C’est un nom à coucher dehors : il s’agit de la loi sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger. Il est plus simple de parler de la LVP. Cette loi, qui entre en application le 1er juillet prochain, constitue une petite révolution chez le numéro un mondial de la gestion de fortune. Dorénavant, la justice suisse pourra bloquer les avoirs d’un dictateur, même si celui-ci n’est pas encore tombé et s’il n’existe pas (encore) dans son pays de demandes d’entraides internationales contre lui. Mieux : la Suisse pourra même transmettre à l’État concerné des informations, notamment bancaires, pour l’aider à déposer des demandes d’entraides correctes et suffisamment étayées…
Un milliard bloqué lors du Printemps arabe
C’est le monde à l’envers. De cancre la Confédération aspire à devenir le premier de la classe. Depuis quelques années, le pays des banques a rendu l’argent de Marcos aux Philippines (684 millions de dollars), d’Abacha au Nigeria (700 millions de dollars), de Salinas au Mexique (74 millions). Dorénavant, la Suisse espère faire mieux (et surtout plus vite) en restituant le milliard de francs suisses bloqué à la suite du Printemps arabe, et qui concerne l’Égypte, la Syrie, la Libye et la Tunisie. La tâche n’est pourtant guère aisée. À quelle autorité libyenne, par exemple, faut-il rendre les avoirs du clan Kadhafi ? À Tripoli ou à Tobrouk ? « Bien évidemment, cette loi va dans la bonne direction. Mais elle reste, malgré tout, trop restrictive : certes, on peut geler les fonds d’un dictateur, mais seulement si sa chute apparaît comme… inexorable », nuance Olivier Longchamp, responsable du département fiscalité et finances internationales au sein de l’ONG suisse Déclaration de Berne (qui va bientôt s’appeler Public Eye).
Un Français poursuivi pour « blanchiment aggravé »
Toutefois, même si la chute du président congolais Denis Sassou-Nguesso (qui vient d’être réélu) ne peut pas être qualifiée d’« inexorable », les magistrats suisses s’ingénient déjà à lui donner des sueurs froides. En février dernier, Le Point Afrique révélait que non seulement la Suisse avait accordé son entraide judiciaire à la France dans le dossier des « biens mal acquis » concernant le Congo-Brazzaville, mais que le ministère public de la Confédération ouvrait sa propre enquête pour « soupçon de blanchiment d’argent aggravé ». Le premier à passer au tourniquet est le Français Philippe Chironi, directeur de Orion Oil & Gas Group et de la société Afrique Medias Holding, domiciliées à Chavannes-de-Bogis, dans le canton de Vaud. Le quotidien Le Temps raconte que le procureur fédéral Brent Holtkamp lui a notamment demandé pourquoi « l’une de ses sociétés a payé du champagne aux fonctionnaires du domaine présidentiel congolais ». Philippe Chironi est poursuivi pour « blanchiment aggravé ».
Huit millions de dollars dans un coffre
Mieux encore, la justice helvétique a demandé aux autorités portugaises d’interpeller Antonio José da Silva Veiga. Au moment de son arrestation, la police a mis la main sur huit millions de dollars en liquide dans un coffre. Cet ancien agent de joueurs de football s’est recyclé dans les travaux publics et le négoce du pétrole au Congo. Représentant de la société genevoise Atlantic International, José Veiga est un proche de Denis Christel Sassou Nguesso, le fils du chef de l’État, très actif dans la commercialisation du pétrole congolais. Pour l’ONG Déclaration de Berne, l’arrestation au Portugal d’« un homme de paille au service du clan du président Denis Sassou Nguesso illustre une nouvelle fois l’aide logistique que prodigue la Suisse à la corruption dans l’un des pays les plus pauvres de la planète ». Les mauvaises habitudes ne se perdent pas du jour au lendemain.