Médiapart – Par Marc Mvé Bekale Blog : EKKÄN : LA CONSCIENCE D’UNE PLUME
Qui est Ali Bongo? Comment arrive-t-on logiquement à s’imposer à une population qui vous a unanimement rejeté? Non, Hannah Arendt, on ne saurait ici parler de « la banalité du mal ». Avec cet homme, nous faisons face à une monstruosité froide. À un individu porté par une âme irréductiblement meurtrière, foncièrement assassine, mathématiquement criminelle.
Abominable. Ignoble. Nihiliste. L’acte que vient de commettre Ali Bongo envers le peuple gabonais est à la hauteur des dictatures de type hitlérien – même si le monstre nazi, lui, était arrivé au pouvoir par l’onction démocratique.
A quelle heure avais-je appris l’horrible nouvelle ? Je ne puis me souvenir tant j’ai senti la terre s’ouvrir sous mes pieds et m’engloutir dans un trou noir. Pourtant, j’étais loin de nourrir une telle vision apocalyptique en ce jour rayonnant du 27 août où les vagues diaphanes de l’Atlantique venaient caresser les pieds des premiers citoyens qui arrivaient du bureau de vote installé au Lycée Léon Mba. Le soleil de l’espoir brillait de mille feux dans leur regard et leurs chants. Ils avaient accompli leur devoir civique. La liberté allait enfin être libérée au Carrefour Rio donnant lieu à l’avènement d’une nation débarrassée du diktat d’Ali Bongo.
Aux urnes, les citoyens se servirent du vote comme d’une arme pour désavouer, vomir, expulser l’horrible mal qui les paralyse depuis plus d’un demi-siècle, entrave leur marche dans l’histoire. Or donc, le lendemain, le monstre, blessé et à moitié sonné, ouvrit un œil, puis l’autre et se régénéra aussitôt à 99% dans le Haut-Ogooué avant de porter une violente estocade à la population estomaquée.
Au 17 août devait succéder le 27 août. Une temporalité qui aurait donné naissance à de belles rimes. On y aurait entendu s’élever l’hymne de la joie retrouvée. L’hymne de célébration de notre indépendance et de la libération du joug des Bongo. 17 août et 27 août. Les dates n’eurent pas manqué d’inspirer Pierre-Claver Akendengue, le poète de l’espérance dont la voix libère les vibratos d’un chant de daman.
Non, tout cela n’est qu’un rêve. Le 27 août, la réalité gabonaise fut à nouveau entachée d’un Crime d’Etat. Un Crime contre un peuple. Qui vient de voir son droit le plus fondamental piétiner, puis jeter dans les chiottes d’Ali Bongo et de sa bande de salauds. Un droit fondamental dont la négation le réduit désormais au statut d’esclave.
Crime horrible. Comparable au viol d’une femme, assassinée dans la foulée, avant d’être accusée par le violeur d’avoir causé son propre malheur.
Pour la seconde fois, comme son père auparavant, Ali Bongo envoie son armée écraser les Gabonais dans la rue après les avoir violés dans les urnes. Il exercera son diktat entouré de sa cohorte de malfrats. Mais dans la mémoire universelle, sa place est garantie au panthéon du Mal, aux côtés de Jean-Bedel Bokassa, Idi Amin Dada et beaucoup d’autres figures abominables qui ont fait sombrer l’Afrique dans l’horreur.
Oui je l’avoue, deux jours durant, avant cette vision d’horreur, j’ai rêvé d’un brin d’humanité chez Ali Bongo. Qu’il aidera enfin le Gabon à ouvrir une nouvelle page de son histoire. J’ai rêvé d’un beau lendemain pour me réveiller muet. Assommé. Dégoûté de moi-même. Horrifié d’avoir nourri de si vains et ridicules espoirs. Abasourdie, mon âme s’est obscurcie d’incompréhension.
