La commission des Affaires étrangères de l’Assemblée s’apprête à publier un rapport très sévère sur la politique africaine de François Hollande. “L’Obs” l’a lu.
Violente polémique sur la Françafrique. Au terme d’un an de travail et de nombreuses auditions, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale s’apprête à publier un rapport critiquant très vertement la politique de la France en Afrique.
Ce rapport est tellement virulent que la présidente socialiste de la commission des Affaires étrangères, Elisabeth Guigou, a tenu à s’en démarquer publiquement. Dans un communiqué, elle a jugé ce texte “d’une tonalité trop pessimiste”. Tout en disant partager bon nombre de constats du texte, adopté à l’issue d’un très long et vif débat, l’ancienne garde des Sceaux a estimé que :
La commission des Affaires étrangères devrait avoir, à propos de la vie démocratique des Etats africains, un discours sans complaisance, mais mesuré.”
Reprenant les paroles d’un chercheur auditionné par la commission, le rapport qualifiait notamment le président camerounais Paul Biya “d’illégitime”. Philippe Baumel, le député socialiste et rapporteur de la commission, assure ne pas avoir été “censuré” mais avoir du apporter “des précisions” à son texte qui, selon lui, “bouscule les idées reçues, l’afroptimisme en vogue à Paris ces dernières années”.
Le Drian, “ministre de l’Afrique”
Ce sont les critiques de fond de l’action française qui ont fait monter la température. Pour résumer, les rapporteurs estiment que l’aide au développement de la France en Afrique subsaharienne est à la fois insuffisante et inefficace, ce qui mène à des crises, à l’effondrement des Etats, puis à l’intervention de l’armée française.
Lors d’une session de cette commission, le président UMP de cette mission d’information, Jean-Claude Guibal et son rapporteur socialiste, Philippe Baumel, auraient notamment qualifié le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian de véritable “ministre de l’Afrique” qui marginalise son homologue des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Critiquant “la militarisation” de l’action française, ces députés estiment que les interventions de l’armée française tendent à se substituer à une politique de développement.
Philippe Baumel, le rédacteur du rapport, explique : Même si elles sont nécessaires, on ne peut se satisfaire des interventions militaires qui, de plus, nous ont coûté l’an dernier près d’un milliard d’euros. Ces interventions réagissent aux crises, elles n’agissent pas sur le mal développement.”
Une aide au développement “ni cohérente ni efficace”
En 2014, seulement 0,36% du revenu national brut de la France a été consacré à l’aide publique au développement (APD) des pays pauvres, selon les chiffres annuels publiés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). C’est le plus bas niveau d’investissement français dans cette politique publique depuis 2001. Et c’est la quatrième année consécutive de baisse pour la France, en contradiction avec les promesses du président de la République et de son gouvernement.
Le rapport critique aussi une aide française au développement “qui rate souvent sa cible, n’est ni cohérente, ni efficace”, selon Philippe Baumel. Exemple ?
Prenons le cas du Mali. La France a déversé des centaines de millions d’euros sur ce pays depuis la décolonisation, en s’aveuglant, et cet Etat s’est effondré en 15 jours, nous appelant au secours. Et pourtant l’incurie se perpétue : il semble que la première urgence des nouvelles autorités ait été d’acheter un avion présidentiel…”
“La politique africaine reste à inventer”
Cruel, ce rapport souligne que la France n’a tout simplement pas de politique en Afrique : “D’une certaine manière, la politique africaine de notre pays reste à inventer”, écrivent en conclusion les rédacteurs.
Au-delà des réactions en urgence, des interventions militaires – avant-hier en Côte d’Ivoire, hier au Mali, aujourd’hui en Centrafrique, demain sans doute ailleurs – , malgré une aide au développement dont on se demande parfois si elle est vraiment une politique publique tant elle est immuable de gouvernement en gouvernement, l’ambition de notre pays vis-à-vis de ce continent reste à définir.”
La Mission propose “d’élever l’aide au développement au rang de pivot structurant de la politique africaine de notre pays”, propose de créer un ministère indépendant du développement. Encore faudrait-il que l’aide aux pays pauvres ne se réduise pas chaque année comme une peau de chagrin.
Par Jean-Baptiste Naudet, source : L’OBS
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