Par Stéphanie Maupas La Haye, correspondance du Monde
Reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, Jean-Pierre Bemba a été condamné, mardi 21 juin, à dix-huit ans de prison par la Cour pénale internationale (CPI). Le procureur avait requis « vingt-cinq ans au moins », contre le vice-président de la République démocratique du Congo (RDC), mais il n’a pas encore décidé s’il ferait appel, a dit au Monde Jean-Jacques Badibanga, qui a conduit le procès pour l’accusation.
« Notre demande était de vingt-cinq ans parce que nous étions conscients de la souffrance des victimes, parce que nous pensions aussi que les supérieurs hiérarchiques ont un rôle tout particulier, qui doit être mis en avant dans les jugements et que leur responsabilité est plus élevée que celle des troupes qu’ils commandent ». Mais « dix-huit ans de prison c’est une peine sérieuse », souligne-t-il.
Coupable en tant que chef militaire
Il y a trois mois, Jean-Pierre Bemba avait été reconnu coupable de crimes contre l’humanité et crimes de guerre en qualité de chef militaire du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), parti politique qu’il avait créé en 1998. Le sénateur congolais n’était néanmoins pas poursuivi pour avoir ordonné ces crimes, mais pour ne pas les avoir punis ou empêchés. A lui la responsabilité, à ses soldats l’exécution. En 2002 et 2003, envoyé soutenir le régime centrafricain d’Ange-Félix Patassé, alors en proie à une rébellion conduite par le général François Bozize, le bataillon de quinze cents hommes du MLC avait commis des meurtres, des viols et des pillages. Pour les juges de La Haye, « l’inaction » de Jean-Pierre Bemba « visait délibérément à encourager l’attaque contre la population civile ».
Les trois juges, trois femmes, ont souligné que les viols, les meurtres et les pillages avaient été perpétrés avec « une cruauté particulière », retenant cela comme une circonstance aggravante. La présidente de la chambre, Sylvia Steiner, a rappelé que les victimes avaient subi des viols collectifs, souvent sur la place publique. Saluant la décision, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), qui avait été particulièrement active en 2005, lorsque les autorités centrafricaines avaient demandé à la Cour d’enquêter, espère que « la sentence sera un avertissement à tous les autres commandants » qui laissent leurs soldats brutaliser des civils.
Seul Bemba a été ciblé par la Cour
Le procès laisse néanmoins en suspens de larges pans de l’histoire de la guerre civile centrafricaine de 2002-2003. Seul Jean-Pierre Bemba a été ciblé par la Cour. Ni le président centrafricain déchu Ange-Félix Patassé, ni son successeur auréolé d’un coup d’Etat victorieux, François Bozize, n’ont été inquiétés par la Cour, pas plus que les milices impliquées dans les crimes. Ce n’est pas la première fois qu’un supérieur hiérarchique est condamné par la justice internationale. D’autres ont été jugés, dont notamment l’ancien président du Liberia Charles Taylor, condamné à cinquante ans de prison par le tribunal spécial pour la Sierra Leone.
Jean-Pierre Bemba n’en a pas fini avec la CPI. Ses avocats ont annoncé qu’il faisait appel du verdict, et la procédure pourrait encore prendre plusieurs mois. Il est par ailleurs poursuivi pour avoir corrompu des témoins au cours de son procès. Dans cette seconde affaire, dans laquelle il risque jusqu’à cinq ans de prison, le verdict est toujours attendu.
Jean-Pierre Bemba n’a jamais caché ses ambitions politiques
En entendant sa peine, Jean-Pierre Bemba ne s’est pas manifesté. Il y a trois mois, lors du prononcé du verdict, le sénateur congolais était apparu particulièrement abattu. Ce jugement met en suspens pour longtemps des ambitions politiques qu’il n’a jamais cachées. En prison, Jean-Pierre Bemba suit de près la vie politique congolaise et avait tenté de se présenter à la présidentielle de 2011.
