Après des mois de procès, la sentence est tombée. Les dix-sept opposants politiques angolais, poursuivis pour rébellion et tentative de coup d’Etat contre le président José Eduardo dos Santos, ont été condamnés lundi 28 mars à Luanda à des peines de deux à huit ans de prison.
Le rappeur luso-angolais Luaty Beirao, qui avait mené une grève de la faim de trente-six jours en septembre-octobre, a été condamné à cinq ans et demi d’enfermement « pour rébellion contre le président la République, association de malfaiteurs et falsification de documents ». La sentence est plus lourde pour le philosophe et journaliste Domingos da Cruz, présenté par le juge comme le « chef » du groupe : huit ans et demi de prison pour tentative de coup d’Etat et association de malfaiteurs.
Les condamnés, qui demandent le départ du président dos Santos, au pouvoir depuis 1979, ont toujours nié les charges qui pèsent sur eux. Lors de lors arrestation le 20 juin 2015, ils étaient réunis autour du dernier ouvrage de Domingos da Cruz : Outils pour détruire un dictateur et éviter de nouvelles dictatures (éd. Mondo Bantu, 2015). « Un flagrant délit de lecture de bouquin », avaient ironisé les commentateurs.
« Le juge a seulement obéi aux ordres »
Les condamnés présents au tribunal ont accueilli avec calme le verdict, avant d’être conduits en prison sur ordre du juge. En grève de la faim depuis le 10 mars, l’un était en revanche absent pour hospitalisation.
Un avocat représentant dix des accusés, Michel Francisco, a immédiatement annoncé son intention de faire appel du jugement. « La justice n’a pas fait son travail de transparence, car les choses ont été politisées et le juge a seulement obéi aux ordres supérieurs venant du président de la République », a-t-il affirmé à la presse.
Le chef de l’État a annoncé le 11 mars qu’il quitterait la vie politique en 2018, après un règne au cours duquel il a constamment renforcé son pouvoir et durci la répression contre l’opposition.
Le procès des révolutionnaires angolais, grand théâtre de l’absurde
Affiche de campagne électorale à Luanda, en septembre 2012, louant les qualités du président dos Santos, au pouvoir depuis 1979.
Ceci est un article-fleuve sur un procès-fleuve. Pour Le Monde Afrique, Antonio Setas, à Luanda, a suivi jour après jour le théâtre d’une justice angolaise indigne. Les audiences, interrompues pendant les fêtes, doivent reprendre le 25 janvier.
Dix-sept « revus » (révolutionnaires) opposants au président angolais José dos Santos sont jugés depuis le 16 novembre 2015. Arrêtés le 20 juin de la même année, ils ont été pris, selon l’accusation, en « flagrant délit de coup d’Etat ». Leur crime : s’être réunis autour du dernier ouvrage du philosophe et journaliste Domingos da Cruz : Outils pour détruire un dictateur et éviter de nouvelles dictatures (éd. Mondo Bantu, 2015). « Un flagrant délit de lecture de bouquin », ont ironisé les commentateurs.
Leur procès, qui tourne à la mascarade, est en passe de figurer au Guinness des records, se gausse la presse angolaise d’opposition. Censé durer quatre jours, il n’est toujours pas achevé. Le 18 décembre, après cinq semaines d’audiences interminables, le parquet, dans un accès soudain de générosité, a estimé que les dix-sept « revus » pourraient passer Noël chez eux et les a placés en résidence surveillée. Selon les mots de l’opposant historique Rafael Marques, « la justice angolaise ne sait plus sur quel pied danser ».
Les audiences ont repris le 11 janvier, mais, comme seuls deux témoins convoqués sur cinquante se sont présentés, elles ont été une nouvelle fois ajournées au 25 janvier.
Depuis le 23 novembre 2015, dix-sept jeunes “revus” sont jugés à Luanda puis à Benfica pour “flagrant délit de coup d’Etat”. Au dernier rang avec des lunettes, le rappeur militant Luaty Beirao.
