Dans un entretien accordé à Prince Nguimbous, Le Jour
L’écrivain et homme politique a repris ses activités littéraires au sortir de la prison. Il nous parle de ses conditions de détention et de ses projets politiques.
Comment allez-vous depuis votre sortie de prison le 28 avril dernier?
Je vais bien d’autant que je ne me trouve plus à Kondengui. J’ai retrouvé la liberté de mouvement. Qui je suis ? Une personne qui se considère comme un intellectuel doublé d’un politique.
A quoi s’occupe Enoh Meyomesse depuis sa sortie de prison?
A redécouvrir le Cameroun et je constate qu’en trois ans, celui-ci a changé dans certains aspects, et nullement dans d’autres. Je continue naturellement à écrire des livres, plus précisément à achever certains que j’ai commencés à Kondengui.
Dans quelles conditions avez-vous été libéré la semaine dernière?
La presse en a longuement parlé. J’ai été libéré à la suite de la publication de ma seconde lettre ouverte au Président de la République. Celle-ci a servi de « débloqueur » d’une situation qui était en train de s’enliser. Mes adversaires étaient à la recherche d’un nouveau motif pour me garder en prison, pour m’empêcher de sortir, exactement comme d’autres l’avaient fait pour Atangana Mebara. C’est ce qui explique que 10 jours après le verdict, les « résultats d’audience » n’étaient toujours pas parvenus à Kondengui, et que lundi le 27 avril au matin, après que la presse ait relayé ma lettre ouverte, et que bien mieux, Rfi et Bbc soient également entrés dans la danse, la panique s’est installée dans leurs rangs. Le Cameroun était en train d’être une fois de plus (de trop) sali par ma détention. Le procureur général a aussitôt appelé le régisseur, c’est lui-même qui me l’a révélé, et à 11 h, soit tout juste deux heures de temps après, les fameux « résultats d’audience », sont arrivés au pas de course… La suite, vous la connaissez déjà. Vers 15 h, j’ai été littéralement expulsé de la prison, le régisseur en personne veillait lui-même à ce que je sois mis dehors, il se tenait dans la cour pour s’assurer que je suis déjà parti…
Parlez–nous de vos conditions de détention en deux temps, d’abord votre garde à vue, puis votre mise sous mandat de dépôt à la prison centrale de Yaoundé ?
Elles ont été exécrables à la gendarmerie, où j’ai été maintenu dans le noir total pendant 30 jours, ce qui a aggravé l’état déjà mauvais de ma vue, au point où j’ai dû changer de lunettes une fois transféré à Kondengui. Pendant ces 30 jours, je dormais sur le sol nu, sans le moindre drap ni natte, rien. Le préfet du Lom et Djérem à Bertoua, a signé un arrêté de garde à vue administrative plus de 20 jours après que je sois transféré de nuit, à la légion de gendarmerie de cette ville sur ordre du Mindef. Dans ce document, il a spécifié que je ne sois pas nourri. Autrement dit, il m’a condamné à mourir de disette comme Sékou Touré l’avait fait pour Diallo Telli, le premier secrétaire général de l’Oua, après l’avoir jeté en prison.
Ce préfet s’appelait Peter Mbu. J’ai appris qu’il vient de prendre sa retraite. Enfin, pendant ces 30 jours dans le noir, je n’ai pu prendre que tout juste trois bains, naturellement en soudoyant les gendarmes. Mon corps dégageait une odeur épouvantable. C’était terrible. Lorsque, après que la légion de gendarmerie de Bertoua m’ait présenté, sur ordre du Mindef, à la presse comme un bandit, moi-même portant en mains une pancarte sur laquelle était inscrit mon nom accompagné de la mention « vol aggravé », j’ai été transféré à Yaoundé, ça été un immense soulagement pour moi. Pendant le trajet de Bertoua à Yaoundé, quelle joie j’ai ressenti de revenir à la lumière, même si celle-ci m’éblouissait, mes yeux étant déjà habitués au noir. J’étais également content de quitter cette cellule infeste d’où j’entendais, tétanisé, les hurlements des gardés à vue que bastonnaient à la machette, à la matraque, à la ceinture, les gendarmes de la légion de gendarmerie.