Je suis sorti de mon bureau. J’ai démarré la voiture et conduit aveuglément vers la petite bourgade de Montgueux, située sur les hauteurs de la ville de Troyes où j’enseigne. J’ai levé les yeux vers un ciel sombre. Il l’a encore fait ! Il a encore nié le droit d’exister à tout un peuple. J’ai marché le long des allées d’un vignoble. Peu à peu, du dégoût de moi-même, dû sans doute à cette culpabilité irrationnelle qu’éprouvent parfois les femmes violées, ma tête a commencé à s’éclaircir. J’avais besoin de rationaliser. Saisir le sens philosophique, existentiel, politique de l’acte du violeur Ali Bongo Ondimba.
Qui est cet homme ? Comment arrive-t-on logiquement à s’imposer à une population qui vous a unanimement rejeté ?
Non, Hannah Arendt, on ne saurait ici parler de « la banalité du mal ». Avec BOA, comme l’a surnommé le journaliste Désiré Ename, nous faisons face à une monstruosité froide. A un homme porté par une âme irréductiblement meurtrière, foncièrement assassine, mathématiquement criminelle.
Rationaliser. Comprendre. Eviter de sombrer dans la folie. Je m’arrête entre deux rangées de vignes. J’arrache un raisin d’une grappe, l’engloutit et manque de m’étouffer. J’expulse les pépins tout en m’interrogeant : ontologiquement ?… Fondamentalement ?… Que recherche Ali Bongo ? Avec qui a-t-il signé le pacte ? Avec le Diable ? Non ! Non ! Non ! Dostoïevski a raison. Le Diable. Dieu. Ce sont des excuses. De la rhétorique sorcellaire. Des métaphores que l’homme inventées pour échapper à la responsabilité de ses crimes. Dostoïevski nous laissa aussi cette belle pépite éclairante tirée de son chef d’œuvre Les frères Karamazov : « Si le diable n’existe pas et que par conséquent, c’est l’homme qui l’a créé, il l’a fait à son image et à sa ressemblance. » Ali Bongo, avec les souffrances qu’il fait endurer aux Gabonais, n’est-il pas le portrait craché du diable dostoïevskien ? N’est-il pas un hologramme sorti des enfers ? Chaque matin, il se réveille, se regarde dans la glace, enfile son costume de président imposteur qu’il entend transmettre à ses enfants comme il en a hérité de son père Omar Bongo.
J’ai arraché un autre raisin d’une branche de pinot noir, l’ai mâche violemment. Mais diable ! Qu’est-ce qui motive la froide monstruosité de cet homme ? Le pouvoir ? La gloire ? La richesse ? Les voitures de course ? Les belles femmes ? Les pots de glace Häagen Dass adorés par ses enfants ? La volonté de puissance absolue ? Tout cela, Ali Bongo l’a eu. Seules manquent à son CV les mentions : humanisme et grandeur d’âme. A l’occasion de cette élection présidentielle, il avait la possibilité de les y inscrire et d’entrer dans l’histoire par une porte triomphale. L’humanité tout entière aurait applaudi à pleines mains l’élégance et la beauté de son geste, lequel aurait, d’une certaine manière, lavé sa famille des souillures du passé. Oui, Ali Bongo aurait restauré l’honneur de sa famille et la dignité du Gabon en reconnaissant la victoire de son adversaire. A 57 ans, l’épuisement politique de ses adversaires lui aurait incontestablement donné la chance de s’adresser à la population gabonaise, qui a souvent la mémoire courte ; il aurait fait amende honorable et revenir au pouvoir à travers une élection démocratique. Non, il a choisi la grande porte du Mal qui risque de mener le Gabon tout droit aux enfers. Il a écouté ses impulsions sauvages et meurtrières.
Les monarchies européennes ont commis des abominations tout au long de leur règne. Elles ont néanmoins laissé un immense héritage dont l’humanité est si admirative. A Paris, il suffit de se placer devant la pyramide du Louvre pour voir se déployer la perspective des rois jusqu’à la Grande Arche du quartier de la Défense. Et la soif de domination des Bongo ? Quel en est l’enjeu ? S’agit-il d’une impulsion purement sauvage ? Propre à ces animaux qui s’imposent dans leur territoire en usant de la force brute.