Les débats se tiennent à la cour de Benfica, qui rapidement surnommée « théâtre provincial », tant le procès a été mis en scène par le régime à grand renfort de transmissions en direct. La pièce est en effet étonnante et pleine de rebondissements. Voici ses principaux personnages :
Le juge Januario Domingos, magistrat entièrement dévoué aux basses œuvres du régime Dos Santos.
La procureure Isabel Fançony-Nicolau. Elle travaille depuis longtemps en duettiste avec le juge Domingos. Si peu à l’aise dans son rôle qu’elle change constamment de coiffure et force sur le maquillage.
Le philosophe Domingos da Cruz, universitaire. Il est l’auteur de l’essai Outils pour détruire un dictateur et éviter de nouvelles dictatures qui a servi, le 20 juin 2015 de prétexte à l’arrestation des « revus ».
L’accusé-star Luaty Béera, 33 ans, rappeur charismatique. Il a la double nationalité angolaise et portugaise. Sa grève de la faim de trente-six jours, débutée le 30 juin 2015 a alerté l’opinion internationale sur le sort de ses compagnons.
« Revu 1 » Manuel Nito Alves, 19 ans. Malgré son jeune âge, il a un passé conséquent contestataire. Déjà incarcéré dix fois, il avait déjà été emprisonné en 2013 pour avoir imprimé des tee-shirts avec des slogans hostiles à Dos Santos.
« Revu 2 » Mbanza Hamza. Il n’a pas hésité à affirmer devant la cour que « Dos Santos est un dictateur », et que les lois angolaises sont constamment bafouées par « un régime arrogant ».
« Revu 3 » Sedrick de Carvalho, 25 ans. Cet étudiant en droit est journaliste depuis 2011. Il travaille pour l’hebdomadaire d’opposition Folha8. Il a menacé de se suicider s’il n’était pas libéré.
L’avocat Luis do Nascimento, défenseur de dix des « revus ». Manie volontiers l’ironie cinglante. Ses collègues sont, notamment, David Mendes, Zola Bambi ou Walter Tondela.
Le traître Valdemiro da Piedade est un agent du régime ayant infiltré les « revus » et tourné une vidéo que les juges ont tenté d’utiliser comme « preuve irréfutable » de tentative de coup d’Etat. Il a d’abord été présenté par le juge sous le faux nom d’Agathon Dongala Camate.
Le plaisantin Albano Pedro, juriste, a publié sur sa page Facebook une liste de noms susceptibles de former, selon lui, un « gouvernement de salut national ». La plupart des « revus » y avaient un poste ministériel bidon. La blague a été prise très au sérieux par le régime, qui a choisi d’y voir un vrai projet révolutionnaire.
Antonio Setas, contributeur du Monde Afrique à Luanda, a tenu le journal de ce procès interminable qu’il compare à une « partition de house music ».
Lundi 16 novembre 2015 : pieds nus
En ce premier jour du procès, plusieurs des dix-sept accusés se sont présentés pieds nus au tribunal pour protester contre leur détention. Certains avaient écrit des messages sur leur uniforme pénitentiaire. Les journalistes n’ont pas eu le droit d’assister à l’audience et plusieurs observateurs de l’Union européenne, du Portugal et des Etats-Unis ont été interdits d’entrer dans le tribunal, selon des médias angolais.
Pour protester contre leur détention, certains des “revus” sont arrivés pieds nus le premier jour du procès, le 16 novembre 2015.
Les deux premiers jours furent principalement consacrés à la lecture de l’acte d’accusation par le juge Januario Domingos. Ce dernier évoque un « complot formé pour destituer les membres des organes de souveraineté de l’Etat, en particulier le président de la République, surnommé “dictateur”, et de les remplacer par des gens choisis par le groupe ». D’après le magistrat, qui cite le procureur général Joao Maria de Sousa, les dix-sept accusés « avaient l’intention de se diriger vers le palais présidentiel en brûlant des pneus afin d’expulser le président Dos Santos en cas de résistance de celui-ci à la pression des manifestants ».
