“Horrifié”, le mot est faible…tellement ce drame d’une insupportable cruauté est venu rappeler à tous les ressortissants du Cameroun l’inhumanité dans laquelle gît ce pays depuis 34 ans, avec un Président octogénaire éternellement absent, dont la politique sanitaire et sociale se résume à la construction d’un hôpital de référence dans son village natal en pleine forêt équatoriale où les autres camerounais ne peuvent converger faute d’infrastructures routières et de couverture minimale.
Joël Didier Engo
Président du CL2P
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Compte rendu
Le Cameroun horrifié par l’éventration d’une défunte enceinte devant un hôpital
A Douala, le 13 mars, des Camerounais manifestent leur indignation après la mort dans un hôpital public de Monique Koumaté et de ses jumeaux dans des circonstances encore troubles.
L’histoire émeut le Cameroun tout entier. Sur des vidéos d’amateurs diffusées sur des réseaux sociaux, dimanche 13 mars, on voit deux femmes. L’une est allongée sur un bout de pagne étalé sur un sol carrelé. L’autre, mains recouvertes de gants ensanglantés, lui fend le ventre avec un objet tranchant que l’on peine à distinguer. Elle en sort, sous les cris des badauds agglutinés autour d’elle, un premier bébé. Elle le retourne entre ses mains. Il n’est plus vivant. Elle extrait du ventre, dont les intestins pendent, un second enfant. Un de ses petits pieds bouge. Elle essaie de le sauver. En vain. L’enfant finit par mourir.
La scène se déroule à l’entrée de la maternité de l’hôpital Laquintinie, à Douala, capitale économique du Cameroun. Alvine Monique Koumaté et ses bébés posés sur sa poitrine, ventre ouvert, sont exposés aux regards de tous. Les appareils photo et téléphones portables crépitent. Au milieu des cris des membres de la famille éplorée, des infirmiers et infirmières vaquent tranquillement à leurs occupations.
« Que Paul Biya agisse pour une fois ! »
Que s’est-il réellement passé pour qu’une femme soit ainsi « opérée » à ciel ouvert sur le parvis de l’un des plus grands hôpitaux publics du Cameroun ? Difficile à dire faute d’éléments factuels précis. « Nous sommes arrivés à la guérite de l’hôpital dans un taxi. On nous a demandé d’aller aux urgences, raconte, la voix étranglée par le chagrin, l’homme qui se présente comme le compagnon de la défunte. Là-bas, ils nous ont envoyés à la maternité. Un infirmier est venu et nous a dit qu’elle était décédée et nous a demandé d’aller à la morgue. » L’un des employés de la morgue constate que le ventre d’Alvine Monique Koumaté « bouge » et se propose de l’opérer pour sauver ses jumeaux. Il demande l’accord des infirmiers, « sans succès ». Finalement, c’est une cousine « éloignée », Rose Tacke, qui se rue à la pharmacie, achète des gants et une « lame » et vient mener l’opération. « Elle espérait au moins sauver les enfants », raconte un témoin de la scène, encore sonné par l’horreur. « Les infirmières ont refusé, je vous le jure, refusé de sauver les enfants de ma fille », répète en pleurant au Monde Afrique Beas Sen, la mère de la défunte.
C’est le scandale de trop. Lassés de ces multiples drames qui frappent les familles qui se rendent dans les hôpitaux publics, des Camerounais ont décidé d’agir dès le lendemain du drame. Près de cinq cents personnes, vêtues de tee-shirts noirs et bougie à la main pour la plupart, se sont rassemblées devant l’hôpital Laquintinie, sous le regard des forces de l’ordre (police et gendarmerie). Ils ont entonné l’hymne national et ont demandé surtout « la démission du ministre de la santé publique », « la démission du directeur de Laquintinie » et « que Paul Biya agisse pour une fois ».
« Anathème »
« Plus jamais de Monique Koumaté dans mon pays ! », pouvait-on lire sur des banderoles. Le rassemblement a été dispersé à coups de gaz lacrymogène, mais la colère continue de s’exprimer sur les réseaux sociaux. « J’espère que ces médecins brûleront en enfer. Que plus jamais on ne vivra ces événements », écrit un internaute. « Si tu n’as pas d’argent, tu meurs dans les hôpitaux publics du Cameroun, réagit un autre sur sa page Facebook. Mieux [vaut que] tu restes chez toi [pour] mourir au moins dans la dignité. »
Devant les portes de la maternité de Laquintinie, à Douala, après “l’opération ” pratiquée, le 12 mars 2016, pour sauver les jumeaux d’une femme enceinte décédée dans des circonstances encore troubles.
André Mama Fouda, le ministre de la santé publique, au cours d’une conférence de presse tenue le même samedi, a pour sa part expliqué que Monique Koumaté et ses bébés « étaient déjà décédés » avant leur arrivée à l’hôpital Laquintinie et qu’une autopsie serait pratiquée pour préciser l’heure du décès. Le ministre donne des « éléments » qui mettent selon lui hors de cause le personnel médical et demande que l’on cesse « de jeter l’anathème sur l’hôpital public ».
Interpellés, Rose Tacke, la femme qui a effectué l’« opération », Luc Monga, l’employé de la morgue, ainsi que l’infirmier en chef et une infirmière ont été libérés mardi. Le collectif d’avocats constitué pour défendre les deux premiers a annoncé continuer le combat pour que plus jamais des innocents ne « meurent dans les hôpitaux publics ».
Par Josiane Kouagheu (contributrice Le Monde Afrique, Douala)