Mais les juges avaient refusé de lui accorder une libération provisoire pour qu’il puisse déposer sa candidature à Kinshasa, même s’il assurait à la Cour le faire à moindres frais, en utilisant son avion personnel. A quelques mois de la présidentielle en République démocratique du Congo, prévue en décembre 2016, et alors que l’opposition au président Joseph Kabila tente de montrer un front uni, Jean-Pierre Bemba semble désormais bel et bien hors jeu.
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Invité Afrique, Eve Bazaiba Masudi: la condamnation de Bemba, «une justice sélective et discriminatoire»
Par Christophe Boisbouvier – RFI
Jean-Pierre Bemba est condamné à 18 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité… Vu qu’il est déjà détenu depuis 8 ans, cela veut dire que l’ancien chef rebelle et ancien vice-président du Congo Kinshasa va encore rester 10 ans dans la prison de la Cour pénale internationale près de La Haye, aux Pays-Bas. Comment réagissent ses partisans, qui sont encore nombreux au Congo ? En duplex de Kinshasa, Eve Bazaiba Masudi, la secrétaire générale du Mouvement de libération du Congo (MLC), répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
« Nous attendions que les huit années passées par monsieur Bemba à la CPI soient suffisantes. […] C’est une justice sélective et discriminatoire. Les troupes MLC n’étaient pas les seules troupes à opérer à Bangui. Patassé et Bozizé, chacun avait ses alliés. Il y avait sur place, outre les troupes de la République centrafricaine et les FACA, il y avait des Tchadiens, des Français, des Libyens et d’autres… »
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Les partisans de Jean-Pierre Bemba dénoncent un verdict injuste
Jean-Pierre Bemba a finalement été condamné à 18 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, mardi 21 juin. Huit ans après son arrestation, ses avocats ont annoncé leur intention de faire appel. Au siège du Mouvement de libération du Congo (MLC), son parti, à Kinshasa, la décision de la Cour pénale internationale a été retransmise en direct et suivie par des centaines de partisans. Reportage.
Des problèmes de connexion, un tout petit écran, mais des militants de plus en plus nombreux qui s’amassent dans la cour du MLC, avec un espoir : « Nous avons l’espoir que notre président, Jean-Pierre Bemba, sera libéré aujourd’hui », explique l’un des spectateurs.
Quand la transmission fonctionne enfin, les militants sont rapidement agacés. « L’injustice, c’est ça qui nous choque ! », réagit l’un d’eux. « Les soldats du MLC, ils étaient sous le commandement de la Centrafrique », défend un autre.
Des affiches de soutien à Jean-Pierre Bemba sur la façade du siège du MLC. © RFI/Sonia Rolley
La condamnation tombe en direct : Jean-Pierre Bemba est condamné à 18 ans d’emprisonnement. La retransmission s’arrête avant la fin. Les visages sont défaits. Tout au plus, ces militants imaginaient une condamnation égale ou inférieure au temps passé en détention. C’était d’ailleurs ce que suggéraient certains dirigeants avant l’énoncé de la peine.
Ces mêmes dirigeants prennent alors la parole les uns après les autres pour expliquer, entre autres, qu’une procédure d’appel a déjà été lancée. « Nous ne cesserons jamais de dénoncer la justice discriminatoire et la politisation à outrance de la Cour pénale internationale », lance Eve Bazaiba, secrétaire générale du MLC. Revenant sur toute la procédure, ce dernier assure aussi qu’il y a des motifs d’espoir : Jean-Pierre Bemba n’était pas en Centrafrique au moment des faits, il y avait une chaîne de commandement militaire qui n’a pas été inquiété. Eve Bazaiba insiste aussi sur le fait que les peines en appel sont souvent allégées.
■ Des Congolais divisés sur la peine
À Kinshasa, la capitale congolaise, beaucoup avaient du mal mardi à comprendre la lourdeur de la peine. D’autres, au contraire, y voient une décision exemplaire qui peut amener leurs propres dirigeants à réfléchir.
Dix-huit ans, c’est beaucoup, il faut réduire un peu. (…) Il sera un exemple pour les autres qui sont aujourd’hui au pouvoir et qui pensent qu’ils peuvent nous maltraiter. Demain ce sera leur tour!
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)