Au Congo-Brazzaville, près de trois mois après la présidentielle du 20 mars, la situation reste tendue. Ainsi plusieurs opposants et leaders de la société civile sont toujours en prison ou assignés à résidence. Comment sortir de cette crise ? L’opposant Mathias Dzon préside l’Alliance pour la République et la démocratie (ARD). De passage à Paris, il répond aux questions de RFI.
RFI : Le 20 mars dernier, Denis Sassou Nguesso a été officiellement réélu avec plus de 60% des voix, est-ce que vous reconnaissez cette victoire ?
Mathias Dzon : Bon, ça c’est lui qui dit qu’il a été réélu. Pour nous, il n’a pas été réélu et cette élection, nous ne la considérons pas, on ne reconnait pas sa victoire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous le condamnons aujourd’hui comme un président de fait, parce qu’il a changé la Constitution alors qu’il n’avait pas le droit de changer la Constitution et ensuite, pendant les élections, il a donné les résultats qui ne sont pas les résultats sortis des urnes, mais les résultats qui conviennent à Denis Sassou Nguesso. Il n’est ni légal, ni légitime. Il n’est pas légal parce qu’il n’a pas été élu conformément à la loi. Il est illégitime parce que les Congolais ne l’ont pas élu.
En septembre – octobre 2015, vous les opposants, vous étiez tous unis contre le changement de Constitution et contre le troisième mandat mais ensuite, vous Mathias Dzon, vous vous êtes singularisé, vous avez boycotté la présidentielle et du coup, une autre figure du nord du pays a percé dans l’opposition, c’est le général Mokoko, et vous connaissez l’adage « les absents ont toujours tort ». Est-ce qu’aujourd’hui, Mokoko n’a pas pris votre place dans le cœur de beaucoup de Congolais ?
Alors ça, il n’y a pas de place à prendre. Je ne vois pas comment un militaire peut prendre la place d’un homme politique… Mais il faut d’abord savoir qu’il y a eu un engouement qui n’a rien à voir avec la prestation de tel ou tel homme politique. Beaucoup de Congolais en avaient marre de voir Denis Sassou Nguesso à la tête de l’État et se sont dits : si on va voter, peut-être qu’il va partir. Mais ils n’ont pas compris que Denis Sassou Nguesso n’a pas changé la Constitution et n’a pas convoqué les élections anticipées pour voir quelqu’un d’autre s’assoir sur le fauteuil présidentiel. C’est ça que le Congolais moyen n’a pas compris.
C’est-à-dire qu’en fait, quand vous avez décidé de ne pas aller à cette élection, vous n’aviez pas prévu l’effet Mokoko, peut-être qu’aujourd’hui vous regrettez de ne pas être allé à cette élection ?
Je ne regrette rien du tout parce que la base de mon parti est restée intacte et mes partisans y sont toujours, ça je peux vous l’assurer.
En dehors des États-Unis et de l’Union européenne, personne n’a dénoncé la réélection de Denis Sassou Nguesso. Est-ce que comme l’écrivain congolais Alain Mabanckou, vous êtes déçu par ce qu’il appelle « le long silence et l’hypocrisie de François Hollande » ?
Je sais qu’il y a une position de la France qui a trouvé que ces élections n’étaient pas transparentes et n’étaient pas équitables, ça c’est la position officielle de la France. Maintenant le reste, ça je ne connais pas.
Aujourd’hui, Mathias Dzon, comment sortir de cette crise politique dans votre pays ?
Très simple, moi je propose, pour sortir de cette crise, que les armes ne sont pas une solution. De toute façon, Denis Sassou Nguesso, c’est le plus armé de tout le Congo. Alors pour sortir de cette crise, il n’y a que le dialogue. Il faut qu’il y ait un dialogue national inclusif qui nous permettra de trouver des solutions pour sortir de cette crise-là, y compris la crise du Pool.
Quand vous parlez de la crise du Pool, on pense évidemment au pasteur Ntumi. Faut-il qu’il soit associé à ce dialogue ?
