L’honorable Martin Oyono (photo), député de l’océan: «Ce serait une trahison pour le Parlement d’ignorer l’infraction de «non-déclaration des biens et avoirs»
Au Cameroun jusqu’ici, du moins parmi les anciens ministres et responsables politiques issus du régime en indélicatesse avec la Justice, c’est encore la notion floue de détournements de deniers publics qui leur est systématiquement opposée …
Et lorsqu’on va au fond des dossiers judiciaires, on y décèle essentiellement des fautes de gestion, comme pour l’ancien administrateur Directeur Général de la Camair Yves Michel Fotso, qui a écopé d’une double condamnation à l’emprisonnement à vie dans un même contentieux à la Camair.
C’est presque comme si les principaux dignitaires du régime de Yaoundé n’ont aucun intérêt à voir l’enrichissement illicite devenir la raison première des poursuites judiciaires dans la lutte qu’ils prétendent mener contre la corruption au Cameroun. Pourtant en mettant en application de l’article 66, il serait plus aisé de savoir l’état des biens déclarés lors de la prise des fonctions et après .
Voilà entre-autres pourquoi nous sommes arrivés à la conclusion au CL2P qu’il s’agit ni plus ni moins uniquement d’une vaste imposture judiciaire sous couvert d’une épuration politique dans certains cas bien précis et soigneusement repertoriés par notre organisation. La plupart des autres poursuites servent essentiellement de paravent à des cibles bien précises, et souvent de fusibles faciles livrées en pâture à une opinion publique vindicative.
Dans l’état de délitement du tissus socio-économique camerounais, la manœuvre de diversion a permis jusqu’ici au régime de Paul Biya (83 ans, 34 années de règne) de perdurer.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
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Voici dans son intégralité l’interpellation du député Martin Oyono avant l’adoption du nouveau Code pénal par l’Assemblée Nationale:
Nouveau code pénal: Ce qui va freiner la lutte contre la corruption et les détournements
Après cinquante ans, le Gouvernement de la République a le mérite d’avoir déposé sur la table des Députés, l’important projet de loi portant code pénal. Mais ce qu’il faut le plus féliciter, c’est le sens des responsabilités de nos collègues de la commission des lois constitutionnelles et des libertés qui ont permis à tous les députés d’avoir le temps nécessaire (04) jours pour parcourir les 372 articles du projet de code pénal en examen. Preuve que notre institution n’est pas une chambre d’enregistrement, mais, bel et bien, un instrument au service de l’amélioration du cadre législatif de notre pays.
En revanche, comme on a coutume de le dire, le Code pénal d’un pays est comme en matière médicale, une thérapie. Mais la thérapie peut être préventive ou curative. Et c’est à ce niveau que nous pouvons nous poser la question de savoir quels sont les maux que notre code pénal veut prévenir et guérir ?
Nous avons choisi pour cette tribune, quelques maux parmi les plus violents que développe notre société depuis quelques décennies. Des maux qui méritent un traitement de choc comme pour corroborer l’adage «Aux grands maux, les grands remèdes». Ces maux sont:
– La corruption matérielle et morale,
– Les détournements de deniers publics.
Et comment ne pas rafraichir la mémoire de nos concitoyens! Ce n’est pas une simple vue de l’esprit. C’est en 1986 que la Rigueur et la Moralisation ont été inscrites en lettres d’or dans le programme politique de S.E.M Paul BIYA, Président National du RDPC, Président de la République, Chef de l’État.
Malheureusement aussi, il y a pratiquement (20) vingt ans que dans ses discours à la Nation, la dénonciation de la corruption et des détournements de deniers publics est devenue pour lui un leitmotiv.
Et la réalité implacable de l’opération dite «Épervier» qui contredit tous les jours cet idéal de société nous exhorte à ne pas jouer à la politique de l’autruche et de prendre le taureau par les cornes pour aider le Président de la République dans ce vaste et complexe chantier.
C’est pourquoi, pour la représentation nationale, la lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics est une priorité. Je dirai même la priorité des priorités. Une mission de salubrité publique qui doit permettre à l’État, loin de tout arbitraire, d’éradiquer ces fléaux qui empêchent le Cameroun d’accéder au rang des nations prospères.
Les Députés de la 9e législature doivent s’engager corps et âme pour adopter des dispositions dans ce code pénal qui vont marquer l’histoire de notre auguste institution et qui feront la fierté du Président de la République, l’initiateur de ce projet de loi, de l’institution parlementaire et de la Nation toute entière.
Sur la corruption et les détournements de deniers publics
Les pères fondateurs de la république avaient en leur temps perçu les dangers des conséquences de ces déviances qui sont devenues aujourd’hui des fléaux pour la Nation.
