La menace virtuelle a fini par être jugée bien réelle par le régime de Robert Mugabe. Mardi 16 août, le ministre zimbabwéen de l’information, Christopher Mushohwe, a mis en garde « la diaspora des cyberterroristes » : « Ils doivent être avertis que le long bras de la loi est en train de les encercler. »
En ligne de mire, tous les partisans – « ces éléments subversifs », selon M. Mushohwe – d’Evan Mawarire, chef de file d’une fronde citoyenne née il y a quatre mois sur les réseaux sociaux. Ce pasteur baptiste y dénonce l’inefficacité et la corruption d’un pouvoir incapable de sortir le pays d’une profonde crise économique.
Le hashtag #ThisFlag (« ce drapeau ») s’est répandu, et l’objet, étendard d’une contestation inédite, est régulièrement brandi par des Zimbabwéens qui ne veulent plus se taire. Comme ce lundi 8 août, dans les gradins du stade de Bulawayo, deuxième ville du pays, lors d’un match international de cricket. Des centaines de fans de ce sport populaire se sont mis à agiter le drapeau national et à entonner l’hymne du pays au 36e lancer de leur équipe, en référence aux trente-six années passées par Robert Mugabe au pouvoir. Deux jours plus tard, le plus vieux chef d’Etat au monde, 92 ans, accusait ses opposants de tenter de le renverser par la rue « comme dans les pays arabes ».
Obligé de fuir son pays
« Mais où est Mawarire à présent ? », a ironisé mardi Christopher Mushohwe. Obligé de fuir son pays, l’homme, âgé de 39 ans, a trouvé refuge en Afrique du Sud. Il est depuis quelques jours en visite aux Etats-Unis. « Je veux rencontrer la diaspora zimbabwéenne et la convaincre de se mobiliser pour faire enfin changer les choses au pays », a expliqué Evan Mawarire au Monde Afrique, avant son départ outre-Atlantique. « Il y a 2 à 3 millions de Zimbabwéens qui vivent à l’étranger, imaginez si chacun donne un ou deux dollars par mois, s’exclame-t-il depuis la table d’un café à Johannesburg. Nous pourrions financer des actions de conscientisation politique, en particulier dans les campagnes où les gens sont mécontents mais ne bougent pas, faute de prise de conscience collective et de moyens. »
Un large drapeau zimbabwéen recouvrant ses épaules, Evan Mawarire assure vouloir refuser toute aide de pays étrangers. « L’avenir du Zimbabwe n’appartient qu’aux Zimbabwéens, insiste-il, sinon, le régime aura beau jeu de m’accuser d’être à la solde de l’Occident, ce qu’il fait déjà, pour me discréditer. » L’orateur prend garde de rester vague dans ses revendications. Il prône « le changement », mais ne réclame pas directement le départ de Robert Mugabe qu’il ne cite jamais nominativement.
« J’ai été chanceux », rappelle ce père de deux petites filles, arrêté par la police à Harare, le 18 juillet. Il est alors inculpé pour avoir mené une « campagne visant à renverser ou tenter de renverser le gouvernement par des moyens constitutionnels ». « J’ai été libéré le lendemain grâce à l’incompétence du procureur et à la mobilisation de mes partisans, raconte-t-il. Mais le soir même, je n’ai pas dormi chez moi, j’avais peur qu’ils m’arrêtent à nouveau. » Le militant, parmi les organisateurs d’une grève générale début juillet, semble avoir vu juste. Des hommes en civil se présentent dans la foulée à son domicile et à son bureau. « J’ai décidé de fuir pour l’Afrique du Sud. »
« Ma tête sur un plateau »
Quelques jours plus tard, Robert Mugabe prononce pour la première fois son nom dans un discours dénonçant la contestation. « Cela m’a effrayé, tu imagines ces gens autour de lui qui peuvent prendre cela comme un ordre déguisé pour qu’on lui apporte ma tête sur un plateau… » Le frondeur est aussi déçu : « c’était tragique, ça voulait dire qu’il préférait s’en prendre au messager plutôt que répondre au message ».
Son réquisitoire est bien ficelé. « Le pouvoir a brisé les promesses de ce drapeau, au lieu d’être prospères et en sécurité, les Zimbabwéens se sont vu confisquer leurs rêves par une élite politique qui ne pense qu’à elle, assène-t-il. Dans ma famille, quatre générations ont déjà été sacrifiées, il fallait cesser de garder le silence pour que les enfants de mes enfants aient enfin un avenir, je veux de nouveau être fier de mon pays. »
La popularité de cette fronde l’a lui-même surpris. « Jamais je n’aurais imaginé que cette initiative prenne une telle ampleur ! ». Mercredi 17 août, dans la capitale, la police a dispersé à coups de bâton et de gaz lacrymogènes une nouvelle manifestation. Plusieurs centaines de personnes appelaient au départ de Robert Mugabe. Une deuxième grève générale est prévue le 31 août.
Une fois de plus, le gouvernement, à court de liquidités, n’arrivera pas ce mois-ci à payer en temps et en heure les enseignants, les docteurs, les infirmières, les policiers. Le ras-le-bol ne cesse de monter, et le mouvement d’agrégation de tous les mécontents est de plus en plus craint par le régime. « Les Zimbabwéens sont en train de se réveiller », analyse Evan Mawarire qui prêche la non-violence. Grâce à lui ? « Non, je ne suis que l’étincelle qui a allumé le feu, le volcan bouillonnait déjà, il ne manquait que l’éruption. » Parmi de multiples exemples des difficultés quotidiennes, il cite ces femmes enceintes, obligées d’apporter leur propre eau pour accoucher dans un hôpital de la capitale.
Nouvelle ère
« Mon boulot, c’est de briser la peur chez les Zimbabwéens, leur plus grande ennemie jusqu’à maintenant, juge-t-il. Les générations précédentes ont été traumatisées par la violence institutionnalisée par la Zanu-PF pour réprimer toute contestation, mais les 18-35 ans sont en train de se lever, c’est le début d’une nouvelle ère. » Et donc la fin d’une autre. « Jamais nous n’avions vu de telles divisions s’afficher publiquement au sein de la Zanu-PF », ajoute Evan Mawarire en référence à la lutte de factions au sein du parti au pouvoir. « Même s’ils ont leurs propres raisons, la révolte des vétérans de la guerre d’indépendance, soutiens si loyaux de Robert Mugabe, est également un signal fort contre le régime. »
Fin juillet, les « vet’ » avaient exigé la démission de M. Mugabe, en vilipendant son comportement « dictatorial ». L’inusable chef d’Etat a pourtant d’ores et déjà prévu de se représenter à la présidentielle de 2018. Le pasteur, qui assure n’être en contact ni avec les anciens combattants, ni avec l’opposition, ambitionne-t-il de succéder un jour à Robert Mugabe ?
« Non, je suis plus efficace au sein de la société civile, affirme-t-il. Si je venais à rejoindre ou à créer un parti politique, je tuerai cet esprit citoyen. » Il espère rentrer « dès que possible » au Zimbabwe. « Aujourd’hui, il y a trop de risques, glisse-t-il dans un soupir, même en Afrique du Sud, je prends mes précautions. » A la fin de l’entretien, il préfère ressortir du bar par une porte dérobée.
Sébastien HervieuJohannesburg, correspondance