Absolument, tout le monde doit participer à ce dialogue-là.
Alors je crois que vous avez écrit dans ce sens à Denis Sassou Nguesso ?
Nous avons écrit à Denis Sassou Nguesso pour lui dire qu’il était urgent et impérieux de convoquer ce dialogue. Nous attendons toujours sa réponse, il n’a pas encore réagi. Mais pour aller à un dialogue, nous avons déjà émis des conditions, il faut que ce dialogue ne soit pas un faux dialogue comme on en a organisé à Dolisie, Sibiti. Il faut qu’il soit préparé par la classe politique, avec la mise en place d’une commission préparatoire paritaire pouvoir-opposition, qui va déterminer l’ordre du jour.
Un dialogue sans supervision internationale ?
Ah si ! Nous souhaitons qu’il y ait les observateurs internationaux à ce dialogue-là, qu’ils viennent. Si, si, nous le souhaitons vivement, mais une vraie représentation internationale.
Mais aujourd’hui, vous avez des leaders de l’opposition et de la société civile qui sont en prison, comment peuvent-ils participer à un tel dialogue, s’ils ne sont pas libres ?
Mais il n’y a pas que des gens qui sont en prison, vous avez des gens qui sont assignés à domicile comme le général Mokoko, comme André Okombi-Salissa, etc. Et nous avons ceux qui sont en prison, nous avons par exemple Anatole Limbongo, qui était un des porte-parole du candidat Mokoko. Vous avez Paulin Makaya, qui lui est un responsable de parti, qui a été arrêté lors des évènements du 20 octobre, et vous avez Mpika qui était à Pointe-Noire, dans une manifestation de l’opposition, il a été arrêté et transféré à Brazzaville. Et il y a bien d’autres sympathisants de l’opposition. Plus les leaders de la société civile comme Andy Bemba. Alors ce que nous nous voulons, c’est que pour qu’il y ait un vrai dialogue, il faut d’abord que le climat soit apaisé. Et pour apaiser le climat, il y a deux choses à faire, il faut libérer tous ceux qui sont en prison, il faut lever tous les sièges des domiciles, il faut retirer l’armée du Pool, que tous les militaires rentrent dans leur camp. On lève l’état de siège, et à ce moment-là, les Congolais se sentiront libres et en paix et nous irons à un vrai dialogue. Donc, c’est ça le préalable et nous l’avons posé clairement au président Sassou, et à ce moment-là nous irons vraiment à un vrai dialogue et on trouvera les bonnes solutions à la crise actuelle.
Les opposants qui sont allés à la présidentielle et qui sont aujourd’hui réunis dans les plates-formes Frocad et IDC demandent également ce dialogue inclusif. Est-ce que l’on peut dire qu’il y a une réconciliation de toute l’opposition autour de ce projet ?
Pas seulement ceux de l’opposition, tous les Congolais sont intéressés par le dialogue, parce que les Congolais en ont marre de la guerre, parce que beaucoup de Congolais ont perdu leur vie et tous les Congolais, y compris les gens qui ne s’intéressent même pas à la politique, sont d’accord avec le dialogue. Aujourd’hui, c’est donc une idée forte y compris dans la majorité présidentielle. Je vous informe que le Premier ministre, nommé récemment par le président Sassou, Clément Mouamba, a mis en mouvement son ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, qui a tenté de contacter un certain nombre de personnalités sur le dialogue.
Oui, mais pour l’instant, Denis Sassou Nguesso n’a pas répondu à votre lettre…
Il n’a pas répondu. On espère que le geste qu’a fait le Premier ministre nous mènera à cela et que Sassou pourra réagir. C’est lui qui peut convoquer le dialogue, ce n’est pas le Premier ministre, c’est lui qui prendra un décret présidentiel pour dire : nous on convoque le dialogue, hommes politiques retrouvez-vous, mettez-vous dans les conditions de préparation de ce dialogue-là. C’est ce que nous attendons.
Par Christophe Boisbouvier – RFI