Enfin un intellectuel de premier plan, écrivain unanimement salué par ses pairs, décide d’interpeller directement le Chef de l’État Français sur sa part indéniable de responsabilité dans le drame encours au Congo Brazzaville; pays d’à peine 05 millions d’habitants et dont la dictature tire une part non négligeable de sa crédibilité – du moins ce qu’il lui en reste – de l’approbation du tripatouillage de la constitution qui a conduit à cette parodie d’élection présidentielle par le Président Hollande.
Dans cette Afrique centrale et équatoriale devenue l’épicentre honteux de l’obscurantisme politique en Afrique, la puissance tutélaire qu’est la France ne pourra plus longtemps s’abriter derrière un silence gêné, donc coupable, pour ne surtout pas prendre une position officielle claire, compromettre ainsi sa relation souvent personnelle avec des despotes qu’elle a parfois contribué à maintenir au pouvoir; alors même que ces derniers éliminent systématiquement leurs principaux concurrents politiques soit par des cabales judiciaires, soit par l’invalidation des candidatures par des cours constitutionnelles à leur botte, soit carrément par des meurtres et assassinats sordides.
Il est temps de leur dire: “Messieurs Les Présidents à vie, trop c’est trop”!!!
C’est aussi le devoir d’illustres bi-nationaux Franco-Africains d’en appeler la France à sa responsabilité, et de dire que cet état de fait ne saurait plus être accepté en France comme en Afrique au 21éme siècle.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
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Lettre ouverte à François Hollande, par Alain Mabanckou.
Monsieur le Président,
Les Congolais de l’étranger et ceux qui luttent nuit et jour au pays ont constaté que vous observez un long silence quant à l’issue de l’élection présidentielle truquée qui s’est déroulée en mars dernier au Congo-Brazzaville et qui a injustement porté Denis Sassou-Nguesso au pouvoir. Il exerce un pouvoir sans partage depuis trois décennies avec son clan. La fraude l’aura une fois de plus emporté sur la transparence, et ceci aux yeux des nations prétendument démocratiques comme celle que vous dirigez par la volonté des Français. Le nom de mon pays d’origine est désormais inscrit en rouge sur le tableau noir du déshonneur des républiques bananières, à côté de la Corée du Nord. Pendant ce temps, Sassou-Nguesso et ses hommes de mains multiplient les arrestations arbitraires, allant jusqu’à cerner le domicile de l’opposant Jean-Marie Mokoko sans lui donner la possibilité de se ravitailler.
Faut-il rappeler, Monsieur le Président, que ces tyrans africains ont le plus souvent survécu grâce à la protection de la France, illustrant au passage combien ils ne peuvent vivre et prospérer sans l’assentiment de l’ancienne puissance coloniale? Ils ressemblent de ce fait à des ogres créés de toutes pièces par la France, et leur ultime couronnement passe par la montée des marches de l’Elysée et la poignée de main dont ils bénéficieraient du président de la République française. Cette dernière image, s’il arrivait qu’elle se concrétise sous votre règne, pourrait être celle qui ternirait irrémédiablement l’ensemble de votre quinquennat et ruinerait par voie de conséquence vos ambitions de solliciter un second mandat auprès du peuple français.
Si Denis Sassou-Nguesso peut se réjouir pour l’heure d’avoir bâillonné le peuple congolais, de l’écraser continuellement selon les caprices de son pouvoir militaire, il demeurera à jamais un putschiste à la fois amer et frustré tant que la France ne lui accordera pas les applaudissements qu’il attend d’elle, dans la solitude d’un pouvoir dérobé au peuple devant une communauté internationale indifférente. Et c’est peut-être là que votre silence pourrait être interprété comme un assentiment: «Quand on refuse on dit non», nous rappelle le grand écrivain Ahmadou Kourouma. Vous n’avez pas dit non. Vous n’avez pas dit oui. Certes, j’aurais pu me réjouir de votre position actuelle, mais je crains qu’avec le temps elle ne se transforme en une validation implicite qui engraisserait les ambitions démesurées de cet autocrate au point de lui donner des habits neufs qui lui permettraient d’asseoir ce qu’il appelle de manière éhontée «la nouvelle république».
Il vous reste donc, Monsieur le Président, à nous démontrer par une attitude claire et sans ambiguïté que la France n’est pas le sponsor officieux de ces personnages qui se trompent de siècle et de temps, et qui sont la cause directe de la régression du continent africain.
