’elles témoignent de ce que le peuple camerounais est encore capable de s’indigner, et donc qu’il n’est pas mort. La deuxième raison est qu’à l’heure où, dans le pays, les voix du statu quo multiplient les appels à la candidature du chef de l’État à l’élection présidentielle de 2018, un front populaire semble se lever, qui exprime une volonté ferme de changement. Et si, en réalité, le scandale Koumaté marquait le coup d’envoi de la campagne présidentielle ? Son thème, le seul possible et le seul souhaitable : la reconstruction totale de l’État camerounais.
Par Yann Gwet – entrepreneur et essayiste camerounais.
Source : Le Monde.fr