C’était terrifiant d’entendre de grandes personnes pleurer de douleur au point de tomber aphone et de ne plus se mettre à émettre que des sortes de vagissements. C’est inhumain ce qui se passe dans les gendarmeries camerounaises. Arrivé à Kondengui, c’était pour moi une sorte de retour à la vie. J’y ai trouvé des gens en train de jouer au football, de rigoler, de faire plein de choses. Je me suis mis à redécouvrir la pureté de l’air, il n’y avait plus l’odeur pestilentielle de ma cellule à Bertoua où je cohabitais avec mes excréments, la beauté du soleil, les courants d’air qui vous lèchent tendrement le visage. Au fond de ma cellule, tout cela n’existait pas. Le lendemain, l’administration de la prison m’a appelé pour m’informer qu’elle allait me fixer des chaines aux pieds. Mais, aussitôt, l’adjoint au régisseur lorsqu’il m’a vu, s’est exclamé : « mais ce monsieur n’a rien d’un braqueur, je ne saurais lui mettre des chaînes aux pieds…. »
Par la suite, il m’a été révélé que des consignes avaient été laissées par un personnage haut placé de la République pour que, d’une part il me soit fixé des chaînes aux pieds, d’autre part que je sois expédié au terrible quartier du « kosovo » à Kondengui, où des centaines de détenus dorment en plein air. Les premiers jours, les autres détenus me regardaient de travers. Ils estimaient que je souillais, en quelque sorte le métier de braqueur. Comment un vieillard comme moi, pouvait- il entreprendre de le faire ? Puis, lorsque la presse a commencé à évoquer mon affaire, le regard des gens a commencé à changer. D’hostile, il est rapidement devenu amical, fraternel, les gens me prenaient car ils avaient rapidement compris que j’étais victime d’une machination ourdie en haut lieu. Voilà comment, progressivement j’ai acquis de la notoriété là-bas, les gens ayant appris que j’étais écrivain, et que j’avais fait mes études en France, « dans la même école que Sarkozy », aimaient-ils préciser. A la fin, j’étais devenu une star à Kondengui.
En tant qu’homme politique quelles leçons avez-vous tirées de votre séjour en prison?
La prison pour un homme politique, lorsqu’elle découle de ses opinions, n’est rien d’autre qu’un stimulant. Elle m’a stimulé. Permettez-moi d’évoquer les noms des hommes politiques qui ont séjourné en prison et qui ont changé le destin de leur pays : Jomo Kenyatta, 10 ans de prison, il a obtenu l’indépendance du Kenya ; Habib Bourguiba, 10 ans de prison, il a obtenu l’indépendance de la Tunisie ; Mugabe, 10 ans de prison, il a obtenu l’indépendance du Zimbabwe ; Ben Bella, 6 ans de prison, il a obtenu l’indépendance de l’Algérie ; Kwamé Nkrumah, 3 ans de prison, il a obtenu l’indépendance du Ghana, Sékou Touré, 3 ans de prison, il a obtenu l’indépendance de la Guinée, Agostino Neto, 3 ans de prison, etc., etc., etc. On ne parle plus de Mandela. Martin Luther King a été en prison à plusieurs reprises, Malcolm X est devenu un leader afroaméricain au sortir de la prison, etc. Ceux qui m’ont jeté en prison ne sont pas près d’imaginer le bien qu’ils m’ont fait, on n’a jamais autant parlé de moi. Rfi a évoqué mon affaire plus de 17 fois. Dans le même temps, il y a des ministres camerounais dont le nom n’y a jamais été prononcé… Maintenant, lorsque je passe dans la rue, des gens que je ne connais pas me saluent chaleureusement, m’exhortent de ne pas reculer. Donc, enseignement, la prison est un formidable booster pour l’audience d’un politicien.
Avez-vous toujours des projets politiques après quelques années passées derrière les barreaux?
Naturellement. J’ai la tête qui fourmille d’idées sur la manière de relancer la lutte pour la démocratie au Cameroun, car elle est en ce moment terrassée par ceux qui n’en voulaient pas hier. Elle est totalement caricaturée. Elle est devenue une monumentale parodie.
Pourquoi vous continuez le combat judiciaire alors que vous êtes déjà libre?
Pour être totalement blanchi, évidemment, mais aussi pour mettre à nu les irrégularités de la justice camerounaise. Il faut continuer à la dénoncer, à dénoncer les mauvais juges, à les mettre à nu. Comment cela se peut-il, par exemple, qu’au tribunal militaire j’aie été déclaré coupable de « complicité de vol aggravé et de vente illégale d’or » et que le ministère public, lui-même, déclare qu’il n’en est plus rien, mais décide de changer d’accusation, alors qu’il n’a pas fait appel ? Il faut dénoncer cela. Il faut dénoncer cette mauvaise et très dangereuse jurisprudence.
Pourquoi vous continuez le combat judiciaire alors que vous êtes déjà libre?
Pour être totalement blanchi, évidemment, mais aussi pour mettre à nu les irrégularités de la justice camerounaise. Il faut continuer à la dénoncer, à dénoncer les mauvais juges, à les mettre à nu. Comment cela se peut-il, par exemple, qu’au tribunal militaire j’aie été déclaré coupable de « complicité de vol aggravé et de vente illégale d’or » et que le ministère public, lui-même, déclare qu’il n’en est plus rien, mais décide de changer d’accusation, alors qu’il n’a pas fait appel ? Il faut dénoncer cela. Il faut dénoncer cette mauvaise et très dangereuse jurisprudence qui est en train de vouloir voir le jour-là. Nous ne devons pas accepter cela. Non ! Par ailleurs, il faut se battre pour l’abolition de la justice militaire au Cameroun. Elle n’est pas une justice. Sur le plan mondial, le Cameroun est demeuré ainsi un des derniers pays à la pratiquer. Partout elle a été abolie. Il n’est pas normal que des militaires jugent des civils. Non ! C’est plutôt le contraire qui doit se produire, parce que les civils sont au-dessus de tous les militaires, y compris les généraux.
