L’acquittement par la Cour suprême du colonel Édouard Etonde Ekoto, le 30 avril 2014, avait donné des lueurs d’espoir à plus d’un parmi les justiciables de l’Opération Épervier. Le 18 décembre 2014, le président de la République, par ailleurs président du Conseil supérieur de la magistrature (Csm), a fait le ménage à la Cour suprême. De nouveaux hommes sont aux commandes. Ces « nouveaux visages » installent même une certaine euphorie. Mais la nomination des magistrats de la section spécialisée de cette nouvelle Cour suprême est venue réveiller les doutes et créer un climat de suspicion chez les prisonniers de l’opération Épervier qui sont jugés en dernier ressort par cette section spécialisée.
Jean-Pierre Mvondo Evezo’o
Spéciale. Cette instance de la Cour suprême n’a jamais autant bien porté son nom. Jean-Pierre Mvondo Evezo’o, nommé président de section spécialisée et Jean Claude Robert Foé, nommé membre, pour ne citer que ceux-ci sont suspectés d’avoir été envoyés là pour asseoir les condamnations. C’est que, devenus juges, leur état de service essentiellement passé au banc de l’accusation ne plaide pas pour eux. Les avocats prennent peur pour leurs clients. Me Claire Atangana Bikouna, en sa qualité de représentante du bâtonnier de l’Ordre des avocats dans la région du Centre, s’en va rencontrer le nouveau premier président de la Cour suprême, Daniel Mekobe Sone, pour lui faire part des inquiétudes de ses confrères.
Le 23 avril 2015, les nouveaux magistrats de la section spécialisée tiennent leur première audience. L’affaire Atangana Mebara a été mise en délibéré par les magistrats qui les y ont précédés, avec un rapport favorable à l’acquittement de l’ex-Sg/Pr. La nouvelle section spécialisée décide de reprendre l’affaire Mebara à zéro. Les suspicions montent. Le 24 avril 2015, Me Alice Nkom, l’une des avocates de Marafa Hamidou Yaya, écrit au président de la République, au ministre de la Justice et au premier président de la Cour suprême. C’est en fait une requête en récusation de Jean Pierre Mvondo Evezo’o et de Jean Claude Robert Foe. L’article 591 du code de procédure pénale dispose en effet que « tout magistrat du siège peut être récusé s’il a déjà connu de la procédure ou s’il a été arbitre, conseil ou témoin ».
Me Alice Nkom fait savoir que dans le cas d’espèce, Jean Pierre Mvondo Evezo’o a connu de l’affaire Marafa lorsqu’il était procureur général de la Cour d’appel du Centre où il a supervisé l’accusation pendant les auditions de l’ancien ministre d’État. Quant à Jean Claude Robert Foe, qui a remplacé Jean Pierre Mvondo Evezo’o comme procureur de la Cour d’appel du Centre,MeAlice Nkom, soulève le fait qu’il a supervisé les réquisitions du ministère public qui ont abouti à la condamnation de son client à 25 ans de prison. Me Alice Nkom accuse alors ces magistrats qui devront encore connaître de la même affaire Marafa devant la Cour suprême de « partialité ».
Lettre ouverte à Paul Biya
Dans le même ordre d’idées, depuis Paris,Me Michael Buhler et Me Dominique Inchauspé, les avocats d’Yves Michel Fotso ont saisi le premier président de la Cour suprême. « Vous avez désigné les membres de la section spécialisée qui auront notamment à connaître du pourvoi formé par Monsieur Yves Michel Fotso contre la décision de condamnation de 25 ans de prison rendue par le Tribunal de grande instance du Mfoundi, le 21 et le 23 septembre 2012. Il convient cependant de constater que Monsieur Jean Pierre Mvondo Evezo’o occupait le poste de procureur général près la Cour d’appel du Centre lors du placement en détention provisoire deMonsieur YvesMichel Fotso. Il a supervisé l’accusation, et plus particulièrement les auditons au cours de l’enquête préliminaire.
Il est donc incontestable que Jean Pierre Mvondo Evezo’o a joué un rôle prépondérant dans le cadre de la procédure pénale initiée à l’encontre de Monsieur Fotso. Il en est tout à fait de même concernant Monsieur Jean Claude Robert Foe qui quant à lui a supervisé les réquisitions du ministère public au cours de la phase de jugement qui ont conduit à la condamnation de Monsieur Fotso. En conséquence, Messieurs Jean Pierre Mvondo Evezo’o et Jean Claude Robert Foe qui ont déjà connu de cette procédure ne peuvent en aucun cas siéger au sein de la section spécialisée de la Cour suprême dont l’impartialité ne serait plus garantie, sans violer la loi camerounaise et les traités internationaux », écrivent les conseils français de Yves Michel Fotso.
Comme s’ils s’étaient passés le mot, le 30 avril 2015, c’est au tour de l’avocat de Jean-Marie Atangana Mebara, Me Claude Assira de monter au créneau. Dans un style propre à lui, il choisit plutôt d’adresser une lettre ouverte au président de la République. Sa deuxième du genre. « Comment expliquer que lorsque la plus haute juridiction de ce pays fait une proposition d’arrêt susceptible d’être favorable à un accusé, la machine et les moyens colossaux de l’État sont mis en œuvre pour empêcher cette occurrence (modification de la composition de la juridiction, mise à l’écart martiale de magistrats irréprochables, compétents et audacieux, etc.) ? Comment expliquer que des règles élémentaires garantissant l’éthique et l’équité soient si allègrement foulées aux pieds, de sorte que des magistrats qui ont été principaux accusateurs comme procureurs généraux de Cour d’appel, se retrouvent désormais à juger ceux qu’ils accusaient naguère ?
Qu’elle impartialité peut-elle être attendue d’eux? Tous les justiciables y compris les anciens collaborateurs du chef de l’État aujourd’hui poursuivis dans le cadre de l’opération Épervier et plus particulièrement Jean Marie Atangana Mebara dont j’assure spécifiquement la défense doivent pouvoir bénéficier de la présomption d’innocence et être jugés conformément au seul code de procédure pénale ». Hier, 5 mai 2015, Me Claude Assira a adressé au premier président de la Cour suprême, une demande en récusation de Jean-Pierre Mvondo Evezo’o et de Jean Claude Robert Foe.