Monsieur le président,
J’aurais pu me taire, j’aurais pu ne rien dire, j’aurais pu garder le silence, rester indifférent, mais je refuse de servir de bouc émissaire dans une lutte de clans, à l’issue incertaine qui se joue dans votre entourage.
Depuis plusieurs jours, je suis victime de toute une cabale médiatique, orchestrée par des individus à la solde des réseaux qui ont pris en otage la gouvernance au Cameroun. Ils veulent faire de moi un coupable, un homme à abattre, un ennemi public, le responsable de la déferlante d’informations sur les réseaux sociaux et dans la presse locale autour de votre famille.
L’objectif inavoué mais certain est plus qu’évident : me faire taire. A cela, ils ont mis à contribution leurs réseaux au sein des services de sécurité et du renseignement, ainsi que leurs amitiés dans votre entourage.
Un journaliste n’est pas un agent de renseignement. Un journaliste n’est pas un agent de sécurité, un journaliste n’est pas une balance. Un journaliste informe l’opinion publique, dénonce les injustices et critique la gestion de la cité. La gestion patrimoniale de l’État crée un contexte de catégorisation systématique de tous ceux qui font honnêtement leur travail dans ce pays. L’indignation contre la gabegie et la bestialisation de l’espace public sont devenus un crime. A aucun moment je n’ai participé, été associé ni de près, ni de loin à une entreprise ou un complot contre vous, les institutions ou vos proches. Je n’ai fait que mon travail : celui d’informer mes compatriotes, de rendre compte de la manière dont l’État est pillé par ceux que vous avez nommés. Ce travail d’information peut plaire ou déranger mais c’est mon travail.
Après avoir gardé le silence sur votre fille pendant plusieurs mois, j’ai été l’un des premiers à m’insurger contre le fait que ceux qui avaient sa charge et devaient assurer sa sécurité n’ont pas fait parvenir à votre niveau toutes les informations nécessaires pour empêcher la crise dont elle est victime. Je vous dirais également et vous le savez certainement que suivre les faits, gestes et attitudes du chef de l’État et de sa famille est quelque chose de normal, voire banal dans un pays qui se veut démocratique. Car vous ne vous appartenez plus, mais à la République. Beaucoup de camerounais enclavés dans le culte de la personnalité, dont les corps et les esprits ont été brutalisés, des personnes sous-éduquées, manipulatrices, ignorantes mais arrogantes n’ont pas la capacité d’avoir cette conception de l’État, de la République.
Il existe des camerounais qui n’appartiennent à aucun réseau, à aucun lobby, qui n’ont pas d’appartenance ethnique, mais qui chaque jour font honnêtement leur travail, gagnent leur vie pour nourrir leur famille, servent l’État sans attendre une nomination. Chaque matin quand je me brosse les dents, la première chose à laquelle je pense est celle de savoir ce que je vais faire pour dénoncer les travers de la gouvernance au Cameroun, par quels moyens dénoncer des injustices, aider ceux qui sont victimes de trafics d’influence, débusquer les mécréants qui pervertissent la jeunesse. Voilà pourquoi certains veulent aujourd’hui utiliser les informations qui circulent sur votre fille pour régler leurs comptes. Certains protègent leurs maîtres.
Monsieur le président,
On n’a pas besoin d’appartenir à un lobby pour savoir que l’argent des projets est détourné tous les jours au Cameroun. On n’a pas besoin d’appartenir à une ethnie pour savoir que dans nos hôpitaux des camerounais meurent tous les jours parce qu’il n’y a pas de poches de sang ou parfois de médecins. On n’a pas besoin d’appartenir à un clan pour souligner que le pays est actuellement pris en otage et qu’une guerre de succession se joue presque à ciel ouvert.
Le pays sombre. Il s’enfonce tous les jours. Ils se battent pour vous remplacer. Ils ne travaillent plus. On ne saurait rester silencieux face à cet état de fait pour être le bouc émissaire des voyous.
Monsieur le président,
Je vais continuer à parler, critiquer, dénoncer, écrire. J’aime écrire. « Le silence des écrivains est plus dangereux que l’épée des tyrans » disait WOLE SOYINKA. J’écris pour que les camerounais soient informés de la gestion des affaires de l’État. Pour que vous puissiez mesurer le seuil d’effondrement progressif. Vous avez souhaité que les camerounais retiennent de vous celui qui a apporté la liberté et la démocratie. Vous avez également dit que les camerounais n’ont plus besoin d’aller au maquis pour s’exprimer. Nul ne doit empêcher ce souhait de se réaliser. Plus de 50% de la jeunesse camerounaise a moins de 30 ans. Ce dont ils ont besoin c’est plus de justice sociale, moins de corruption, de l’éducation, de la santé, de démocratie et du travail.
Monsieur le président,
J’aurais pu me complaire de ma situation, me taire, ne rien dire sur le sort de mes compatriotes, jouir des privilèges que j’ai bénéficiés et que je continue de bénéficier, mais il n’y a aucun bonheur à vivre le bonheur seul dans un océan de misère.
Tout en espérant que ce message vous parviendra, veuillez agréer monsieur le président l’expression de mon plus profond respect.
Boris Bertolt.