La marche était autorisée. Malgré tout, jeudi 26 mai, la crainte et la tension étaient palpables : routes moins fréquentées, boutiques fermées, enfants laissés à la maison, employés hésitant à mettre le nez dehors… Dans divers lieux du nord de Kinshasa, des hommes en bleu guettaient. Leur mission : « Encadrer les manifestants pour qu’ils ne débordent pas », explique le colonel Pierrot Mwanamputu, chef de l’information de la police.
Retour sur le 11 mai. Alors que la tenue en novembre de la présidentielle est compromise, la Cour constitutionnelle décide que Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001 et qui ne peut plus se représenter, restera en poste jusqu’à l’élection et l’installation d’un nouveau président. Le Front citoyen, un collectif de partis d’opposition et d’associations, dénonce un « coup d’État constitutionnel » et annonce pour le 26 mai une manifestation nationale.
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« Que Dieu fasse que Kabila puisse mourir ! »
Dans la capitale, sur l’avenue Enseignement, où se trouve le siège de plusieurs partis de l’opposition, des militants se sont timidement réunis. Drapeaux en main, tee-shirt de leur parti sur le dos, pancarte en papier à la main, ils chantent : « Kabila, sache que ton mandat est fini ! », « Le peuple est derrière cette mobilisation, le peuple est d’accord pour le départ de Kabila ! », « Les Congolais n’aiment pas le combat, libère le pouvoir dans le calme ! »
Beaucoup rendent aussi hommage aux quelque six cents personnes massacrées depuis octobre 2014 dans le territoire de Beni, dans la province troublée du Nord-Kivu (Est). « Kabila, tu as eu à “pacifier le pays”, tu as eu à reconstruire le pays, oui ! Merci, merci ! », s’époumone Peguy parmi les coups de sifflet et les chants. Puis il enchaîne : « Le moment est venu de laisser le pouvoir pour les autres ! C’est la volonté du peuple souverain que nous sommes. »
Vers 11 h 30, les militants sont quelques milliers, et se mettent en branle. Devant le Parlement, certains s’arrêtent face aux policiers, s’assoient et prient : « Que Dieu fasse que Kabila puisse mourir ! » Un jeune passe et justifie cette incantation par la « souffrance » et la « misère » du peuple, malgré les immenses ressources naturelles, dont des minerais, du pays. Les policiers, sans mot dire, regardent à peine les manifestants.
Puis, nombre de marcheurs se heurtent à un cordon policier. La tension s’accroît. Après quelques minutes, des policiers chargent la foule avec leurs boucliers. Les manifestants lancent des pierres, et reçoivent en réponse du gaz lacrymogène. « Ce n’est pas l’itinéraire prévu lors des séances. Ça, c’est de la provocation ! », dénonce le colonel Mwanamputu. Les marcheurs se dispersent, puis se réunissent. Encore : pierres contre lacrymogène.
Le Monde Afrique a constaté l’interpellation de trois jeunes. Assis dans un pick-up, l’un d’eux sourit. Difficile de dire si c’est de nervosité… Dans un autre véhicule, un jeune supplie un policier : « Je suis étudiant », se défend-il. L’agent lui répond par trois coups violents sur la tête. Alors que les véhicules emmènent les suspects, le calme revient, la circulation reprend. Mais des tirs de gaz et de balles réelles sont signalés sur une artère prévue au programme.
Le colonel Mwanamputu dément toute utilisation d’armes létales, interdites lors du maintien de l’ordre depuis décembre 2015. Mais Eve Bazaïba, secrétaire générale du Mouvement de libération du Congo (MLC), deuxième parti d’opposition, affirme que des policiers l’ont visée. « J’ai attrapé une balle tirée à bout portant, elle a traversé le mollet de la jambe gauche. (…) J’ai juste senti la chaleur, et j’ai commencé à beaucoup saigner. »
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59 personnes arrêtées, un civil et un policier tués (ONU)
Retour à la case départ. Des militants dispersés se sont retrouvés sur Enseignement. Des policiers à pied et en jeep sont lapidés. Nouveaux tirs de gaz. Sur le boulevard Triomphal, parallèle à Enseignement et qui borde une partie du Parlement et du stade des Martyrs, des jeunes ont incendié des bouteilles en plastique. Près de la permanence de partis, deux pneus brûlent et des jeunes tentent d’arracher une caméra de surveillance.
Joseph Olenghankoy, chef des Forces novatrices pour l’union et la solidarité (Fonus), membre du Front citoyen, appelle au mégaphone les militants au calme. Il leur demande de ne pas fuir les policiers, de ne pas leur lancer de pierres et de ne pas dégrader les biens publics. Succès limité : certains veulent toujours la peau de la caméra, qui désormais tient à peine dans le sol. Finalement, après quelques tirs de pierres et de gaz, le rassemblement s’est terminé.
Si la marche a été autorisée à Kinshasa, elle a été interdite dans d’autres grandes villes, qui ont tout de même connu une activité ralentie. En fin de journée, le Bureau conjoint de l’ONU pour les droits humains (BCNUDH) — qui a surveillé la situation, de même que la police de la Mission de l’ONU (Monusco) — a dressé un bilan sur Twitter : « Au moins neuf manifestations interdites, cinquante-neuf personnes arrêtées, un civil et un policier tués, quatre personnes blessées. »
A Goma, capitale du Nord-Kivu, le colonel Mwanamputu annonce un « pillard » tué, cinq policiers et deux civils blessés, et une vingtaine de mineurs interpellés pour avoir « caillassé et brûlé des pneus » ; pour Kinshasa, « trente-cinq policiers grièvement blessés », des véhicules endommagés et cinq interpellations de personnes, « aussitôt relâchées ». A Kalemie et Moba (Sud-Est), trois manifestants ont été appréhendés, puis remis en liberté.
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Par Habibou Bangré – Le Monde.fr avec AFP