COOPÉRATION MILITAIRE ET SÉCURITAIRE AU GABON, LETTRE OUVERTE DE “SURVIE” À JEAN-MARC AYRAULT
Paris, le 18 août 2016
Monsieur le Ministre,
Le 30 mars 2016, en réponse à notre interpellation sur les élections en cours dans différents pays d’Afrique et la politique de la France dans ces pays, vous nous avez écrit que c’est au quotidien « que notre diplomatie s’emploie à soutenir les acteurs de la société civile et de la classe politique pouvant être entravés dans leurs activités ou menacés ».
Depuis plusieurs semaines, dans un contexte pré-électoral extrêmement tendu, de nombreux opposants politiques et membres de la société civile gabonais sont victimes d’une répression massive. Nous vous demandons donc, par cette lettre, de joindre la parole aux actes et de prendre position sur les exactions commises au Gabon à l’encontre de ces acteurs que vous déclarez soutenir.
Pour ne citer que quelques exemples, le leader du mouvement des jeunes de l’Union Nationale, Firmin Ollo, se trouve encore à la prison centrale, bien que le juge ait prononcé sa libération vendredi 29 juillet. Sont également toujours détenus des leaders syndicaux de la confédération Dynamique Unitaires, R. Ondo Abessolo et J.R. Yama, arrêtés le 9 juillet (ainsi que plusieurs de leurs collègues). J. R Yama souffre pourtant de graves problèmes de santé et ses conditions d’emprisonnement ne font qu’aggraver son état, comme en atteste son passage le jeudi 4 août au soir en soins intensifs à la clinique SOS Médecin, avant de retrouver sa cellule. Depuis le 9 juillet, ce sont plus d’une trentaine de militants associatifs, syndicaux, politiques ou encore artistes et journalistes qui ont été arrêtés de manière arbitraire.
L’association Survie a d’ores et déjà interpellé le Président de la République sur la situation au Gabon et en particulier sur la coopération sécuritaire que la France entretient avec ce pays. A ce jour, et alors que la répression se poursuit, nous observons que la France n’a, une nouvelle fois, pris aucune position officielle dénonçant ces violations flagrantes des droits de l’Homme. Au contraire, elle maintient jusqu’à présent l’ensemble de ses coopérants militaires au Gabon, renforçant ainsi la dictature d’Ali Bongo, et se rendant par là même complice des exactions commises par le régime contre sa propre population.
Nous vous demandons donc de vous positionner publiquement sur la situation qui prévaut actuellement au Gabon, et notamment sur les arrestations et détentions arbitraires. La récente déclaration conjointe du 12 août 2016, à laquelle s’est associée l’ambassade de France au Gabon, ne peut en aucun cas tenir lieu de condamnation de la répression en cours, puisqu’elle appelle au contraire les acteurs au « dialogue » et à la « négociation ». La Direction de la coopération de sécurité et de défense étant rattachée au Ministère des Affaires étrangères, nous vous demandons également de suspendre immédiatement la coopération militaire et sécuritaire, et de rendre publics l’ensemble des postes ainsi que leurs fonctions, des différents coopérants français au Gabon.
La suspension de cette coopération est d’autant plus urgente que l’élection présidentielle gabonaise est prévue le 27 août et qu’une intensification de la répression est donc à craindre, comme cela avait été le cas en 2009. Faire le choix de maintenir cette coopération serait en contradiction totale avec « l’attachement aux principes démocratiques, aux libertés publiques et au respect des droits de l’Homme » que vous nous aviez exprimé.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma très haute considération,
Marie Bazin, Co-présidente de l’association Survie