Quelques “revus” avaient écrit des messages de protestation contre leur détention sur leur uniforme pénitentiaire le premier jour du procès, le 16 novembre 2015.
Mercredi 18 novembre : « théâtre de marionnettes »
La journée a été marquée par l’interrogatoire de Domingos da Cruz, journaliste de l’hebdomadaire d’opposition Folha8, professeur d’université et écrivain, considéré par l’accusation comme le « cerveau » des « revus ». Le parquet a voulu savoir s’il était le « chef » du groupe et quel était son but en écrivant son livre Outils pour détruire un dictateur et éviter de nouvelles dictatures.
L’universitaire a répondu qu’il n’était le chef d’aucun groupe et que son ouvrage n’avait qu’un but académique, ajoutant que toutes les réponses à ces questions se trouvaient dans le livre lui-même. Mécontent, le juge Januario Domingos a aussitôt ordonné la lecture de l’ouvrage dans son intégralité pour confondre son auteur ! L’avocat David Mendes, exprimant son incrédulité, a demandé à s’absenter de la salle, déclarant que le procès n’était qu’un « théâtre de marionnettes ».
Jeudi 19 et vendredi 20 novembre : lecture intégrale
Les audiences du jeudi et du vendredi ont été dédiées à la lecture intégrale du livre de Domingos da Cruz qui compte 183 pages. L’avocat David Mendes a de nouveau quitté la salle, dénonçant une tactique pour allonger le procès, qui fut effectivement prolongé d’une semaine.
Lundi 23 novembre : droit… au silence
La deuxième semaine a débuté par de nouvelles auditions du journaliste Domingos da Cruz qui ont tourné court puisque l’écrivain a fait valoir son « droit au silence », refusant de répondre aux questions du président. L’universitaire opposant était par ailleurs accusé d’avoir reçu des financements de l’étranger, alors qu’aucun virement n’a été constaté sur son compte bancaire. Le président a donc fait procéder au visionnage de trois vidéos susceptibles, selon l’accusation, de prouver que les prévenus étaient effectivement en train de fomenter un coup d’Etat.
L’une des vidéos est censée illustrer de quelle façon se déroulaient les réunions du groupe. La diffusion de ces images, prises en caméra cachée, a entraîné les protestations des avocats des accusés, qui ont exigé de savoir comment ces documents avaient été obtenus et de connaître l’auteur des images, dont le nom ne figure dans aucun procès-verbal. Selon toute vraisemblance, les scènes ont été filmées par une taupe ayant infiltré le groupe des « revus ». Les avocats ont exigé que celui-ci vienne témoigner à la barre.
Les débats de la journée, qui se sont poursuivis pendant sept heures, n’ont été que la répétition monotone des interrogatoires de la semaine précédente. On peut légitimement y voir, de la part de la cour, une tentative d’épuiser physiquement les prévenus, obligés depuis le début des audiences de se lever tous les jours à trois heures du matin. « C’était une simple répétition du premier interrogatoire », a déploré l’un des avocats des accusés, Luis do Nascimento, qui a ajouté : « Ce n’est pas un crime d’avoir des idées, ce n’est pas un crime d’écrire des livres ! Comme nous l’avons maintes fois déclaré, les prévenus n’ont fait qu’exercer leur liberté, inscrite dans la Constitution. »
Mardi 24 novembre : avocat interdit de parole
Contrairement au programme prévu, toute la matinée a été consacrée à la remise en ordre des procès-verbaux des jours précédents. C’est seulement dans le courant de l’après-midi qu’a été auditionné l’accusé Nuno Alvaro Dala, l’universitaire considéré comme l’un des principaux inspirateurs des « revus ».
L’audition a été marquée d’emblée par un incident cocasse. Lorsque Me Walter Tondela a voulu aller saluer son client, il a en été empêché par les gardiens de la prison. Une réaction approuvée par le juge Domingo, qui a estimé que l’avocat n’avait pas le droit de parler à Nuno Alvaro Dala sans son autorisation. Cette atteinte – inédite – aux droits de la défense, a conduit Me Tondela à quitter la salle en signe de protestation.