Je suis conscient que la France a des intérêts économiques au Congo-Brazzaville et que ceux-ci orientent forcément la politique africaine française. En même temps cette prééminence des intérêts économiques est le siège de l’hypocrisie qui a jusqu’alors pris en otage les peuples de mon continent. Faut-il enfin rappeler que ces mêmes Africains n’avaient pas hésité à sacrifier leur vie pour que la France soit ce qu’elle est aujourd’hui: un pays où seul le peuple et non un seul homme décide du destin de la Nation?
Monsieur le Président, nous autres «Noirs de France», quelles que soient nos origines ou nos nationalités, vous regardons. Et, vous le savez, nous sommes nombreux à voter en France et à contribuer à son destin. Il est évident que cette tragédie qui ennuage le Congo-Brazzaville sera dans nos esprits lorsque nous déposerons nos bulletins dans les urnes pour la prochaine élection présidentielle française. Il est encore temps de rendre au peuple congolais sa dignité, de dire clairement, comme les Américains, que la France ne reconnaît pas le pouvoir de Sassou-Nguesso issu d’un putsch électoral et que le gouvernement de façade qui «dirige» aujourd’hui le Congo est aussi illégitime que la mascarade électorale qui a porté son leader au pouvoir.
Alain Mabanckou
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Histoire : quand l’Afrique sauvait la France
Dans son ouvrage “La France libre fut africaine”, l’historien Eric Jennings est revenu sur le rôle déterminant des 17 013 Africains recrutés par la par la France libre entre 1940 et 1944. Extraits
“Avec quelle rage l’anti-gaullisme de gauche et l’anti-gaullisme de droite, les communistes et les vichystes, s’acharnent à propager la légende de la résistance de Londres ! […] Aux uns comme aux autres, j’oppose la vérité : la France libre fut africaine.” Reprenant à son compte le célèbre discours de l’ethnologue Jacques Soustelle, l’historien canadien Eric Jennings entend, dans La France libre fut africaine (Perrin), procéder à un véritable recadrage historique. Car si l’on évoque souvent les fameux tirailleurs d’Afrique occidentale et les troupes maghrébines entrées en guerre à partir de 1943, l’apport de l’AEF et du Cameroun, semble, quant à lui, être tombé aux oubliettes de l’histoire. Or, la France libre était-elle seulement londonienne ? Elle s’étendait, en réalité de la frontière tchado-libyenne au fleuve Congo, rappelle l’auteur.
À l’été 1943, les Forces françaises libres comptent ainsi environ 70 000 âmes : 39 000 citoyens français, et 30 000 coloniaux. Qu’aurait fait le général de Gaulle sans ces vastes étendues de territoire qui lui offraient à la fois souveraineté et légitimité ? Quelle reconnaissance internationale aurait-il eue ? Et comment se serait-il approvisionné en hommes et en matières premières ? Ce sont bel et bien des dizaines de milliers de Tchadiens, Congolais, Camerounais, Centrafricains, Gabonais qui portèrent le fer contre l’Axe dès le début de l’année 1941, alors que la métropole assistait, impuissante, à sa propre agonie. Eric Jennings a mené l’enquête pendant sept ans, aussi bien aux archives nationales du Congo, à Brazzaville, qu’à celles du Cameroun à Yaoundé. À la recherche de témoignages, de chiffres, de registres, qui prouvent à quel point l’Afrique et, à plus forte raison, les Africains furent impliqués dans l’effort de guerre et les batailles victorieuses de la France libre. Le résultat démonte le mythe d’une résistance essentiellement londonienne et métropolitaine. Passionnant.
Extraits
Du jour au lendemain, Brazzaville est consommée par une frénésie martiale. Trois mille Africains et Africaines sont embauchés puis formés au service de l’intendance pour confectionner des uniformes destinés aux bataillons de marche en voie de constitution. Ils travaillent dans de vastes usines de 4 000 m2, montées de toutes pièces – “partant de zéro” en 1940. On y taille des boutons de bois, on y fabrique des tuniques, ceinturons, pantalons, bref, des uniformes complets, mais aussi des tentes, des bâches, et tout le nécessaire militaire. Un journaliste se surprend à remarquer que “le rendement des ouvriers indigènes parvient, pour ceux qui sont suffisamment entraînés, à égaler celui d’un ouvrier moyen en Europe”. Non loin de là, une distillerie transforme le vin avarié dont la colonie regorge, en alcool médical, dont elle manque. L’Afrique française libre produit désormais – mais sous le signe de la débrouillardise – des matières de guerre essentielles qui, par le passé, venaient de métropole.
