Guy Roger Onaïna était à bord du train 152 qui a déraillé à Eseka. Il est désormais la cible des agents des services secrets qui veulent l’empêcher de s’exprimer sur les raisons réelles de la catastrophe du 21 octobre dernier.
Depuis plusieurs semaines, il a quitté son domicile d’Odza. Il vit reclus chez un ami dont l’adresse est maintenue secrète. Même ses communications avec l’extérieur se font par personnes interposées. « J’ai peur pour ma sécurité », confie-t-il au reporter de La Scène Hebdo. C’est que depuis l’accident ferroviaire survenu à Eseka le 21 octobre 2016, ce cheminot du train 152 dit subir plusieurs sortes de menaces. Des filatures par des inconnus, des coups de fil anonymes ou encore des messages portés qui lui parviennent par le biais des inconnus, etc.
Le dernier message en date, écrit à la main et portant même une signature, lui a été porté par un enfant de la rue alors qu’il prenait un pot avec des amis dans une buvette située en plein centre-ville de Yaoundé. Il y était écrit que « Fais attention, on te surveille. Si tu parles, tu vas voir ! ». « Ça a été l’élément qui m’a vraiment fait penser que ma vie était en danger. Ce d’autant plus que mon épouse m’avait déjà dit qu’elle avait elle aussi le sentiment d’être suivie aussi bien au marché que dans la rue », ajoute-t-il, toujours médusé. C’est par le biais de ses propres enquêtes qu’il a fini par savoir que des agents des services secrets avaient été « mis en mission » sur lui. Par précaution donc, il se cache, ne sachant plus à quel saint se vouer.
Désaveu du gouvernement
Depuis ce drame d’Eseka, la pression s’est en effet accrue sur les cheminots de ce fameux train. C’est d’abord le gouvernement, à travers le ministre des transports, Edgar Alain Mebe Ngo’o, qui a publiquement tenté d’incriminer conducteur du train à qui il a voulu faire porter l’entière responsabilité de l’accident. Mais il a été désavoué plus tard par ce conducteur qui, sachant que les wagons qui avaient été ajoutés ne possédaient aucun frein, avait au préalable demandé et obtenu de sa hiérarchie un document devant le couvrir le cas échéant. C’est ensuite le concessionnaire Camrail qui a tenté de subtiliser la bande Teloc (équivalent de la boîte noire des avions dans la locomotive) et de falsifier de la Feuille J1 (Feuille d’accompagnement du train) qui contient les informations relatives au nombre de wagons, au tonnage et poids frein d’arrêt, éléments de preuves indispensables pour le rétablissement de la vérité.
De plus, à l’intérieur même de Camrail, un agent de maîtrise contacté par La Scène Hebdo affirme que les voitures chinoises ajoutées au train présentaient de nombreuses lacunes tenant à leur fragilité et à une défaillance des freins. Entre le gouvernement, qui a encouragé la surcharge du train et Camrail, qui a autorisé la mise en circulation de wagons défectueux, personne jusqu’ici n’a publiquement assumé les responsabilités de l’accident.
Dynamique Citoyenne
Et ce sont les cheminots qui aujourd’hui trinquent. Voués ainsi aux gémonies, la plupart d’entre eux sont sous le coup de suspensions. Guy Olivier Onaïna, qui refuse de se taire sur les circonstances de cet accident qui a tout de même fait plus de 80 morts et des centaines de blessés, vit désormais caché. Son employeur n’a souhaité donner aucune suite à ses requêtes avant une rencontre préalable. Ce que ce dernier redoute. Même la commission d’enquête gouvernementale mise sur pied suscite de nombreux doutes quant à son impartialité.
Seule la société civile semble se tenir aux côtés de ces martyrs de la vérité. Dans une déclaration publique relative à l’accident, le réseau Dynamiques Citoyennes met en cause le gouvernement qui « tente maladroitement de se dédouaner à travers les sorties démagogiques de ses représentants à différents niveaux de la hiérarchie administrative. C’est dans cette logique qu’au lieu d’assumer sa part de responsabilité dans ce drame, il est une fois de plus à la recherche de boucs émissaires ». Pour le cas d’espèce, les cheminots semblent tout désignés.
Flaubert Ngassa
Article paru dans l’hebdomadaire La Scène Hebdo du 24 novembre 2016