Photo : Economiste et bloggeur, Mays Mouissi est spécialiste de l’Afrique.
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RFI : Est-ce que le ralliement des deux poids lourds de la vie politique gabonaise à la candidature de Jean Ping change radicalement la donne du scrutin présidentiel du 27 août ?
Mays Mouissi : Depuis le ralliement des candidats Casimir Oyé Mba et Guy Nzouba Ndama à la candidature de Jean Ping, le rapport de force semble s’être inversé en faveur de l’opposition. L’alliance autour de Jean Ping mobilise désormais plus de monde dans ses rassemblements que le parti au pouvoir sans faire étalage de la même débauche de moyens. Des médias qui jusqu’alors n’avaient jamais envisagé une victoire de l’opposition soutiennent désormais que c’est possible.
Si cela se confirmait, ce serait un véritable désaveu pour le président Ali Bongo d’autant que l’élection se déroule en un tour unique. Par ailleurs, le fait que des candidats à la présidentielle continuent de désister en faveur de Jean Ping, à l’instar de Léon Paul Ngoulakia le 20 août dernier, tend à démontrer que la dynamique dans cette campagne électorale est du côté de l’ancien président de l’Union africaine.
Quel rôle la société civile a-t-elle joué dans ce rapprochement des ténors de l’opposition auquel on assiste aujoud’hui ?
Au-delà des appels de la société civile, le rassemblement des forces de l’opposition autour de Jean Ping vient répondre à une demande lancinante des populations. Toutes les personnalités qui se sont coalisées ont été interpellées dans leurs déplacements respectifs par les populations qui leur demandaient de réunir leurs forces face au président Ali Bongo pour donner une chance à l’alternance. C’est ce qu’elles ont fait en dépassant leurs égos et en prenant même le risque de mécontenter leurs états-majors. C’est un fait historique dans l’histoire du Gabon que des personnalités de ce calibre, disposant d’une vraie base populaire, acceptent de s’effacer pour soutenir un candidat de l’opposition.
Craignez-vous qu’il y ait de la fraude électorale?
Si l’on se réfère aux précédents scrutins présidentiels organisés au Gabon, on ne peut pas exclure qu’il y ait des fraudes à cette élection. Le système de fraude électorale gabonais a tellement été éprouvé qu’en janvier dernier le Premier ministre français Manuel Valls affirmait dans les médias qu’Ali Bongo n’avait pas été élu « comme on l’entend ». Alors que nous sommes à moins de six jours de l’élection, l’opposition conteste toujours la fiabilité de la liste électorale, car dans certaines localités où seulement 43 habitants ont été recensés en 2013 par le gouvernement, 946 personnes sont inscrites sur la liste électorale. Ce constat se répète dans 59 localités à travers le pays. Par ailleurs, dans ses meetings l’opposition s’indigne d’une instruction qui aurait été donnée aux militaires de réserver leur vote au candidat du pouvoir sans que ni le gouvernement, ni le commandement en chef de l’armée n’apporte le moindre démenti.
Enfin, le regroupement qui s’est formé autour de Jean Ping ne croit pas à l’impartialité des institutions en charge d’organiser le scrutin et de la Cour qui doit connaître du contentieux. En effet, le président de la CENAP est nommé par la présidente de la Cour constitutionnelle dont il est notoirement connu qu’elle a des liens de famille avec le candidat Ali Bongo. Il est d’ailleurs curieux de constater que malgré sa parenté avec l’un des candidats, la présidente de la Cour constitutionnelle n’a pas hésité à rendre un jugement dans une affaire concernant directement un membre de sa famille. L’opposition est unanime pour dire qu’elle aurait dû se récuser aussi bien pour le contentieux pré-électoral que pour le contentieux post-électoral à venir.
En tant qu’économiste, quel jugement portez-vous sur le programme économique de l’opposition ?
Mon sentiment sur le programme économique de Jean Ping est qu’il est encore perfectible. De mon point de vue, s’il est élu, ce programme devrait être enrichi ne serait-ce que sur les aspects liés à la mobilisation des ressources qui vont financer les dépenses sociales et les investissements envisagés. En interne, il lui faudra trouver des mécanismes intelligents susceptibles de diversifier et d’accroître les ressources propres de l’Etat sans que la fiscalité n’étrangle les contribuables. A l’extérieur, en plus de la nécessaire diversification des partenaires économiques, j’encourage vivement à l’organisation d’une conférence internationale de bailleurs de fonds afin de mobiliser les ressources indispensables au financement des investissements prioritaires dans le cadre d’un plan quinquennal préalablement défini.
Quels sont ces investissements prioritaires ?
Ils concernent d’abord l’éducation et la santé tellement les classes sont surchargées et les centres de santé de proximité insuffisants. Ensuite vient le logement car pendant le précédent septennat, le gouvernement n’a construit que 3 762 logements. A ce rythme, il faudra 483 ans pour résorber le déficit en logement du Gabon qui n’est pourtant que de 259 579 unités. Enfin, ils concernent le réseau routier national qui à ce jour n’est recouvert qu’à 15 %.
Et quel bilan du septennat d’Ali Bongo ?
Le bilan est mitigé. Une étude que j’ai réalisée en mars dernier permet de constater que seulement 30 % des engagements contenus dans son projet de société lors de l’élection de 2009 ont été réalisés à ce jour. L’accession au pouvoir d’Ali Bongo a coïncidé avec un retour de la croissance soutenue par une conjoncture favorable des prix sur les marchés pétroliers jusqu’au troisième trimestre 2014. Le Gabon a ainsi enregistré une croissance moyenne de 4,5 % sur le septennat. Les autres agrégats économiques lui sont cependant moins favorables. Entre 2009 et 2016 le taux de chômage est passé de 20 à 26 %. Il atteint même 35 % chez les jeunes. L’encours de la dette est passé de 1 368 milliards FCFA en 2009 à près de 4 000 milliards FCFA aujourd’hui. L’environnement des affaires s’est dégradé. Rien qu’entre 2015 et 2016 le Gabon a perdu six places au classement Doing Business de la Banque mondiale.
Il me semble que certains choix d’investissements n’étaient pas opportuns. Il est difficile de comprendre que le Gabon ait préféré consacrer 863 milliards FCFA à l’organisation de 2 Coupes d’Afrique des nations de football en 5 ans quand on connaît les domaines structurants qui attendent des investissements publics. C’est d’autant plus contestable que ces deux compétitions ont été financées principalement sur des ressources d’emprunts.
On a assisté à une multiplication de grèves ces dernières années. Est-ce le signe de la montée des mécontentements ?
Le climat social a été particulièrement tendu au cours de ce septennat. Souvent face à ces manifestations, les réactions du gouvernement ont été disproportionnées. De nombreuses manifestations syndicales ont été violemment réprimées. Le gouvernement n’a d’ailleurs pas hésité à incarcérer pendant plusieurs jours des étudiants qui réclamaient de meilleures conditions d’études ou des leaders syndicaux dont certains sont encore en prison.
En cas d’alternance, quelles pourraient être les attentes de la population?
L’une des premières exigences des populations serait sans doute que soit engagée des réformes politiques et institutionnelles réduisant notamment la durée du mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une fois. Quasiment tous les candidats à cette élection se sont dits favorables à la limitation des mandats présidentiels en dehors d’Ali Bongo qui semble y être opposé. Quant à la relance et à la modernisation du processus démocratique en cas d’alternance, je pense qu’elle est incontournable, d’autant que Jean Ping, le principal adversaire du pouvoir, l’a clairement inscrite dans son projet de société.
Par Tirthankar Chanda – RFI