Aussi, le parlement devrait-il mettre un point d’honneur à placer la constitution au-dessus de toutes considérations.
C’est pour cela que ce serait une trahison pour le parlement que d’ignorer l’infraction de «non-déclaration des biens et avoirs», qui avait été proposée dans l’ancien avant-projet du Code pénal qui la prévoyait au temps de la chancellerie de l’ancien garde des Sceaux le vice Premier Ministre Monsieur AMADOU ALI et qu’on a curieusement retranchée du corps du projet de code pénal en adoption.
En voici la teneur, article 134 (al 8) «est punie d’un emprisonnement de un (1) à cinq (5) ans et d’une amende de 200.000 à 2 millions de francs ou de l’une de ces deux peines, toute personne qui, assujettie à l’obligation de déclaration des biens et avoirs, s’en abstient ou fait une déclaration fausse»
Comment alors croire à une ferme volonté du Gouvernement à accompagner le Président de la République dans cette croisade salutaire pour le peuple qui l’a élu, si on s’arrange à tordre le cou à l’application de l’article 66 de la constitution et son corollaire qui est l’article 134 (al 8) sus évoqué sous le prétexte que l’organisme devant lequel les déclarations doivent se faire n’existe pas?
Il s’agit là ni plus ni moins d’un dilatoire.
Sur les immunités
Le Président de la République étant le premier élu de la Nation, comme dans chaque système démocratique, il bénéficie d’une immunité tirée de la constitution.
Le parlement actuel pour accorder une immunité parlementaire à ses membres a voté une loi matérialisée par l’ordonnance N° 72/12 du 26.08.1972 fixant régime des immunités des Députés à l’Assemblée Nationale. C’est pourquoi, lorsqu’un bénéficiaire de cette immunité doit répondre devant la justice, il est recommandé que l’institution dont il relève lève cette immunité afin qu’il comparaisse comme tout citoyen devant la juridiction compétente.
Dans le présent projet du Code pénal, en dehors du Président de la République et des parlementaires, aucun texte de loi sur lequel viendrait s’adosser une disposition accordant l’immunité aux membres du Gouvernement n’existe pas.
Aussi, comme pour le Conseil constitutionnel créé par la constitution de 1996 qui est suppléé par la cour constitutionnelle et en attendant la nomination de ses membres, le parallélisme des formes induit que les tribunaux existants actuels peuvent juger les membres du Gouvernement en attendant la mise en place de la haute cour de justice.
Le Code pénal en adoption est donc incompétent au regard de la constitution pour accorder une immunité aux membres du Gouvernement qui ne bénéficient que du privilège de juridiction et non de fonction parce que gestionnaires publics.
La question est de savoir où veulent nous amener les membres du gouvernement qui sont:
– Gestionnaires de tous les crédits de la République (4.300 millions de francs pour l’exercice 2016),
– Présidents doubles, triples ou quadruples des Conseils d’administration ou des Comités de pilotage, et maintenant bénéficiaires d’une immunité qui leur permettra d’échapper aux filets de la justice?
Quelle république voulons-nous bâtir? Chers collègues, dans certaines dispositions mêmes de ce code (art 126) l’exécutif peut désormais empiéter officiellement sur le judiciaire. Mais, je vous assure que cela ne se peut pas, et cela ne se fera pas.
La corruption morale
Les problèmes du non-respect de la laïcité, de déviance et d’atteinte à la pudeur ont pris des proportions tellement dangereuses que le parlement dans le cadre de ce code pénal doit suggérer au gouvernement des dispositions de répression fortes.
Aussi, devrons-nous proposer l’infraction d’«utilisation abusive d’une position de pouvoir»
Dans le cadre de cette infraction, devront être passibles de peine d’amendes ou d’emprisonnement, «toute personne qui occupent une position de pouvoir dans l’administration, incite ou oblige un cadre ou un agent de l’État à adhérer à une congrégation religieuse, un cercle ésotérique ou de pratiques contre nature, auxquels elle appartient» les amendes et peines sont à déterminer.
L’infraction devra être aggravée lorsque cette pression s’exerce sur une personne mineure, quel que soit le sexe.
Tout en félicitant une fois de plus le dépôt de ce projet de loi portant nouveau code pénal, je voudrai insister pour que le Gouvernement affirme sa bonne foi et sa disponibilité à accompagner la politique du chef de l’État qui le nomme, en gagnant le pari de la lutte contre la corruption sous toutes ses formes et les détournements de deniers publics afin que triomphent la Rigueur et la Moralisation, qui sont les fondements de l’idéal de société qui seul pourra distinguer positivement le Cameroun dans le concert des Nations.
(é) Hon. OYONO Martin
Député de l’Océan