Les juges ont ensuite posé à Nuno Alvaro Dala les trois mêmes questions qu’aux accusés précédents, à savoir : « Dites-nous qui est le chef du groupe ? », « Aviez-vous l’intention de prendre d’assaut le palais présidentiel ? », « Disposiez-vous de soutiens financiers de l’étranger ? »
L’accusé a gardé le silence, sauf pour déclarer qu’il ne parlerait qu’en présence de son avocat.
Mercredi 25 novembre : le fourgon cellulaire
L’interrogatoire de Nuno Alvaro Dala a continué d’occuper la majeure partie des débats. Celui-ci, en préalable, a déclaré à la cour qu’il n’avait pu avoir, ni lors de son arrestation, ni lors de la détention, connaissance d’un mandat d’arrêt à son encontre. Il a par ailleurs fait savoir que sa famille n’avait jamais été informée de son lieu de détention, avant de balayer les accusations de tentative de coup d’Etat : « Je n’avais pas l’intention de préparer de tels actes. »
L’accusation l’a interrogé sur sa présence sur la liste, publiée comme une blague sur le compte Facebook du juriste Albano Pedro, d’un « gouvernement de salut national » destiné à remplacer le pouvoir en place. Dala a affirmé qu’il avait appris l’existence de cette liste bien après sa publication et que, par ailleurs, elle n’avait aucun lien avec les activités des « revus ».
En ce qui concerne le financement du groupe, il a affirmé qu’il y en avait aucun, puisque les jeunes se contentaient de débattre de la situation politique et sociale de leur pays.
Autre incident notable : David Mendes, le conseil d’Itler Jessy Chiconde, a fait savoir que son client avait été retrouvé inconscient dans le fourgon cellulaire qui le conduisait de la prison au tribunal. « C’est un véhicule complètement fermé, sans air, et il a failli y mourir après y avoir passé une heure », s’est insurgé l’avocat.
Jeudi 26 novembre : public acquis
Un incident a une fois encore perturbé le début de l’audience. Un journaliste à la radio Voz de America (« la voix de l’Amérique »), s’est vu interdire l’entrée du tribunal. Un blocage sans doute liée au post publié par le journaliste sur son compte Facebook où il signale que la salle d’audience est majoritairement occupée par des membres des services secrets angolais.
La cour a ensuite procédé à la fin de l’interrogatoire de Nuno Alvaro Dala. Malgré les protestations de la défense, une vidéo a été diffusée où Domingos da Cruz évoque un complot destiné à chasser du pouvoir le président Dos Santos et son gouvernement. Le procureur a demandé à Dala s’il était présent ce jour-là. Celui-ci a refusé de répondre.
L’après-midi a été entièrement consacrée à l’interrogatoire de Mbanza Hamza. Le « revu » a dû écouter la même partition que ses camarades. Comme eux, il a demandé au juge d’exercer son « droit au silence ». Interrogé sur la façon dont il avait l’intention de combattre la « supposée dictature », Mbanza Hamza a tranquillement déclaré qu’il comptait agir « en plein exercice de (sa) citoyenneté », « refusait de se taire face à l’injustice », « entendait protester contre des lois iniques » et ne s’interdisait pas de dire que « nous vivons sous une dictature ».
Vendredi 27 novembre : « régime arrogant »
Suite et fin de l’interrogatoire de Mbanza Hamza. Lorsque le juge lui a demandé s’il considérait que le président Dos Santos était un dictateur, celui-ci, devant un tribunal embarrassé, a répondu : « Oui, Dos Santos est un dictateur, l’Angola n’est pas une démocratie et les lois y sont constamment bafouées par un régime arrogant. »
La journée s’est achevée par une annonce du juge Domingos. L’auteur des vidéos mettant en cause les 17 « revus », Agathon Dongala Camate, va être convoqué en qualité de témoin. Cette décision fait suite, selon le journal indépendant Rede Angola, à la demande faite à la barre par l’avocat Walter Tondela, réclamant que cet agent du régime, qui avait infiltré les « revus », se présente à l’audience.