Le pouvoir des Bongo?… Même pas un château au cœur de la forêt équatoriale. Ce pouvoir ?… Déshumanise-t-il le peuple gabonais dans le seul but de jouir de la liberté d’affréter des avions et des bateaux entiers chargés de bibelots et de glace Häagen Daas destinés aux enfants de Pascaline, d’Ali et de Mborantsuo ? Bestialise-t-il tant le peuple gabonais pour pouvoir fermer, en toute liberté, l’aéroport Léon Mba qu’Ali Bongo aime à transformer en circuit de formule 1 ? Si le seul enjeu de ce pouvoir réside dans la jouissance absolue, alors j’avais tort de m’offusquer devant la caricature d’Ali Bongo déguisée en chimpanzé, postée sur le site internet de notre compatriote Daniel Mengara. D’ailleurs, ne faisait-on pas injustice au chimpanzé, un animal plutôt doux, en le comparant à un homme aussi moralement hideux ?
Non, c’est chez les humains qu’il fallait rechercher le prototype d’Ali Bongo. Adolf Hitler vient à l’esprit. L’homme avait mis l’Europe à feu et à sang au nom de la haine qu’il vouait au peuple juif. Avant de commettre son horrible forfait, le monstre nazi avait pondu son Main Kampf (Ma cause). J’avais acheté ce livre aux Etats-Unis plus d’une vingtaine d’année avant qu’il soit accessible au public européen. Oui, c’est probablement à travers un tel écrit que je pourrais comprendre l’impulsion destructrice qui anime Ali Bongo. De même qu’Hitler avait voué les juifs aux gémonies, Ali Bongo Ondimba a décidé d’entrer en guerre contre le peuple gabonais en refusant de reconnaître ses droits fondamentaux. Du haut du palais hérité de son père adoptif, les Gabonais n’existent point. Ils sont RIEN ! Ali Bongo est mû par le NIHILISME, fondement de l’hitlérisme.
Le nihilisme comme unique valeur cardinale se traduit par la négation de l’humanité des autres. Il est porté par une insatiable volonté de puissance qui pousse à l’écrasement de tout ce qui tente d’obstruer la satisfaction de ce désir. Les élections apparaissent alors comme un leurre, un jeu, une mise scène dont le tyran est l’acteur principal auquel reviennent les ovations et le triomphe.
Les Gabonais le lui ont refusé. Il a décidé de réaliser le « casse » électoral du siècle. Malheureusement, son action de folie se situe à rebours de l’humanité moderne et des valeurs des nations civilisées, fondées sur la reconnaissance des droits humains. Au Gabon, Ali dispose des armes à feu. Nous allons y opposer les armes de l’esprit, puisées dans les valeurs humanistes de notre continent adoptif. Puisées dans la philosophie de Nelson Mandela et de Martin Luther King. A tous les combattants gabonais de la liberté, je dédie ce poème, « Invictus » (« Invincible ») de William E. Henley, qui, chaque matin servait de viatique à Nelson Mandela pendant ses longues années dans l’enfer de Robben Island :
Dans cette nuit qui m’enserre
Noire tel un puits sans fond
Je rends grâce aux Dieux quels qu’ils soient
De m’avoir doté d’une âme invincible
Face à l’emprise cruelle des circonstances
Je n’ai ni gémi ni versé de larmes
Sous les coups du hasard
La tête ensanglantée, je suis resté debout
Au-delà de cette terre de colère et de pleurs
Se dresse indistincte un monde cruel
Et pourtant les menaces de toutes ces années
Ne m’ont pas et ne me feront pas plier
Peu importe l’étroitesse du chemin
Peu importe le poids des châtiments
Je suis le maître de mon destin
Je suis le capitaine de mon âme
Médiapart – Par Marc Mvé Bekale Blog : EKKÄN : LA CONSCIENCE D’UNE PLUME