L’Opposant comme Maquisard
Il est urgent de situer le contexte de la campagne “Libérer Marafa” dans la production et la représentation de la figure de l’opposant dans le système politique Camerounais et comment cette représentation a de façon historique été déterminée par les institutions de l’État et les prérogatives disproportionnées du Chef de l’État dans un régime décrit comme “présidentialiste à pouvoir renforcé.” Dans ces circonstances, il est nécessaire d’entreprendre une démarche qui, en premier lieu, sert à empêcher que cette campagne s’embourbe dans des querelles politiciennes et cyniques, à défaut d’être récupérée par des professionnel-le-s en art d’attaques personnelles, afin notamment d’orchestrer une grande campagne de diversion et distraire les Camerounais de poser de vraies questions comme la différence entre une personne et un personnage politique et en filigrane la nature de l’âme politique camerounaise.
Né a la fin des années 60, notre génération a grandi dans un contexte d’État d’urgence comme conséquence politique de la douloureuse bataille des indépendances qui a ravagé le pays au début des années 60.
La figure emblématique de l’opposant était celui du “maquisard”. Le maquisard était décrit comme un sauvage et un psychopathe sanguinaire qui règle ses problèmes politique dans des bains de sang. L’idée du maquisard était une construction néfaste produit par les sorciers de la Françafrique naissante du Général De Gaulle et ses sbires comme Jacques Foccart dans le but de pathologiser le débat politique au Cameroun et mettre en place une politique de la terre brûlée au napalm dans le but de discipliner et de contrôler le corps des Camerounais. C’est un processus que des intellectuels Camerounais comme Achille Mbembe ont appelé “niggerization” ou “tonton macoutization” des corps et de l’espace publique.
L’opposant dans ce contexte est devenu la figure à embastiller, torturer, annihiler, transformer en chose parmi d’autres choses dans un régime où la pensée et le parti unique sont devenus la norme. Le produit de cette discipline corporelle a accouché la figure de l’opposant comme une personne incapable d’assurer sa propre sécurité et incapable de transformer le monde dans lequel il vit. Dans cette optique, l’opposant n’est plus la figure d’une possible transformation, l’agent d’une alternance positive mais un préjugé, stéréotype, cliché à exploiter à des basses fins politiciennes, promu par une conception narcissique, libidinale et jouissive d’un pouvoir.
Contrairement à Hannah Arendt qui lie l’histoire des droits humains à la natalité et l’idée que nous sommes tous libres parce que la liberté naît avec le commencement. Ce qui commence est libre parce que non pollué par l’histoire et les constructions humaines, une approche Rousseauiste de la dignité humaine. Au Cameroun par contre, l’affiliation politique a toujours été un marqueur de citoyenneté et une prérogative institutionnelle du prince. Tout Camerounais peut donc être déchu de sa nationalité par le fait du prince, dont il a lui même reconnu dans une de ses rares interviews accordés à l’ancien présentateur du journal télévisé à la CRTV, Eric Chinje en 1984.
Cette déchéance de nationalité suit l’opposant jusque dans la mort. La figure de l’opposant a atteint un degré tel que même dans sa mort il n’a pas le droit à une sépulture digne de ce nom. Le Cameroun est un pays qui n’enterre pas ses soi-disant opposants. Ils sont tous dans des tombes anonymes à l’étranger, dans les forêts ou dans des fosses anonymes. Ironie de l’ironie, même le prédécesseur de M. Biya est jeté dans une fosse quelque part au Sénégal. À ce sujet il faut signaler que ce qui fait de nous des humains, c’est parce que nous enterrons nos morts. La caractéristique de l’humain c’est celui qui enterre ses morts. Que dire d’un régime qui n’a jamais enterré ses morts dits “opposants”.
À son arrivée au pouvoir en novembre 1982, le régime camerounais a été secoué par une litanie de coups d’État, dont celui du 6 avril 1984 demeure le plus célèbre. La figure de l’opposant est devenu celle du “nostalgique” prêt à s’emparer du pouvoir non par les urnes mais au bout du fusil. Et la légende affirme que Marafa Hamidou Yaya a été épargné in-extremis alors qu’il était conduit au peloton d’exécution après une justice sommaire. Il est certain que cette histoire sombre du Cameroun sera revisitée dans le futur parce que l’ombre autour de cette période reste à clarifier.
L’Opposant comme la cinquième colonne et fossoyeur de l’unité nationale
Après la chute du mur de Berlin et le vent de la démocratie qui a secoué le continent, tous ceux qui ont bravé les barricades au Cameroun étaient décrits comme une cinquième colonne et la radio nationale n’hésitait pas à affirmer que des drapeaux Nigerians flottaient au Cameroun et l’émergence d’une cabale “Anglo-Bami” au service du Nigeria. Le retour du bâton a été la constitution de “l’Essingan”(groupe dit d’auto-défense des ressortissants Beti – l’ethnie du Président Biya) pour préserver les privilèges des élites dites ressource du Sud Cameroun. Cette tension a atteint le point culminant quand le maire de Yaoundé a offert une machette au Président de la République pour combattre les “ennemis”, et dont ce dernier ne s’est pas fait prier pour accepter. Quelques jours plus tard, le Président s’est présenté à Douala, décrit comme un bastion de l’opposition, et a déclaré “me voici donc à Douala,” une déclaration énigmatique comme l’homme lui-même.
L’Opposant comme victime de “l’Épervier”
La figure de l’Éperviable n’a pas grand chose en commun avec le sacrifice des nationalistes Camerounais des années 60, à part, une continuité de traiter toute forme d’opposition et d’alternance politique crédible comme un problème biopolitique, mais pas comme le fruit d’un débat d’idées et de programmes salutaires. La figure de l’éperviable participe d’une réflexion nécessaire sur les conditions de la figure de l’opposant au Cameroun. Aujourd’hui, soucieux de garder son image de marque, l’opposant est la figure de “l’éperviable”. Les prisons sont remplies de ces “éperviables” mais la question qu’il faut se poser c’est comment un régime peut produire autant d’éperviables sans jamais douter de l’ethique de celui qui les a tous nommés. “Where does the buck stops” comme disent les Américains? Le problème doit être, soit tous les Camerounais sont des bandits, soit il y a un problème structurel qui favorise la nomination d’êtres douteux qui pilulent dans nos administrations. Marafa est la personne indiquée pour répondre à ce problème et cette proposition sert à étendre le débat sur l’éthique au-delà d’une justice aux ordres, pour définir de nouveaux standards de droits humains au Cameroun. Le débat sur l’éthique et les droits humains est un débat démocratique qui ne peut être confisqué ou dicté par des institutions supposées être au service des Camerounais. La question des droits humains est liée aux questions de justice sociale.
Marafa est une personnalité indiquée pour contribuer à ce débat. Marafa Hamidou Yaya est un homme politique, ancien Ministre d’État chargé de l’administration territoriale et de la décentralisation, et ancien Secrétaire général de la Présidence de la République, sérieux prétendant à la Présidence du Cameroun, Marafa Hamidou Yaya a été condamné à 25 ans de prison ferme pour «complicité intellectuelle de détournement de deniers publics». Il est incarcéré depuis le 16 avril 2012 à la caserne militaire du Secrétariat d’État à la Défense (SED) de Yaoundé. Le Département d’État américain, l’Internationale Socialiste, et plusieurs organisations de défense des droits de l’homme l’ont reconnu comme un détenu d’opinion et appellent à sa mise en liberté immédiate.
Par Olivier Tchouaffe PhD. et Joël Didier Engo Président du CL2P