Lundi 30 novembre : mensonges et montages
La troisième semaine a commencé par l’interrogatoire d’Inocencio Antonio de Brito. Le juge comme le procureur, décidément fans de musique répétitive, ont tenté de soutirer des preuves de la fameuse « tentative de coup d’Etat » à l’accusé. En vain. Celui-ci est resté la plupart du temps silencieux.
L’après-midi, le juge a fait projeter une vidéo où Luaty Beirao et Domingos da Cruz conversent de démocratie et de dictature. Interrogé sur ce document, Inocencio Antonio de Brito a déclaré qu’il n’avait rien à en dire : « Pour cela, il faudrait que je puisse voir le document d’origine, parce que celui-ci est manifestement un montage. »
Le juge Domingos a annoncé que les débats du lendemain seraient justement consacrés à l’audition de Luaty Beirao.
Mardi 1er décembre : vrais faux documents
Pour Luaty Beirao, le rappeur gréviste de la faim et accusé vedette du procès, le juge avait préparé pas moins de cinquante questions. A toutes celles qui portaient sur ses prétendus penchants violents, il a répondu par la négative. Pour celles d’ordre plus général, le rappeur s’est montré plus prolixe. Son aplomb a pétrifié la cour et a fait le bonheur de ses partisans dans l’assistance.
Le militant-rappeur Luaty Beirao à Luanda en août 2012.
Le juge : « Le président est-il un dictateur ? »
Luaty Beirao : « Oui, c’est un dictateur ! Le président de la République, José Eduardo dos Santos viole constamment la Constitution et la loi. Il est depuis trop longtemps au pouvoir et doit le quitter au plus vite. »
Dans l’après-midi, rien de notable, si ce n’est la présentation de trois faux documents administratifs, dont Luaty Beirao serait, selon la cour, l’auteur. Celui-ci a rétorqué qu’il ne connaissait pas ces documents et qu’il n’avait de ce fait rien à en dire.
Mercredi 2 décembre : « emprisonner 80 % des Angolais »
L’audience a été marquée par le silence de Luaty Beirao et par la présentation d’une nouvelle vidéo, celle-là même qui a servi de base à l’enquête du juge Domingos. Ce film montre un tableau noir couvert de gribouillis dont la plupart sont illisibles, avec des flèches partant dans tous les sens, où apparaissent les mots « presse, pouvoir religieux, manipulation » ainsi que les initiales du président « JES ».
Les images étaient censées apporter des preuves irréfutables des intentions « conspiratives » des « revus ». Pour Luis do Nascimento, avocat de 10 des 17 inculpés, la mise en avant par l’accusation de ce tableau est tout simplement « délirante ». « Je pense, a-t-il argumenté, que si on enregistrait les conversations des gens chez eux, il faudrait emprisonner au bas mot 80 % de la population angolaise… »
Jeudi 3 décembre : délocalisation
L’interrogatoire du « revu » de 22 ans, Arante Kiruvu, étudiant en philosophie, a commencé. Le juge lui a posé la sempiternelle liste de questions, à laquelle, comme la plupart des autres accusés, il n’a pas répondu. Seul fait notable, un incident un journaliste du site Central Angola 7311 a été empêché d’entrer dans la salle par les policiers qui agissaient, ont-ils dit, sur « ordre supérieur ». Ces messieurs attendaient la consigne d’un chef, lequel est resté introuvable…
De fait, depuis le début, les autorités ont hésité sur l’ouverture du procès, la difficulté consistant à le faire couvrir par la presse officielle. Dès le lendemain de la première audience, diplomates et journalistes se sont vus interdire l’entrée de la salle. Face aux protestations, locales mais aussi internationales, le tribunal s’est « délocalisé ». Il a quitté le centre-ville de Luanda pour prendre ses quartiers à la 14e chambre de la Cour provinciale, à Benfica, au sud de la capitale, dans une salle minuscule pouvant à peine accueillir cinquante personnes. Face au tollé général, la cour a dû aménager une salle vidéo où journalistes et observateurs étrangers pourraient suivre les audiences. A condition toutefois qu’ils n’utilisent ni magnétophones, ni caméras. A l’exception de la presse inféodée au régime, dont les honorables représentants pouvaient, eux, exhiber sans crainte leur matériel dernier cri.