[…]
Les chauffeurs africains remplissent une fonction capitale pendant toute la campagne du Sahara. Les camions (Ford, Chevrolet) et leurs conducteurs ont joué le rôle essentiel de cordon ombilical tant à Koufra que pendant la campagne du Fezzan. Or ces camions, si critiques pour la guerre du désert, font eux aussi cruellement défaut, à tel point qu’à la fin de 1941 sont réquisitionnés cent cinquante camions en Oubangui-Chari, colonie peu nantie en moyens de transport, ce qui compromet sur place la récolte du coton. En 1943, il est de nouveau question de réquisitionner 400 camions en Oubangui et au Tchad, cette fois pour acheminer les BM 12 et 13 en Afrique du Nord. Aux camionneurs s’ajoutent les mariniers qui acheminent les provisions au front par voie fluviale depuis l’Atlantique, ou encore les colonnes de plus d’un millier de chameaux qui, montés par des gens qui connaissent le terrain, apportent l’essence à des points de stockage sur la route de Koufra (ces chameaux sont le plus souvent réquisitionnés et surtout surmenés, ce qui provoque de nombreuses pertes).
[…]
En 1945, alors que la France se reconstruit, les troupes de l’AEF se frottent aux poches allemandes de la côte atlantique. Aux abords de la Pointe de Grave en avril 1945, le régiment de l’AEF et Somalie se heurte à une résistance farouche de la part d’Allemands acculés à la mer qui répondent aux consignes jusqu’au-boutistes d’Adolf Hitler. Le régiment AEF et Somalie comprend le BM 14, le BM 15 et le bataillon de marche Somali (BMS) ; les deux premiers sont constitués en grande majorité de soldats originaires du Cameroun et du Tchad, d’où le nom mixte de régiment. Dans la soirée du 15 avril 1945, plusieurs tirailleurs périssent suite à une trêve non respectée par les Allemandes devant le village de La Croix, près de Talais. En tout, le régiment perd 22 hommes ce jour-là, la grande majorité d’entre eux issus des colonies (18 des 22) puis 10 hommes, dont 8 coloniaux le lendemain, en bordure de Talais. Le 17 avril, lors d’une opération sur Talais même, si les Allemands se rendent à présent en grand nombre (le BM 15 fait à lui seul 193 prisonniers, pour un total de 250), les défenseurs continuent à infliger des pertes aux troupes coloniales. Dans les rangs du BM 15 ce jour-là, deux Européens et “sept indigènes” trouvent la mort. Le lendemain, 18 avril 1945, de “violents combats de rue”, avec renfort de chars côté français se déroulent dans le centre de Soulac-sur-Mer. Les Allemands s’accrochent dans un blockhaus et dans des ruines. Les forces françaises sont également contraintes de se livrer à des combats dans les marais avoisinant Soulac, embourbés dans de la vase pendant plus de quatre heures. Si les diverses unités du régiment de l’AEF et Somalie font 410 prisonniers, 12 “indigènes” meurent ce jour-là contre aucun “Européen”.
[…]
Afin d’instaurer une économie de guerre dirigée, de reprendre la main sur les entreprises, et surtout de mettre en place un réseau de main-d’oeuvre contrôlé et canalisé à l’échelle de l’AEF, Félix Éboué et Henri Laurentie proposent à Londres une importante réforme du droit du travail. Ceci posé, bien des dénominateurs communs rapprochent la politique d’Éboué de celle du proconsul vichyste d’AOF Pierre Boisson : glorification du paysan et du chef, essentialisme nostalgique, refus de consacrer la liberté du travail, avis partagé qu’un retranchement est nécessaire dans le domaine de la main-d’oeuvre. Obsédé par le déclin et la dégénérescence des populations, craignant que des villageois déracinés se muent en un dangereux prolétariat, Éboué estime que l’Africain a besoin d’enracinement, d’ordre et de hiérarchie, le chef européen devenant alors un “aristocrate” au sommet de cette pyramide. Éboué et Boisson partagent enfin le “mythe d’une communauté traditionnelle africaine”. Les directives que remet Éboué au gouverneur du Gabon Victor Valentin-Smith en juillet 1941 confirment ce constat. Pour remédier à la crise de la main-d’oeuvre, elles suggèrent “d’empêcher dans toute la mesure du possible le mélange des races et des tribus sur un même chantier”.
Eric Jennings, La France libre fut africaine, Perrin, 360 pages