L’élection d’un président en Centrafrique, Faustin-Archange Touadéra, investi ce mercredi 30 mars, ouvre une nouvelle page de l’histoire de ce pays tourmenté. Touadéra a pris de court les observateurs du pays en étant élu aux dépens des grands favoris du scrutin. La France se prend à rêver d’un désengagement militaire.
Les deux années de transition sont terminées en République centrafricaine (RCA). Mercredi 30 mars 2016, Faustin-Archange Touadéra sera officiellement le nouveau président du pays. Après un scrutin riche en coups de théâtre, une nouvelle ère s’ouvre. Dans un pays où tout est à reconstruire, où le fragile équilibre sécuritaire repose très largement sur les troupes internationales de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (Minusca), la tâche s’avère titanesque.
Pourtant pas inconnu de la scène politique centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra n’était pas pressenti pour s’asseoir sur le fauteuil présidentiel. Les pronostics prévoyaient un deuxième tour opposant Martin Ziguélé, visiteur assidu du bureau Afrique de l’Élysée, et Anicet Dologuélé, affectueusement surnommé « Monsieur 10 % ». « Touadéra, nous ne l’avions vraiment pas vu venir », confie un institutionnel français bien au fait des affaires centrafricaines.
Depuis le coup d’État d’août 2013, la Centrafrique, grand pays enclavé que seuls les drames et scandales politico-financiers semblent pouvoir faire sortir de l’oubli, a de nouveau connu l’enfer. Plus de trente années après les diamants de Bokassa, à peine dix ans après la deuxième guerre civile du pays, la Centrafrique a de nouveau fait la une des journaux. Pays pauvre de tout, sauf de ses ressources en eau, où les fantasmes sur les richesses de son sous-sol ont plus souvent contribué à alimenter les colonnes des journaux que les caisses de l’État. C’est dire si l’arrivée au pouvoir de Touadéra ne peut être qu’une agréable surprise dans ce pays où le pire n’est malheureusement jamais surprenant. « Dans ce contexte très particulier, je crois que son élection n’est finalement pas une mauvaise chose », finit par reconnaître un ancien soutien de Dologuélé.
Les guerres politiques intestines ont favorisé le dérapage sécuritaire. Depuis son exil, l’ancien président, François Bozizé, n’a eu de cesse de mettre de l’huile sur le feu en utilisant sa popularité pour exalter les groupes anti-balaka. En face, la Séléka, qui s’était unie de manière éphémère pour permettre le putsch de Djotodia, a très vite éclaté en petits groupes. Certains sont sous la coupe du président tchadien, quand d’autres sont devenus de simples bandits ou autres coupeurs de routes. Dans ce marigot politique où les personnages n’ont que très peu évolué ces quinze dernières années, Faustin-Archange Touadéra a été plus fort que les autres. Premier ministre de l’ancien président François Bozizé de 2008 à 2013, entre deux guerres civiles, il ne se distingue alors pas par son zèle. « Même s’il a été premier ministre, il n’a pas l’image de quelqu’un du système centrafricain », explique une source des Nations unies. Fin tacticien, il reste discret, se débrouille pour que les fonctionnaires soient payés, véritable exploit dans ce pays. Lors des élections, il surfe sur l’éclatement de son ancien camp. Les cadres du KNK, le parti de François Bozizé, pestent contre leur chef en exil qui annonce son soutien à Anicet Dologuélé, lui-même très généreusement financé par le président congolais Denis Sassou-Nguesso. Touadéra prend alors langue avec Francis Bozizé, fils de l’ancien président, et accentue la rupture de ce camp. Une fois parvenu au second tour, beaucoup plus consensuel et libre de tout étiquette, il est élu sans difficulté avec un résultat officiel de 62,7 %. « Les résultats ne sont pas contestables parce que au final tout le monde a fraudé, ça fait une démocratie arrangée, dirons-nous », décrypte Florent Geel, de la FIDH.
Faustin-Archange Touadéra vote pour le deuxième tour des élections, le 14 février 2016 à Bangui. © Reuters
La force du nouveau président a été de ne pas apparaître comme « le candidat de la France ». Laissant Martin Ziguélé endosser seul ce rôle dans l’opinion publique, il a presque fait oublier qu’il avait lui-même des liens plus qu’étroits avec la France. En 2013, lorsqu’il est réfugié dans le compound des Nations unies, c’est grâce à l’action de l’ambassade française à Bangui qu’il peut rejoindre la France. Et lorsqu’il souhaite retourner au pays pour les besoins de sa campagne, c’est encore l’ambassade qui tire les bonnes ficelles politiques pour lui permettre de rentrer. Plus récemment, mi-mars, lors de sa visite privée à Paris, le nouveau président a vu Jean-Marc Ayrault. Pour autant, il sait se montrer plus ferme et indépendant. Durant cette même visite, il a envoyé un signal clair aux éventuels hommes d’affaires et intermédiaires en tous genres attirés par les opportunités qu’annonce une nouvelle équipe au pouvoir : « Il a refusé de voir les représentants des sociétés qui ont fait le pied de grue pour le voir. Il les appelle les “marchands de rêves”. » Un premier signe d’indépendance et de rupture qui devra être confirmé par la formation de son gouvernement. Va-t-il rappeler tous les dinosaures de la politique centrafricaine ou essaiera-t-il d’engager un lent processus de renouvellement des élites politiques locales ? « Maintenant, c’est un moment crucial qui s’annonce, nous allons beaucoup apprendre sur lui grâce à l’entourage qu’il va se choisir. La fonction d’entourage de président est rémunératrice et prestigieuse, ce sont des gens qui ne vivent que de ça, ils sont incontournables », confie à Mediapart notre source aux Nations unies.
La présence militaire française par l’opération Sangaris, bien que plus visible que les autres domaines d’implication de Paris, n’est pas la seule. « Nos conseillers techniques ont fait du très bon boulot dans l’accompagnement de la transition », affirme à Mediapart une source bien informée. Et si le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a pris beaucoup de place, c’est aussi parce que Laurent Fabius ne s’est pas passionné pour les sujets africains. L’effectif de Sangaris est monté jusqu’à 2 000 hommes avec un coût, au pic de l’intervention tricolore, de 800 000 euros par jour pour cette force militaire française. Ces dépenses sont considérées comme un poids mort, presque une anomalie, dans le déploiement des troupes avec le dispositif Barkhane. C’est au Sahel que la France veut jouer un rôle sécuritaire, pas tant au sud. « Fabius et Le Drian ont mis la pression pour que les élections arrivent au plus vite », résume la même source.
Avant de poursuivre son désengagement, Paris cherchait un accomplissement politique, et l’élection presque démocratique d’un président vient récompenser plus de deux années d’intenses tractations. L’Élysée est pourtant passé à côté de l’occasion de récolter les fruits de ce nouvel espoir en RCA. La conseillère Afrique de François Hollande a eu beau essayer de conserver la date du 25 mars pour la cérémonie – afin de permettre au président français de s’y rendre –, rien n’y a fait. C’est finalement Jean-Marc Ayrault qui représentera la France dans ce pays d’où l’armée française se désengage. « Le retrait des forces françaises risque d’être dommageable pour l’efficacité des interventions, le retrait progressif est plus prudent, analyse Florent Geel. L’ONU, avec ses règles et ses normes, ses cadres très stricts, ça pourrait marcher. » La Centrafrique panse ses plaies et l’équilibre reste fragile. Mais pour la première fois depuis près de trois ans, la politique a une chance de reprendre ses droits.
Par Clément Fayol, Médiapart