Vendredi 4 décembre : témoins avec des faux noms
Témoignage ce matin de l’accusé Evaristo Albano « Bingo-Bingo ». Celui-ci a répondu aux questions des juges en mettant en avant ses convictions pacifistes : « Je défends l’alternance, a-t-il dit, mais seulement par les élections. » On a appris par ailleurs que les « revus » ont écrit une lettre ouverte au président Dos Santos, pour obtenir un procès « digne », et menacé, dans le cas contraire, d’entamer une grève de la faim. Enfin, une des « taupes » ayant filmé secrètement une réunion des « revus » a été formellement identifiée. Le juge a promis qu’il serait entendu comme témoin, mais sous un faux nom !
« Bingo-Bingo » porte désormais des lunettes, à l’instar de trois autres accusés, Manuel Nito Alves, Arante Kivuvu et Nuno Alvaro Dala. Ils ont été maintenus pendant plusieurs semaines dans des cellules où l’obscurité était totale et, depuis leur retour à la lumière, souffrent de graves troubles de la vue. Luaty Beirao a lui aussi été placé un mois dans une cellule sans lumière pour avoir protesté contre les conditions de détention infligées à ses camarades. Ce type de torture était déjà utilisé contre les prisonniers politiques portugais avant la chute de la dictature en 1974.
Du vendredi 5 au lundi 14 décembre : répétitions
On se demande si on assiste à un procès ou à des répétitions de théâtre. Les juges reprennent inlassablement la même litanie : lecture du casier judiciaire de l’accusé, suivie de la même liste de questions que le public, à force, pourrait reprendre en chœur. Pour ce qui est des vidéos « frelatées », qui, selon la défense, ne servent qu’à « laver le cerveau des Angolais mal informés », les accusés ont suivi les conseils de leurs avocats en ne prononçant par un mot à leur sujet. Ces pièces n’ont en effet, selon la défense, aucune valeur juridique.
La monotonie du procès a été rompue deux fois. Le premier coup d’éclat a eu lieu lors de l’audience du 8 décembre, avec l’interrogatoire de Sedrick de Carvalho, journaliste à l’hebdomadaire d’opposition Folha8. Questionné par le juge sur son identité et son casier judiciaire, il a déclaré qu’il répondrait seulement sur les faits liés à la présente affaire. Cette réponse a fait sortir le juge de ses gonds : « Vous n’avez pas de leçon à me donner, s’est-il emporté. Allez plutôt enseigner vos théories aux détenus en cellule ! »
Sedrick de Carvalho a ensuite nié être activiste et a signalé au magistrat qu’il avait seulement couvert l’événement en sa qualité de journaliste. Quand le juge lui a demandé la raison de sa présence lors de la réunion, alors qu’il prétendait ne pas faire partie du groupe, l’accusé a répondu tout à trac : « Votre Honneur, à ma connaissance, il n’y a pas de loi interdisant aux citoyens de participer à des débats. »
Devant l’insistance du juge qui voulait connaître le contenu des discussions, l’accusé est resté de marbre : « Je ne vois pas la pertinence de la question, car un débat n’est pas un crime. » Sedrick de Carvalho a encore fait monter la tension en publiant, le 11 décembre, une lettre ouverte à plusieurs personnalités du régime, dont le président Dos Santos, où il dit envisager de se suicider s’il n’est pas libéré, puisque son seul crime est d’avoir assisté à un débat.