Comment votre vie était–elle organisée à Kondengui?
Je me levais tous les matins pour me rendre à la bibliothèque où je passais mes journées. J’en ressortais vers 16 heures, un peu avant l’heure du décompte des prisonniers. Du sport je n’en faisais pas beaucoup, tout juste de la marche tous les matins. En sortant du lit, je prenais mon petit déjeuner dans une des cafétérias de la prison, vous savez qu’il existe toutes sortes de commerces là-bas. Après quoi je suivais la revue de la presse de Canal 2 pour ne pas me retrouver déconnecté du monde. Je cassais la croûte à midi auprès des dames en provenance de l’extérieur qui viennent vendre de la nourriture. Le soir je mangeais de nouveau à la cafétéria de mon quartier (Kondengui est divisé en quartiers). En prison, j’ai été consacré Ancien de l’Eglise, car je suis protestant. Cela m’a permis de me mettre à l’étude de la Bible, et j’y ai énormément appris. J’avais eu jusque-là une relation « intellectuelle » avec Dieu, et une fois consacré à cette charge, je suis entré dans la Bible elle-même, et ma vision du monde a considérablement changé. J’ai même été un moment athée, mais, ainsi est le cheminement classique d’un intellectuel, ne jamais accepter d’emblée quelque chose.
Pour ce qui est des livres, j’en ai écrits plusieurs : cinq romans, une vingtaine d’essais politiques, trois pièces de théâtre, six recueils de poésie, et, j’ai repris le premier tome de mon livre d’histoire du Cameroun. En prison j’ai eu le bonheur de remporter un prix littéraire, en Hollande, et mon recueil de poésie, «Poème carcéral», a été traduit en Anglais, sous le titre «Jail verses», et en Allemand sous un titre que j’ai de la peine à retenir, car j’ai plutôt étudié l’Espagnol au lycée. Par ailleurs, j’ai signé un contrat d’édition avec un éditeur parisien pour cinq de mes livres. Ils vont paraître d’ici le mois de juin. Enfin, depuis ma sortie, j’ai déjà reçu trois invitations pour l’Europe, afin d’y donner des conférences.
Quels rapports avez-vous eus avec certains prisonniers Vip?
Très bons. Nous blaguions beaucoup, nous avons d’emblée sympathisé, c’était bien. Le Pr Mendo Ze m’avait interrogé au Baccalauréat en Français, ce qui fait que je partais régulièrement causer avec lui. C’est un personnage très intéressant. Il est très cultivé. De même, je causais régulièrement avec tous les anciens ministres et Dg qui se trouvent à Kondengui. J’ai découvert qu’ils étaient pour la plupart de compagnie agréable.
Le tribunal militaire de Yaoundé vous a condamné en 2012, pour vol aggravé et vente illégale d’or. Une décision que vous avez attaquée. Qu’est-ce qui explique pour que la Cour d’appel du Centre vous ait condamné plutôt pour recel aggravé ?
De mon point de vue, il fallait bien trouver un motif pour ne pas totalement ridiculiser les juges du Tribunal Militaire qui étaient au garde à vous devant leur ministre. Mais, il n’y a pas de problème, je suis monté en cassation, à la Cour Suprême. On verra là-bas.
Vous êtes écrivain et vous faites de la politique, laquelle des deux activités est prépondérante chez vous Avez-vous toujours les projets politiques malgré le fait que vous?
Naturellement, j’ai deux passions dans ma vie, la littérature, en premier, et la politique en second. Donc, je n’abandonnerai jamais la politique. Toutefois, je dois ajouter que je considère plus la littérature que la politique, pour une raison fort simple, ma profonde conviction est que les écrivains marquent davantage le temps que les politiques. Aujourd’hui, tout le monde parle de Platon, Aristote, etc., mais qui se souvient simplement d’un seul des ministres de leur époque ? Tout le monde parle de Victor Hugo, mais sait-on qui était ministre en France à son époque ? Karl Marx est mondialement connu, mais qui dirigeait la Prusse (Allemagne) à son époque ? Donc, moi je place la littérature avant la politique.
Pourquoi continuez-vous à penser que ce sont vos frères du Sud qui vous ont mis dans les difficultés?
Parce que j’en ai la preuve, tout simplement. Je n’affabule pas. J’aurai l’occasion d’y revenir en d’autres circonstances. Mais, d’ores et déjà, il me plait de vous annoncer que je publie ces jours-ci un livre que j’ai intitulé « J’accuse le « G Bulu » de tes malheurs au Cameroun ». J’y dénonce abondamment ces petits individus originaires du Sud qui causent tant de mal, par leur étroitesse d’esprit, au Cameroun.
© Le Jour : Propos recueillis par Prince Nguimbous