La veille, le 10 décembre, la télévision publique angolaise a diffusé un document censé apporter « toute la vérité » sur l’affaire, produit par la police secrète et filmé le 23 mai 2015 lors d’une conférence de Domingos da Cruz. On y voit Manuel Nito Alves, tenir des propos hostiles à Dos Santos. Problème : il s’est avéré que le « revu » n’était pas en Angola à cette date… Il s’agissait d’un montage avec des images datant de 2014.
Pour railler ce type de manipulation, un post circule désormais sur Facebook où l’on voit et entend le président Dos Santos en plein discours, en train de débiter des horreurs sur son parti, le MPLA, et aussi sur lui-même… Il y déclare notamment que ses propres militants sont des voleurs, des corrompus et des assassins, dont le seul problème est de parvenir à dépenser tout l’argent qu’ils ont volé !
Mercredi 15 décembre : coup de théâtre
Un autre coup de théâtre a complètement changé la physionomie du procès. Le 15 décembre, la représentante du parquet, Isabel Fançony-Nicolau, a fait savoir qu’il serait bon que les « revus » passent les fêtes de Noël chez eux, sous le régime de la « prison domiciliaire ». La procureure avait pour cette annonce adopter une coiffure étrange cachant son visage, comme si elle voulait qu’on ne la reconnaisse pas.
L’avocat Davis Mendes a alors fait part de sa surprise devant cette soudaine générosité. Une miséricorde qui reste du genre « musclé ». Si les accusés ont pu regagner leur domicile, ils sont sous la garde, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de 150 policiers d’élite. Leur cadeau de Noël pourrait venir au printemps 2016 : l’ONG londonienne Index on Censorship a inscrit les « revus » emprisonnés sur sa liste de nominés pour son prix de la liberté d’expression, qui sera décerné en avril. En 2015, l’opposant angolais historique Rafael Marques avait remporté le prix dans la catégorie « journaliste ».
Lundi 11 janvier 2016 : l’appel au pardon
Après la pause des fêtes, le procès a repris le 11 janvier pour se clore le 14 janvier. Devaient notamment être entendus le chef du Service de renseignement et de la sécurité militaire et des forces armées angolaises (FAA), Antonio José Maria, et deux lieutenants-colonels de la FAA, ainsi que Valdemiro da Piedade et Domingos Francisco, les deux « taupes » ayant tourné les vidéos utilisées par les procureurs comme preuve contre les 17 accusés. Le premier, Valdemiro da Piedade, a d’abord été présenté sous le faux nom d’Agathon Dongala Camate. Les agents du régime ont reçu des menaces de mort dès que leur nom a été rendu public, si bien que les « revus » ont appelé au pardon et à la réconciliation avec ceux qui les avaient infiltrés et trahis.
Sur les cinquante personnes convoquées à la barre, principalement des membres du pseudo « gouvernement de salut national » publié par le juriste comme une blague sur son compte Facebook, deux seulement s’étaient présentées à l’audience le 11 janvier. Le lendemain, aucune… Le juge Domingos a donc décidé d’ajourner le procès, qui doit reprendre le 25 janvier. Normalement. Car, comme on a pu le constater, la justice angolaise, pas très à cheval sur le respect des procédures, est d’une richesse infinie en matière de contretemps.
L’opposant Rafael Marques, lui, a publié sur son site Maka Angola une conclusion provisoire à ces premières semaines de procès, affirmant que le régime s’était engouffré dans une impasse :
« Ayant pris la décision de sortir les “revus” de prison et les mettre en résidence surveillée, on pourra dire, en citant Churchill, que cette mesure est la fin d’un début et le début d’une fin. Ce procès a mis en lumière un régime traqué et perdu. Etant donné l’ineptie juridique des acolytes de JES qui ont renversé toutes les barrières juridiques, la question qui se pose est (…) : il va faire quoi, maintenant, José Eduardo Dos Santos ? La “prison domiciliaire”, en prétendant prouver la clémence de la justice angolaise, montre juste l’inverse : les décisions sont [ici] sans fondement légal et totalement livrées à l’arbitraire. »